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Retraites à 66,5 ans : même au COR, ça ne passe pas !

Ce jeudi, l’Assemblée générale du Conseil d’Orientation (COR) des retraites a examiné la proposition de rapport annuel de l’institution sur les « évolutions et perspectives des retraites en France ». Contrairement aux éléments du pré-rapport qui ont fuité dans la presse, un consensus s’est imposé pour supprimer la recommandation de repousser l’âge de départ à la retraite.

Une assemblée générale très tendue ce jeudi matin au siège du COR. « Une réunion très classe contre classe », selon Denis Gravouil de la CGT. D’un côté, le patronat et des parlementaires de la majorité en soutien au président du COR Gibert Cette, favorable à la mention d’un âge de départ reporté comme suggestion privilégiée par le rapport. De l’autre, l’ensemble des représentants des organisations de salariés, soutenu par une députée LFI et une sénatrice PS. Et au final, un consensus sur le retrait de ce passage, une conférence de presse qui doit se tenir aujourd’hui à 16h et un report de la publication du rapport du COR.

Juste avant le week-end dernier, la proposition de rapport – que l’assemblée générale des 41 membres de l’institution devait valider aujourd’hui – a fuité dans la presse. Au milieu de ses 242 pages, l’hypothèse qu’un report à 66,5 ans de l’âge moyen de départ en retraite, évoqué page 109 et non présent dans les 15 pages de synthèse du rapport, a fait les titres de toute la presse. Les réactions ne se sont pas fait attendre.

« Le COR n’existe qu’à travers les avis de son conseil. Il se réunit jeudi. Donc il n’y a aucune orientation sur les retraites qui existe pour l’heure au niveau du COR… sauf à vouloir électriser ou biaiser les travaux du conclave en cours. Ce qui est inadmissible », a déclaré Yvan Ricordeau, le secrétaire général adjoint de la CFDT, à l’AFP. « Le COR privilégie une orientation plutôt qu’une autre, ce n’est pas son rôle », s’est offusquée Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, sur France Info dimanche. Même son de cloche du côté de Michael Zemmour. « Si c’est vraiment ce qu’il y a dans le rapport, ça serait un changement de rôle du COR. Ce qui fait l’utilité assez unique du COR, c’est de dresser un constat largement partagé sur la situation, l’univers des possibles, les connaissances et les incertitudes » avait écrit l’économiste sur le réseau social Bluesky.

En tout cas, si le pré-rapport du COR que nous avons pu lire ne recommande pas à proprement parler d’allonger à 66,5 ans l’âge de départ à la retraite, il privilégie cependant cette option, contre toutes les autres qu’il présente sans nuance comme « un appauvrissement du pays ». Une façon inhabituelle pour l’institution, dont le rôle est d’éclairer le débat public, de présenter la situation des régimes de retraite. En tout cas, une réalité biaisée au regard de l’ensemble des éléments contenus dans le rapport. Explications !

Si vous vous retrouvez avec un découvert bancaire de 1000 euros à la fin du mois, c’est embêtant. Mais le problème n’est pas le même selon vos revenus. Si vous êtes au SMIC, c’est potentiellement une catastrophe. Si vous avez un salaire de ministre, cela est déjà plus gérable. Mais si vous avez les revenus de Bernard Arnault, cela ne représente rien par rapport à vos ressources.

C’est exactement la même chose pour les retraites. C’est pour cela que tout déficit – ou découvert s’il s’agit de votre compte en banque – doit être regardé à l’aune de vos revenus. C’est ce que rappelle le rapport du COR : « les dépenses de retraite rapportées au PIB constituent un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système ». Dit autrement, on évalue si le système est viable en regardant la part de la richesse nationale sur une année (PIB) consacrée aux retraites. L’an dernier, celle-ci était de 13,9 % et était soutenable. En 2070, elle pourrait être de 14,2 % selon les projections du COR.

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Si l’on regarde plus en détail les prévisions de déficit ou d’excédents annuels, le déficit du régime de retraite pour 2030 s’élèverait à 6,6 milliards d’euros (0,2 % du PIB). Rapporté aux dépenses de retraite sur une année (406,9 milliards en 2024) : 1,5 % de celles-ci. Pour faire un parallèle peut-être plus parlant, c’est comme si une personne au SMIC finissait le mois avec un découvert de 22 euros. Embêtant, mais pas tout à fait une catastrophe.

