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Reconnaissance faciale : la France dans les pas de la Chine ?

 

Après le passeport biométrique en 2009, la France créera une carte d’identité numérique d’ici 2021. En même temps, le gouvernement favorise le développement de la reconnaissance faciale comme méthode d’identification. Il a déjà lancé l’expérimentation d’une application mobile utilisant cette technologie pour se connecter aux services publics, et entend favoriser les industriels français.

 

Contrôler l’identité de tous, à chaque moment et de façon invisible, c’est le rêve de toutes les polices du monde. Mais aussi celui des États, et pas seulement des plus autoritaires. Comme la Chine avant elle, la France s’intéresse maintenant de très près au développement d’une technologie qui, associée à la vidéosurveillance, peut conduire au contrôle absolu de l’espace public : la reconnaissance faciale.

Pour l’heure, l’État lance l’Authentification en ligne certifiée sur mobile (Alicem). Il s’agit d’une application fonctionnant sur smartphone Android. Elle permet de se connecter à des services publics qui devraient être intégralement dématérialisés d’ici 2022. Pour authentifier leur identité, les usagers en possession d’un passeport ou d’un titre de séjour biométrique utilisent la fonction vidéo de leur téléphone pour la faire correspondre, grâce à la reconnaissance faciale, aux données inscrites sur la puce de leur titre d’identité. En phase de test actuellement, ce dispositif pourrait se déployer dès l’an prochain et s’appliquer ensuite aux 10 millions de Français dotées d’un titre d’identité biométrique.

 

 

Mais le nombre de personnes potentiellement concerné par Alicem pourrait croître encore. En 2021, la France est censée créer une carte d’identité numérique dont le déploiement doit s’achever en 2031. À ce moment-là, les données biométriques de toute la population adulte devraient être enregistrées. Et pour le moment, la reconnaissance faciale est un des moyens d’authentification présenté comme forts par les spécialistes du secteur de la sécurité. Il pourrait servir pour l’ensemble des démarches nécessitant une identité numérique. Probablement bien au-delà d’une connexion aux services publics, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner fustigeant régulièrement l’anonymat sur internet. Pour l’heure, les craintes ou l’opposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), du défenseur des droits ou des associations de défense des libertés portent peu.

 

Ce n’est pas encore la Chine, mais ce n’est pas non plus le Pérou

 

Les avancées de la reconnaissance faciale en France n’en sont évidemment pas au niveau de celles de la Chine. Là, l’association des bases de données de l’État, de la reconnaissance faciale, de 176 millions de caméras de vidéosurveillance comptabilisées en 2016, et leur accès aux forces de police rendent le contrôle de la population complet. Un contrôle qui ouvre à la répression de tous les comportements jugés répréhensibles par l’État chinois avec en prime le « crédit social ». Nous en sommes loin en France pour Cédric O, le secrétaire d’État chargé du numérique. Il considère même dans un entretien donné au journal Le Monde que la reconnaissance faciale « crée beaucoup de fantasmes ». Circulez, il n’y a rien à voir ! Pourtant, en 2035, la base de données biométrique de la population existera avec le déploiement de la carte d’identité numérique. La reconnaissance faciale devrait également être utilisée, au moins pour l’accès aux services publics. À partir de là, il ne manquerait finalement plus que de permettre son utilisation par les systèmes de vidéosurveillance. Des caméras que les forces de l’ordre utilisent déjà abondamment.

 

 

Inimaginable ? Peut-être pas. Déjà, dans les aéroports parisiens, des « passages automatisés rapides aux frontières extérieures (Parafe) » ont été installés. Ils fonctionnent avec la reconnaissance faciale. Plus inquiétant encore, le conseil régional de la Région Sud a voté en décembre 2018 l’installation de systèmes de reconnaissance faciale dans deux lycées, l’un à Marseille, l’autre à Nice. Parmi les arguments avancés : le manque de moyens pour déployer du personnel humain à l’entrée des établissements. Un recours a été déposé devant le tribunal administratif de Marseille au début de l’année 2019 par la Quadrature du net, la Ligue des droits de l’homme, ainsi que la CGT Educ’Action et la FCPE des Alpes-Maritimes. Toujours dans cette région, le maire de Nice y est allé de sa petite expérimentation. En février 2019, à l’occasion du carnaval, Christian Estrosi a testé la reconnaissance faciale dans les rues de la commune. Une cinquante de volontaires des services municipaux ont donné leur photo pour être reconnus au milieu d’une foule.

 

Rendez-vous en terre inconnue

 

Faut-il s’attendre au déploiement d’une telle technologie ? En tout cas, le secrétaire d’État au numérique ne fait pas mystère de sa bienveillance vis-à-vis des entreprises pourvoyeuses de ces dispositifs, telles Thalès avec l’application Alicem, ou la société Idemia. « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent », a-t-il déclaré dans Le Monde mi-octobre. Rebelote ce week-end sur les ondes de France Info où Cédric O estime que « nous devons avoir des expérimentations pour avoir des données précises et ensuite sur cette base avoir un débat public apaisé ».

Il est vrai que le marché de la surveillance brasse des milliards, et que la concurrence avec les sociétés chinoises, américaines et israéliennes est importante. De son côté, l’entreprise française Thalès espère ne pas rater le train de cette technologie. Cette année, elle a montré au salon du Bourget son « système de sécurité et identité numérique », une appellation plus présentable que : reconnaissance faciale. Son système équipe une quinzaine d’aéroports américains et se propose de « fluidifier le parcours des passagers ». La reconnaissance faciale au service de la réduction des temps d’attente en quelque sorte.

Pour réduire les coûts dans les lycées ou pour fluidifier le trafic voyageur : les arguments ne vont pas manquer pour rendre socialement acceptable cette technologie et désarmer les résistances. Mais l’argument de la sécurité et du terrorisme pourrait émerger d’ici peu et servir d’argument massue. Comme pour l’intégration dans le droit commun de l’État d’urgence.

 

Photo : capture d’écran « Next level surveillance » du Wall street journal