Une trentaine de collectifs, associations, syndicats, et organisations politiques, appellent à s’opposer au « salon de la mort » qui se tient à Villepinte en Seine-Saint-Denis du 11 au 15 juin. Un rassemblement est prévu mercredi 13 juin à 14 h devant l’entrée du salon Eurosatory, où exposent les professionnels de la défense et de la sécurité.
Les militantes féministes à l’origine, cette année, de la manifestation contre le salon Eurosatory ont un œil fixé sur l’Australie et l’Angleterre. Dans ces deux pays, l’opposition aux ventes d’armes est bien plus puissante que dans l’hexagone. Avec une idée en tête pour ces militantes : construire une opposition populaire au marché de la guerre.
En France, la question des ventes d’armes, ou celle des interventions militaires ne semblent plus faire partie d’un débat politique contradictoire. Elles ont même presque disparu du débat public. Certes, la ministre des Armées a bien été contrainte de répondre à quelques questions embarrassantes sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite utilisées au Yémen contre les populations civiles, suite à une enquête du site Bastamag. Cependant, ce dossier est repassé en dessous des radars et les affaires continuent. Le prince héritier Mohammed ben Salmane ayant même été reçu avec les honneurs au mois d’avril par Emmanuel Macron.
De leur côté, les mouvements pour la paix ou antimilitaristes déclinent depuis la chute du mur de Berlin, et ont presque disparu au tournant des années 2000, après les attentats du World Trade Center. Pourtant, la France est devenue la troisième puissance exportatrice d’armes, selon le Stockholm international peace research institute (SIPRI). Avec 5,2 milliards de dollars d’exportations, elle n’est devancée que par les États-Unis et la Russie, sur un marché en forte croissance. Signe des tensions internationales grandissantes, les prévisions de dépenses en armement dans le monde pour 2018-2019 sont estimées à + 9 %. En 2016, elles totalisaient déjà 549 milliards de dollars, selon le SIPRI.
Un supermarché de la mort sur 167 217 m²
L’édition 2018 du salon Eurosatory suit la tendance mondiale de croissance du marché des armes et de la sécurité. Cette année, un nouveau hall de 11 000 m² vient compléter la zone d’exposition dévolue aux 1750 exposants, contre 1571 l’an passé. Les pays les plus représentés, pour cette édition du premier salon de vente d’armes au monde, sont la France, les États-Unis, l’Allemagne et Israël. Cependant, quelques nouveaux venus font une entrée remarquée, comme la Turquie avec 61 exposants. Au programme pour les visiteurs : démonstrations, networking, réunions d’affaires ou accès à des conseillers spécialisés par zone géographique. Le tout à destination notamment des milliers de représentants des forces armées ou du maintien de l’ordre venant de toute la planète.
« Le cynisme meurtrier s’exacerbe » s’indigne Louise du Front de lutte anti-patriarcal (FRAP), rappelant au passage le rôle de VRP de l’État français en matière de vente d’armes. Prenant pour exemple le contrat de vente d’avions Rafale conclu avec l’Inde en 2016, elle indique que la France, en contrepartie des armes vendues par Dassault aviation, a investi plusieurs milliards dans l’économie locale. Mais l’État français n’est pas le seul ciblé par les collectifs engagés dans la mobilisation contre Eurosatory. « C’est une lutte antiguerre et anti-impérialiste », insiste Louise, visant finalement tous les États. L’État hébreu, un des mieux représentés dans le salon, est cependant en tête de gondole des gouvernements visés. La répression à Gaza au mois de mai sur des populations civiles, avec ses dizaines de morts et milliers de blessés, est encore dans tous les esprits.
Une opposition à reconstruire
Lors de l’édition de 2016 du salon, quelques activistes désobéissants avaient mené une action d’éclat en peignant de rouge des chars exposés. Cette année, la trentaine de collectifs et organisations réunis dans l’appel au rassemblement du 13 juin espèrent mobiliser plus largement. Parti de mouvements de femmes présents en Seine-Saint-Denis comme le collectif afro-féministe Mwasi, une tribune collective signée par plusieurs collectifs et des personnalités comme Angela Davis, a été publiée sur Mediapart. En plus des féministes, des collectifs contre violences policières (les comités « Vérité et justice » pour Adama, pour Lamine Dieng), des associations de soutien aux luttes palestiniennes (AFPS, BDS), des collectifs issus de l’immigration coloniale (Cases Rebelles, Collectif asiatique décolonial) ou de théâtres de guerre (Syrie, Kurdistan) se sont joints à l’appel. De même que des soutiens aux migrants (la Chapelle debout), et de rares organisations syndicales (Union syndicale Solidaires, Unef 63) ou politiques (Ensemble, CGA – région parisienne).
« Par cette forme de regroupement, nous voulions unifier les luttes et montrer que les mouvements sociaux, les femmes ou les quartiers populaires sont impactés par le salon », explique Louise. Pour elle, la tenue d’Eurosatory à Villepinte en Seine-Saint-Denis est un comble. C’est un département où vivent des populations venant précisément de régions du monde touchées par les conflits armés. C’est aussi un des départements les plus pauvres de France, où la « militarisation » de la gestion de l’ordre public avance à grands pas. Enfin, pour la militante, « les femmes sont les premières touchées par les guerres. Notamment par l’arme que constituent les viols dans les conflits ou par les déplacements de population qui les précarisent et augmentent leur vulnérabilité ».
Même si les organisateurs n’attendent pas des milliers de participants à leur rassemblement, ils et elles espèrent néanmoins enclencher une dynamique pour élargir la contestation contre la guerre et les ventes d’armes. Et pourquoi pas obtenir de la France, comme de l’Allemagne et de l’Angleterre, la fin des livraisons d’armes à l’Arabie saoudite pour son intervention militaire au Yémen.
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