Alors que la rentrée scolaire approche, un nombre inédit d’enfants dorment dans la rue. Plusieurs associations – dont la Fondation Abbé Pierre, l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité – organisent ce mercredi une conférence de presse pour dénoncer ce triste record, conséquence des expulsions de squats et de la saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence. Une situation qui jette une lumière crue sur les politiques antisociales menées ces six dernières années.
À Toulouse, Lyon, Argenteuil, des places d’hébergement ferment, des squats sont évacués, des familles dorment dans des gymnases et des tentes s’ouvrent sur l’espace public… Tous les acteurs associatifs parlent d’un été inédit, particulièrement difficile pour les populations les plus vulnérables. « On sent que le vent tourne, que ni l’État ni les collectivités ne veulent créer de nouvelles places alors on bricole, on trie on priorise ; dans certaines régions on fait tourner les gens dans les hébergements d’urgence pour libérer des places et ça créé une espèce de bullshit job délétère qui n’a aucun sens », s’indigne Pierre Mercier, directeur de l’association lyonnaise Le Mas.
« Les restrictions dans l’accès à l’hébergement d’urgence sont des choses que nous connaissons depuis des années, mais ce qu’on a vu cet été, ce n’est pas seulement une difficulté d’accéder à de l’hébergement, c’est aussi beaucoup de remises à la rue de familles avec de jeunes enfants ou des femmes enceintes de 7, 8 mois. Les lignes rouges reculent, c’est particulièrement inquiétant », indique Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
L’Austérité budgétaire menace des places d’hébergement d’urgence
En Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs structures associatives doivent rencontrer la préfète ce jeudi 31 août, lors d’une réunion concernant la cohésion sociale sur le territoire. Ils espèrent obtenir des lignes de budget supplémentaire afin d’éviter des fermetures, mais ne se disent guère optimistes. « Bercy est clairement en train de resserrer les vis, déclare Pascale Blanchetière, directrice régionale de la Fédération des acteurs de la solidarité. Contrairement aux années précédentes, nous n’avons même pas obtenu de rallonge budgétaire pour l’été. » Cette dernière craint des fermetures d’ampleur à venir.
D’après les chiffres collectés par sa fédération, près de 6 000 places d’hébergement seraient menacées sur les seules régions Île-de-France, Hauts-de-France, PACA et Occitanie. À Lyon, des collectifs citoyens comme Jamais sans toit pallient l’absence de réaction de l’État et des collectivités en hébergeant des familles dans des écoles ou des gymnases. Lundi 21 août, plusieurs militantes manifestaient devant l’hôtel de ville de Lyon pour demander des logements dignes et pérennes pour les 55 femmes et enfants qu’elles avaient pu mettre à l’abri au sein du gymnase Bellecombe, dans une chaleur étouffante. À Toulouse, une trentaine de femmes victimes de violences ont été remises à la rue en plein cœur de l’été, sans perspective de logement.
Devant la mobilisation des différents collectifs et acteurs de la solidarité, le nouveau ministre chargé du Logement, Patrice Vergriete, a annoncé mercredi 23 août qu’il soutiendrait le principe d’une augmentation du nombre de places d’hébergement d’urgence pour les personnes sans domicile. Ce soutien sera-t-il compatible avec le budget 2024 ? Rien n’est moins sûr.
Le paradoxe, c’est que les places d’hébergement d’urgence ont plutôt augmenté ces dernières années, mais cette hausse suffit de moins en moins à absorber la demande. Ce qui témoigne à la fois d’une explosion du nombre de pauvres, de sans domiciles fixes, mais également d’un accès au logement totalement bloqué. « Un certain nombre de résidents pourraient prétendre à un logement social ou abordable, mais face à la pénurie, ces derniers restent coincés dans l’hébergement d’urgence », affirme Pascale Blanchetière.
