Bidonville

Bidonville : le préfet de l’Hérault a-t-il procédé à une expulsion illégale ?


Ce mercredi 8 septembre, à 6 h 45 du matin, plus d’une centaine de policiers prennent position à l’entrée et autour du bidonville « Zénith 2 » à Montpellier. Après plus d’une heure de tergiversations autour du cadre légal ou non de l’opération, les deux huissiers présents décident de lancer l’expulsion avec le concours des forces de l’ordre, sans réussir à présenter de mandat les y autorisant. Ici, 140 personnes vivent dans un habitat de fortune, dont de nombreux enfants scolarisés.

 

« L’huissier m’indique qu’il considère que le communiqué de la Mairie disant qu’elle n’a pas sollicité l’expulsion n’est pas une information valable. Il considère qu’il a un mandat, mais refuse de m’indiquer si ce mandat lui a été confirmé par la Mairie aujourd’hui. Il considère que le titre exécutoire en sa possession vaut mandat, qu’importe le fait que le propriétaire du terrain indique ne pas souhaiter l’expulsion » explique Élise de Foucault, avocate d’une quinzaine d’habitants du bidonville situé en périphérie de Montpellier. Il est alors 8 h 45. L’expulsion n’a réellement commencé que depuis moins d’une heure. Et l’avocate franchit le cordon de CRS qui boucle l’entrée du bidonville afin de se rendre chez le procureur de la République pour « l’informer de la situation ». Elle y déposera finalement une plainte concernant des faits de « destruction, de violation de domicile et de discrimination par personne dépositaire de l’autorité publique », considérant que l’opération n’a pas de cadre légal.

Et elle n’est pas la seule. Lundi après-midi, la Ligue des droits de l’homme (LDH), la Cimade et Droit au logement tenaient une conférence de presse préventive sur le parvis de la Mairie. Ces associations rappelaient que « l’article L153-1 du Code des procédures civiles et d’exécution prévoit que l’État peut accorder son concours pour procéder à une expulsion avec les forces de l’ordre. Mais ce qui implique nécessairement qu’il y ait une demande de la Mairie ». Et c’est toute la question. La municipalité interpellée depuis le samedi précédent n’est toujours pas en mesure de donner une réponse officielle en ce lundi 6 septembre. Une réponse qui n’arrivera que la veille de l’expulsion par la voie d’un communiqué à la presse. La ville « n’a pas formulé de demande d’expulsion de bidonvilles ». Le reste de sa communication détaille longuement l’action municipale en faveur de la résorption de l’habitat indigne, mais ne commente pas l’intention du préfet de procéder à l’expulsion d’un bidonville moins de 24 h plus tard. Ici, le maire Mickaël Delafosse regarde ailleurs, alors qu’un projet d’installation de sanitaires était en cours à « Zénith 2 ».

 

Un préfet bulldozer et expulseur en série

 

« Ce démantèlement intervient en exécution d’une décision de justice » se défend la préfecture dans un communiqué de presse mercredi matin, évoquant en sus des risques de salubrité et de sécurité consécutifs à un incendie dans le bidonville. Ce serait donc sur la base d’une décision de justice, ici vieille d’au moins quatre ans et à laquelle la précédente majorité municipale n’avait pas jugé bon de donner suite, que le préfet et les huissiers présents à « Zénith 2 » ce matin ont construit le cadre légal de l’expulsion. Un cadre contesté par Sophie Mazas de la LDH qui affirmait lundi que passé un délai de 6 mois sans exécution, cette décision de justice ne pouvait plus être utilisée. Un désaccord qui sera tranché par les tribunaux, si le procureur de la République donne suite à la plainte de maître Élise de Foucault. Mais aussi peut-être par l’ordre des huissiers que l’avocate comme les associations réfléchissent à saisir.

Mais, même si elle était rendue après que les habitants du bidonville aient été expulsés, une telle décision pourrait fixer quelques limites au nouveau préfet de l’Hérault, Hugues Moutouh, qui ne fait pas mystère de sa volonté de démanteler tous les bidonvilles de Montpellier. Car sans préjuger à l’avance du résultat d’une possible audience, le droit semble donner raison aux plaignants. C’est même le procureur de la République qui le dit implicitement, dans une réponse à la LDH et la Cimade qui lui signalaient mardi 7 septembre une infraction pénale à venir : l’expulsion de ce mercredi. Dans sa lettre que nous avons pu consulter, le procureur y affirme être « incompétent pour diligenter une enquête judiciaire […] dans une situation n’ayant reçu aucun commencement d’exécution », mais confirme que « pour agir, l’huissier de justice détient nécessairement un mandat de son client, à savoir le ou les propriétaires du terrain ». Ici, la Mairie.

Sur ce point, un premier éclaircissement pourrait advenir jeudi après-midi, l’avocate Élise de Foucault ayant déjà obtenue une audience assignant la commune de suspendre les opérations d’expulsion dans l’attente de statuer sur les conditions de cette expulsion. Même si les opérations de police sont terminées, la Mairie est censée expliciter si elle était demandeuse ou non de l’évacuation. Et par conséquent, dévoiler si c’est elle qui a menti ou si ce sont les huissiers qui se targuent d’un mandat qu’ils n’ont pas.

Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la suite de l’action du préfet. Ce dernier a déjà procédé à l’expulsion du bidonville « Mas rouge » le 31 août, là aussi sur des fondements légaux discutables et après un incendie. Après « Zénith 2 », le bidonville de Celleneuve est dans le viseur de la préfecture, au grand désespoir des associations humanitaires (Fondation Abbé Pierre, Médecins du Monde, AREA) qui œuvrent depuis des années auprès des habitants. À moins d’une condamnation du préfet pour « violation de domicile par personne dépositaire de l’autorité publique ». Une infraction (article 432-8 du Code pénal) pouvant être punie de deux ans de prison et 30 000 € d’amende.