Montrer la répression, les blessés, réveiller les consciences, interdire les armes mutilantes, ce sont quelques uns des objectifs de la quatrième marche organisée par le collectif « Les mutilés pour l’exemple ». Après Paris, à deux reprises, puis Bordeaux, c’est au tour de la ville de Montpellier d’accueillir dimanche cette manifestation nationale des blessés.
Le rendez-vous était donné à 14 h sur la place de la Comédie, lieu de départ habituel des manifestations gilets jaunes les samedis après-midi. Sur le parvis de l’opéra, une vingtaine de blessés venus des quatre coins de France déploient une banderole gigantesque où sont imprimés quatorze visages défigurés. En bas des marches, plusieurs centaines de gilets jaunes et d’habitués des manifestations montpelliéraines venus les soutenir entonnent un vibrant « on est là, même si Macron le veut pas, nous on est là, pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, on est là ».
Un des blessés lève son moignon comme il aurait levé le poing avant son amputation. Avant le départ de la manifestation, les membres du collectif « Les mutilés pour l’exemple » sourient face à ceux qui sont venus aujourd’hui leur apporter leur soutien. « La police mutile, la police assassine » fuse de la foule. Le slogan est repris et gonfle sur la place. Puis le défilé se met en ordre. Plusieurs blessés portent des ballons sur lesquels sont dessinés des yeux pour rappeler les nombreux éborgnés par des tirs de LBD. En tête, ils ouvrent la marche et remontent la rue commerçante menant à la préfecture. « Grenade, flashball, interdiction », « la police fait son travail, ça crève les yeux » résonnent dans la rue étroite.
À l’approche de la préfecture, un cordon de CRS barre une première rue, des policiers de la compagnie départementale de sécurité en bloquent une seconde. Deux herses, derrière lesquelles stationnent des CRS, empêchent d’approcher de l’entrée du bâtiment représentant l’État. Le cortège s’arrête. Ici, le 27 avril dernier, Dylan, un jeune de 19 ans, a reçu une grenade de désencerclement et perdu la vue d’un œil. Symboliquement, les blessés s’approchent des grilles de la préfecture pour y accrocher les ballons représentant les yeux crevés par des tirs policiers. Pendant ce temps, le reste de la manifestation attend à quelques mètres.
Cette première halte ravive les souvenirs douloureux des mutilés pour l’exemple. L’une craque dans les bras d’une de ses camarades, un autre frotte frénétiquement son œil recouvert d’une sorte de pansement. L’émotion en submerge plus d’un. Les larmes coulent ou se retiennent difficilement. Des applaudissements s’élèvent du reste du cortège qui a gardé une distance. Les mines sont graves. Puis, le défilé reprend au cri de « Macron démission, Castaner en prison ». Les plus de 500 personnes que compte alors la manifestation passent devant la cour d’appel sans y prêter la moindre attention, comme si rien n’était attendu de l’institution.
Puis, c’est une deuxième halte, cette fois devant les jardins du Peyrou. Ici, à la fin d’une manifestation contre la réforme des retraites, un quinquagénaire a été percuté à la tête par une grenade lacrymogène. Résultat : l’os frontal fracturé et neuf points de suture. Il est venu témoigner aujourd’hui, visiblement encore très affecté. Il raconte ce qu’il lui est arrivé, le visage déformé par la colère et l’incompréhension. Puis il conclut : « honte au préfet ».
Le tour des lieux où des manifestants ont été blessés se poursuit en arpentant le boulevard du Jeu de Paume, une des artères fréquentées par les manifestations montpelliéraines. Direction la gare où le 29 décembre 2018 pour l’acte 7 des gilets jaunes, quatre personnes ont été blessées en quelques minutes. Trois d’entre elles sont présentes aujourd’hui devant la gare, un peu plus d’un an après les faits. Parmi elles, Kaina et Yvan blessés à la tête par des tirs de LBD 40. Mais un manque à l’appel. Geoffrey, dont la blessure a occasionné 35 points de suture n’est pas venu.
Pour les blessés, c’est la fin de la manifestation et l’appel à dispersion de leur marche. Avant de quitter les lieux, ces derniers signalent que des vidéos ont été prises de policiers jouant au foot avec les yeux laissés à la préfecture une heure plus tôt. La prise de conscience attendue n’a pas fonctionné sur les forces de l’ordre.
Photos : Constance Meylan
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