Suite à l’intervention de trois syndicats de policiers, la préfecture du Puy-de-Dôme a interdit tout rassemblement, samedi 18 novembre, sur le lieu où la famille de Wissam devait planter un arbre en son souvenir.
Ni justice ni droit à la mémoire ? Vendredi 17 novembre, la préfecture du Puy-de-Dôme a décidé d’interdire un hommage prévu le lendemain par la famille de Wissam El-Yamni. Cet habitant du quartier de la Gauthière à Clermont-Ferrand est décédé après plusieurs jours de coma consécutifs à son arrestation par la police le soir de la Saint-Sylvestre 2011.
Presque six ans après son décès, sa famille et ses proches ont préparé une cérémonie en son souvenir pour le samedi 18 novembre. Au programme, la plantation d’un arbre et le dépôt d’une stèle sur laquelle est inscrit son nom, la date de son interpellation, et celle de son décès neuf jours plus tard. La famille de Wissam affirme dans un communiqué sa volonté de faire de ce moment « une pause dans la quête de la vérité […] et de lui redonner son identité de fils, de frère, de mari, d’amis ». Le maire de Clermont-Ferrand a donné son autorisation. L’arbre et la stèle doivent trouver leur place dans l’enceinte du jardin Lecoq.
Syndicats de police et préfecture à la manœuvre
Mais la cérémonie n’est pas du goût des policiers clermontois. Dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, le syndicat Alliance réclame son annulation. Il invoque « l’honneur des policiers nationaux, le respect des institutions judiciaires », et suggère des « troubles à l’ordre public potentiel ». Le syndicat de policiers édite un tract dénonçant la décision d’autorisation du maire, renvoyant à la justice le soin de fixer les responsabilités dans la mort de Wissam.
Rejoint par Synergie et le SGP-Police, le syndicat Alliance laisse planer la menace d’une participation à une contre-manifestation le jour de la cérémonie. Reçus le jour même par le préfet, ils obtiennent gain de cause le lendemain. La préfecture prononce le 17 novembre une interdiction de toute manifestation dans l’enceinte et aux abords du jardin Lecoq. Motif invoqué : « des menaces de trouble à l’ordre public », liées au projet de contre-manifestation. Le préfet pointe « le risque de confrontation violente entre les participants à ces deux rassemblements ».
Une décision étonnante. Les policiers — interdits de droit de manifester pendant leur service — ont un devoir de réserve impliquant une « obligation de neutralité et de loyauté à l’égard des institutions de la République ». Ici, la préfecture renonce à exiger de ses fonctionnaires de police la protection d’un rassemblement autorisé. Plus surprenant encore, elle accepte que les « fauteurs de troubles potentiels » soient ces mêmes fonctionnaires, et les récompense en leur donnant ce qu’ils attendent. A moins que le souhait d’éviter toute visibilité dans l’espace public du décès de Wissam, après son arrestation, ne soit partagé par la préfecture et les syndicats de policiers.
La justice n’est toujours pas pour maintenant
Une décision qui scandalise les proches de Wissam et leurs soutiens. « C’est une double peine. En plus de perdre un être cher, on lui vole son identité », explique Mounir. Membre du collectif « Justice et vérité pour Wissam », il ne veut pas le voir tomber dans l’oubli. Dans un communiqué en réaction à la décision préfectorale, la famille et ses soutiens expriment leur sidération devant le fait que : « les autorités de l’État estiment ne pas être en capacité de faire respecter la liberté de réunion et de manifestation ».
Privé d’un lieu public de mémoire, ils ne peuvent se consoler de grandes avancées dans le dossier judiciaire. Après plus de cinq ans de procédures, d’expertises et de contre-expertises, l’instruction n’est toujours pas bouclée. Les deux policiers mis en cause dans la mort de Wissam sont passés du statut de mis en examen à celui de témoins assistés en 2015. Aujourd’hui, la juge d’instruction doit réétudier les causes médicales de la mort, mais aucun nouveau collège d’expert n’a été nommé.
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