Après 2030, le solde négatif entre les dépenses et les recettes se creuserait pour atteindre 0,9 % du PIB en 2045, puis 1,4 % en 2070. Soit près de 10 % de la totalité des dépenses de retraite. Toujours ramené à l’échelle des revenus d’une personne au SMIC : un découvert d’environ 150 euros à la fin du mois. Des projections moins favorables que celles présentées par le COR l’an dernier.

« Une grosse différence entre le rapport 2025 et le rapport 2024 réside dans le changement de scénario de référence. En 2024, celui-ci était d’un chômage de 5% et de gains de productivité de 1% par an à long terme » explique Michael Zemmour. Cette année le COR a repris le scénario de la mission flash du Conseil d’État sur les retraites, commandée par François Bayrou, avant l’ouverture du « conclave ». Si l’économiste ne trouve pas l’hypothèse d’une productivité moindre et d’un chômage plus important « absurde », il critique « le changement de scénario de référence d’un exercice sur l’autre [] qui donne l’impression d’une dégradation de la situation ». En 2023, avant la nomination de Gibert Cette à la tête du COR, un proche d’Emmanuel Macron, le rapport présentait quatre scénarios, avec différents paramètres économiques (productivité, chômage, etc.).

Ainsi, la tonalité générale dans la presse qui est ressortie le week-end dernier selon laquelle les comptes se dégradent fortement et posent la question d’un nouvel allongement de l’âge de départ à la retraite est en partie contredite par l’étude de la situation générale décrite par le COR.

« La quasi stabilisation des dépenses de retraite dans le PIB prévue en 2070 par rapport au niveau observé en 2024 ne corrobore donc pas l’idée d’une croissance plus soutenue des dépenses de retraite par rapport à la richesse nationale » écrit le COR dans son rapport provisoire. Et ce malgré le vieillissement de la population. Un constat qui relativise les discours alarmistes, présentés comme de bon sens, qui expliquent que le fait qu’il ait moins d’actifs par rapport au nombre de retraités rend inéluctable de nouvelles réformes défavorables aux salariés.

L’absence de dérapage des dépenses, c’est déjà ce que soulignait l’ancien président du COR, Pierre-Louis Bras devant la commission des finances de l’Assemblée nationale en janvier 2023, en plein débat sur le report de l’âge de départ à 64 ans. Ce qui lui avait valu d’être débarqué de son poste au profit de Gilbert Cette. Donc, rien de fondamentalement neuf sous le soleil puisqu’en 2023, le COR projetait des dépenses globalement stables entre 2021 et 2027 (13,8 % à 13,9 % du PIB), puis en augmentation entre 2027 et 2032 (14,2 à 14,7 % du PIB) se stabilisant ou diminuant à partir de 2032 jusqu’en 2070 dans une fourchette comprise entre 12,1 % et 14,7 % du PIB.

Mais si les dépenses restent stables, d’où proviennent les déficits annoncés par le COR pour les décennies à venir ? La réponse se trouve encore dans son rapport : les projections sur les recettes anticipent une baisse de celles-ci de l’ordre de 1,1 point de PIB d’ici 2070. Et ce 1,1 point de PIB manquant est assez proche des 1,4 point de PIB de déficit projeté dans 45 ans par le COR.

« La part des dépenses de retraite dans le PIB augmente légèrement sur l’ensemble de la période de projection (+0,3 point), la part des ressources est, quant à elle, en nette baisse (-1,1 point), en raison de la baisse de l’apport de l’État » écrit l’institution de référence sur les retraites. Les raisons sont multiples, mais parmi celles-là, le COR évoque le gel du point d’indice dans la fonction publique : « les augmentations contenues de la rémunération des fonctionnaires hospitaliers et territoriaux jusqu’en 2037 freinent l’augmentation globale des cotisations ».

Pour Michael Zemmour, « cette baisse programmée provient pour l’essentiel de l’hypothèse que l’État va réduire sa participation au système de retraite. Dans l’avenir il y aura relativement moins de fonctionnaires retraités que de salariés du privé à la retraite, et le privé ne va pas prendre le relais des recettes. Il suffirait que l’État maintienne son engagement actuel pour le système, ou que globalement, les ressources État plus privé ne baissent pas, pour stabiliser les comptes à long terme ».