A Toulouse, la préfecture souhaite que la pride, prévue le samedi 9 octobre, modifie son parcours pour éviter la « concomittance » avec la manifestation anti-passe. Hors de question pour le mouvement LGBTQI+, qui n’entend pas faire les frais de« l’incapacité » des autorités à gérer des « événements non déclarés » et rappelle le caractère politique de la marche des fiertés.
Plusieurs centaines de personnes ont participé à la manifestation anti passe-sanitaire dans les rues de Toulouse, samedi 2 octobre. Pas de heurts et une affluence plutôt en baisse, comme partout en France, pour ce 12ème week-end consécutif de mobilisation. Un reflux qui, en Haute-Garonne, ne suffit cependant pas à rassurer les services de l’État : la préfecture somme les organisateurs de la pride toulousaine, prévue samedi 9 octobre, de modifier leur parcours eu égard aux « manifestations non déclarées [qui] se déroulent tous les samedis sur les boulevards, donnant lieu à des troubles récurrents à l’ordre public sur une partie du parcours que souhaite emprunter la Marche des Fiertés »..Histoire de réduire les risques de « concomitance annoncée » entre manifestants LGBTQI+ et anti-passe…
Une sommation qui ne passe pas : « Nous savons que les manifestations toulousaines ont été parfois tendues, mais ce qui nous interpelle, c’est que l’État, dans l’incapacité de gérer ces mouvements non déclarés, en fasse payer les conséquences à une organisation qui fait des manifs pacifiques depuis 25 ans ! », s’offusque Jeremy Perrard, directeur de Pride Toulouse.
Pride Toulouse : marcher loin du cœur de ville
Traditionnellement, la marche toulousaine démarre de la place du Capitole sous les balcons de la mairie, où sont installés les stands du village associatif éphémère, et rejoint les chars (dont ceux de la Ville, du Département et de la Région) stationnés à proximité, sur l’avenue Alsace Lorraine, avant de faire un tour de l’hyper-centre la ramenant au Capitole.
Mais cette année, la préfecture préférerait qu’elle reste à distance du cœur de Toulouse où circulent les anti-passe tous les samedis et propose à la pride un parcours qui évite soigneusement le cœur de ville et les manifestants. Sauf que le parcours alternatif proposé (de Compans Cafarelli au Palais de Justice en passant par les boulevards) ne convient pas aux organisateurs de la pride. Ces derniers entendent conserver le tracé habituel, mieux adapté à la « typologie de l’événement », lui garantissant une bonne visibilité au cœur de la ville et maîtrisé en terme de sécurité.
Tout en faisant profil bas – « la volonté demeure, évidemment, de faciliter le bon déroulement de cette manifestation » – la préfecture n’en démord pas : « il s’agit avant tout de « veiller à assurer collectivement la sécurité de celles et ceux qui participeront [à la marche des fiertés], ainsi que celles des Toulousains ».
Un discours se voulant protecteur mais qui cache mal la fébrilité des autorités face aux manifestations de rue dans cette ville qui a été l’une des places fortes du mouvement des gilets jaunes et où les manifs anti passe ont récemment donné lieu à des violences : le 11 septembre dernier, une quarantaine de militants d’extrême-droite, de Toulouse mais aussi de Bordeaux et Montpellier, attaquaient, au sein du cortège, des manifestants « contre l’exploitation et le nationalisme ».
Un tracé jamais modifié, même pendant les Gilets Jaunes
Une fébrilité que s’explique pourtant mal le directeur de la pride toulousaine : « en 2019, au moment des gilets jaunes on avait déjà échangé avec la préfecture qui avait eu la même volonté de déplacer le jour de la manif. Au final, le tracé et la journée avaient été conservés et tout s’était bien passé. Il y avait eu une coordination à la minute près avec les services de l’Etat et chaque mouvement avait pu avoir sa visibilité ».