Une crise du logement
Lors de son rapport annuel publié en début d’année, la Fondation Abbé Pierre dénonçait une politique du logement sans ambition face à une situation sociale dégradée, marquée par des politiques antiredistributives et antipauvres : contrôle des ménages au RSA, loi antisquat, coupes sur les APL, qui creusent les inégalités. La Fondation rappelle que le ralentissement général de la construction de logements sociaux en France tient en grande partie à la réduction des capacités financières des organismes HLM provoquée par les mesures d’économie adoptées au cours du précédent quinquennat.
Cinq ans après avoir amputé les ressources de ces organismes de 1,3 milliard d’euros par an, le gouvernement leur propose un pacte de contractualisation ouvrant la voie à des facilités d’emprunt, un gel des cotisations et le déblocage d’une enveloppe financière pour la rénovation des HLM ! C’est peu dire que cette proposition, issue du Conseil National de la Refondation, n’a pas convaincu les professionnels du secteur. Tout comme l’accent mis sur le développement de logements intermédiaires, moins chers que ceux du marché.
« Ce ne sont pas quelques milliers de logements intermédiaires qui répondront à la crise massive que nous connaissons ! Par ailleurs, des ménages au SMIC ne peuvent pas se payer des loyers à plus de 800 euros », critique Manuel Domergue, évoquant des choix idéologiques destinés à satisfaire certains investisseurs et institutionnels qui souhaitent investir dans ce type de logement, plus rentable. Les acteurs du logement sont unanimes, la crise va toucher au-delà des personnes les plus précaires, jusqu’aux classes moyennes.
« Il faut des papiers et des logements ! »
La saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence alimente aussi des mesures brutales et répressives à l’encontre des personnes en situation irrégulière. « Dans certains départements, il y a des tentatives de mise en place de critères administratifs, comme l’obtention d’un droit de séjour, pour avoir accès à l’hébergement d’urgence. On parvient à contrer ce genre d’initiative, par ailleurs totalement contraires à la loi, mais des feux prennent un peu de partout », alerte Pascale Blanchetière.
Les personnes en situation irrégulière font les frais des tractations autour du projet de loi asile et immigration, qui risque d’être particulièrement dur et qui sera voté en octobre. Dans un entretien publié par le Point, Emmanuel Macron a déclaré vouloir « réduire significativement l’immigration, à commencer par l’immigration illégale », histoire de donner des gages à la droite pour s’assurer les voix des députés LR.
Alors que nous ne sommes qu’au début des vagues migratoires dues au réchauffement climatique, Pierre Mercier appelle à des débats rationnels et humains. « Les personnes que nous accompagnons travaillent, ou souhaitent travailler, mais ne peuvent prétendre à un logement parce que nous les maintenons dans la précarité en refusant de leur donner des papiers. De fait, ils sont condamnés à rester en hébergement d’urgence », constate le directeur de l’association Le mas. Ce dernier appelle à prendre en compte l’impact social de ces politiques brutales. « Si l’État ou les métropoles laissent trop de gens à la rue, ça ne tiendra pas. Il va y avoir des accidents, des problèmes sanitaires, tout ce que vous voulez… Si on laisse les gens seuls sans capacité d’organisation et sans régulation, cela va être violent. Et s’il y a des morts, il y aura des recherches de responsabilité. Ce n’est pas en envoyant des CRS que ça s’améliorera, ce qu’il faut ce sont des papiers et des logements. »
Si Manuel Domergue plaide pour la production de logements sociaux – y compris en contraignant davantage les maires récalcitrants – et l’encadrement des marchés de l’immobilier, il rappelle que le mal-logement est un symptôme de la stigmatisation ou du désintérêt pour certaines catégories de la population. « Il nous faut une réelle politique d’accompagnement des personnes les plus précaires, celles ayant des troubles psy, des problèmes d’addiction, de santé, etc. Ceux qui finissent sans abri, ce sont toujours un peu les mêmes. »
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