L’association Pride Toulouse, qui est également un collectif regroupant plus de 45 structures sur la région Occitanie, est d’un légalisme pointu. Le service d’ordre et la sécurité de la manif sont assurés par des professionnels et, comme chaque année, l’association a fait une déclaration préalable et informé la Préfecture de la tenue d’un événement « qui n’est pas de nature à provoquer des troubles à l’ordre public », selon la formule consacrée. « Moyennant quoi, on ne veut pas être les victimes d’une situation qu’il ne nous appartient pas de gérer », insiste Jérémy Perrard, qui fait valoir que les années passées ont démontré que « l’organisation de la marche est bien structurée et calibrée ».
Un précédent pacifique à Montpellier
L’incompréhension est d’autant plus grande qu’à Montpellier, l’autre grande ville de la région Occitanie, la pride s’est très bien déroulée le 25 septembre, malgré la présence dans les rues du cortège anti-passe. « Le sujet avait été évoqué avec la préfecture mais la date était calée et le parcours est resté exactement le même que lors des années précédentes, raconte Olivier Vaillé, président de la pride Montpellier. Il y a eu un ajustement de l’horaire pour faire en sorte que la manifestation démarre à peu près au moment où celle des anti-passe s’achevait. On les a croisés au tout début, il y a eu un tout petit peu de mouvement mais ça été géré sans aucun problème ». Après une pride 2020 virtuelle pour cause de Covid, l’édition de 2021 a même été selon lui un succès, rassemblant « entre 15 000 et 17 000 » personnes.
« A Montpellier, la Préfecture s’est positionnée différemment, observe, amer, Jérémy Perrard. Ce traitement inégalitaire nous renvoie à ce qu’a connu le mouvement LGBTQI+ dans son histoire, tous les processus d’invisibilisation subis. Lors des échanges avec la préfecture, on a eu le sentiment qu’ils ne prenaient pas bien conscience de l’objet même de la manifestation. On a dû leur rappeler que la marche des fiertés n’est pas juste un événement festif : elle a avant tout une vocation politique, revendicative et commémorative pour lesquelles elle mobilise un outil festif. » Illustration, si besoin était, à Montpellier, la pride avait été déplacée au 25 septembre pour « coller » au sommet France-Afrique qui va se tenir dans la cité héraultaise le 8 octobre. Le mot d’ordre de l’édition 2021 était « nos fiertés sont sans frontières » et plusieurs conférences sur la question LGBTQI+ en Afrique ont été organisées en ville les jours précédant la marche.
Rendre invisible la lutte LGBTQI+
« La marche des fiertés, c’est quelque chose de lourd et de difficile à organiser. On préférerait ne pas avoir besoin de ça. Mais compte-tenu du durcissement en cours sur les questions LGBTQI+, on doit continuer » assure Jérémy Perrard. Le rapport 2021 de SOS Homophobie rappelle que l’année écoulée, durant laquelle les confinements et la fermeture de lieux publics ont renforcé l’isolement, a eu « une incidence importante sur les actes LGBTIphobes » : en 2020, 1815 témoignages de violences LGBTIphobes ont été recueillis.
Dans ce contexte, Pride Toulouse (qui a lancé une pétition de soutien) entend bien que Toulouse accueille samedi prochain sa marche des fiertés, la dernière de l’année en France, sur son parcours traditionnel, dans l’hypercentre de la ville. La mairie a donné l’autorisation pour que le village associatif puisse se tenir sur la place du Capitole. Lors de la réunion qui s’est tenue lundi soir en préfecture, les autorités ont fait de nouvelles propositions de trajet alternatif, refusées par les organisateurs de la marche, qui ont décidé de “garder le tracé déclaré, choisi par le collectif sans modification”. L’association se réserve la possibilité de contester auprès du tribunal administratif en référé liberté un éventuel – mais désormais assez improbable – arrêté préfectoral d’interdiction. « Si la marche ne peut se tenir, il faudra que l’Etat assume politiquement cette décision, prévient le directeur. On reste à l’écoute et ouvert aux discussions avec la Préfecture. Mais on constate que, au motif de faire respecter l’ordre public, avec cette proposition de modification qui a attisé les tensions et incompréhensions, elle n’a pas du tout atteint l’objectif visé. Au contraire… »
Crédit photo : naeimasgary
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