Toulouse anti-passe sanitaire

Toulouse : quelles suites pour le mouvement anti-passe sanitaire ?


 

Derrière le mot d’ordre « anti-passe » qui fait l’unanimité parmi les manifestants, de nombreuses autres revendications sont portées, parfois contradictoires. Dans ce contexte, quelles pourraient être la suite du mouvement au-delà de la colère exprimée le samedi, ? A Toulouse, des perspectives s’esquissent. Reportage dans la 6eme manifestation anti-passe toulousaine.

 

Lors de ce 6eme samedi de manifestation contre le passe-sanitaire, plusieurs milliers de personnes ont battu le pavé à Toulouse (3500 manifestants selon la préfecture). En France ils étaient 175 000 selon le ministère de l’Intérieur et environ 357 000 selon le groupe Facebook de décompte des manifestants Le Nombre Jaune. Des chiffres légèrement moins hauts que la semaine précédente, mais qui restent dans la moyenne de l’été.

Derrière ce mot d’ordre « anti-passe » qui fait l’unanimité parmi les manifestants, de nombreuses autres revendications sont portées, rendant le mouvement hétéroclite à bien des égards.

« C’est pour cela qu’on organise une première Assemblée Populaire du mouvement contre le passe sanitaire samedi prochain », nous explique un intermittent du spectacle toulousain autrefois très impliqué dans les mouvements des gilets jaunes et des théâtres occupés, qui distribue des tracts pour inciter les manifestants à venir à cette AG. Elle devrait se tenir le 28 août sur un rond-point de la ville.

 

Anti-passe sanitaire au premier plan… on met quoi au second ?

 

Pour l’heure, difficile de connaître les revendications d’une manifestation sans organisateur déclaré et sans mot d’ordre. D’après la page Facebook « Toulouse en lutte » (ex « Gilets Jaunes Toulouse ») qui compte près de 68 000 abonnés et médiatise les appels à manifester, la manifestation du 21 août s’oppose au passe sanitaire, mais aussi à la réforme de l’assurance chômage et au report de l’âge de la retraite.

Mais les mots d’ordre affichés sur les réseaux sociaux ne collent pas toujours à la réalité. Et ces revendications sociales, qui sont d’ordinaire celles du mouvement syndical et de certains partis politiques de gauche sont finalement assez peu portées par les manifestants.

Au sein de la manifestation, les slogans : « Liberté liberté », « Elus corrompus », « Macron ton passe on n’en veut pas », ou encore le « On est là même si Macron ne veut pas », rendu célèbre par les gilets jaunes, évoquent bien peu les retraites ou la réforme de l’assurance chômage.

Toulouse anti-passe sanitaire
L’Agorap à la manifestation toulousaine du 21 août. Crédit : GB.

Ce qui cristallise la colère des manifestants, c’est avant tout le passe sanitaire. « Je ne suis pas contre la vaccination en soi, mais je veux qu’on puisse avoir le choix. Tout ce qu’a fait Macron avec ce passe, c’est créer de la division dans les familles », dénonce Solène*, employée à La Poste.  « C‘est une décision qui porte atteinte aux libertés publiques, de manière autoritaire. Ça nous est tombé dessus comme ça, sans crier gare et du jour au lendemain on a eu besoin d’un QR code pour aller au café, rendez-vous compte », s’emporte Alexis, retraité de la fonction publique.

Si l’opposition au passe sanitaire ne doit pas se confondre avec l’opposition au vaccin, cette dernière anime les manifestants les plus expressifs et donc les plus visibles. De nombreuses pancartes portent ainsi un message clairement antivaccin, mobilisant parfois des arguments faisant allusion à des théories du complot, comme cette citation apocryphe de Bill Gates : « Le vaccin sera la solution finale », brandie par une manifestante, ou une autre dénonçant une fausse pandémie servant à instaurer « un nouvel ordre mondial à la chinoise. »

Certaines prises de paroles publiques, permises par la sono de l’Agorap** sont également clairement hostiles au vaccin. On y dénonce, en plus de la politique autoritaire de Macron, les soi-disant faux chiffres comptabilisant les malades du Covid-19 ou encore la prétendue non efficacité du vaccin.

 

Quels militants dans la manif anti-passe ?

 

Néanmoins, quelques éléments montrent que la question sociale est encore dans les têtes. Comme la présence de militants du Parti de Gauche/ France Insoumise, venus manifester avec leurs drapeaux et distribuant des autocollants « pass sanitaire, pass autoritaire ».

« Plus un mouvement perdure et prend de l’ampleur, plus les gens réfléchissent à autre chose. On a vu cela au moment des gilets jaunes : ça a commencé avec un refus de la taxe carbone, puis on a glissé vers une remise en cause du capitalisme. Dans quelques semaines le gouvernement devrait tenter d’imposer sa réforme de l’assurance chômage si la tension sociale continue à monter ce ne sera pas la même histoire pour lui », soutient Jean-Christophe Selin coordinateur national du Parti de Gauche et ancien élu France Insoumise à la région Occitanie.

 

 

Toulouse anti-passe sanitaire
Militants Parti de Gauche/France Insoumise présents à la manifestation du 21 août. Crédit : GB.

 

Autre présence militante visible dans la manifestation, où les drapeaux les plus brandis sont des drapeaux bleus-blancs-rouges, (parfois affublés d’une croix de Lorraine, symbole gaulliste souvent récupéré des militants d’extrême droite) : celle du syndicat Solidaires. A l’inverse, si des militants CGT sont bien présents dans la manifestation, aucun de leurs drapeaux ni aucune de leurs banderoles n’est visible.

Aucune bannière observée dans la manifestation ne renvoie non plus explicitement à un mouvement d’extrême droite connu. « Bien sûr que l’extrême droite doit être présente dans la manifestation, c’est une réalité aujourd’hui en France on le sait 30% des votants votent pour les fachos. Mais ici contrairement à ailleurs, ils ne viennent pas de manière visible », assure Jean-Christophe Sellin.

 

La récupération ou l’organisation

 

En revanche, en tête de manifestation, deux femmes brandissent une banderole « Phili-Pipeau Pass ton chemin » ainsi qu’une bannière de l’Action antifasciste. « A Toulouse on a vu l’extrême droite rentrer dans les manifestations pour tenter de faire de la récupération politique. Philippot est un politicien, il tente de récupérer la colère populaire pour s’en servir au moment des élections », explique l’une d’entre elles. « A Toulouse, ça a parfois été musclé avec les fachos », assure-t-elle, faisant référence aux premières manifestations anti-passe où des affrontements entre groupuscules nationalistes et antifascistes avaient éclaté.

 

Toulouse anti-passe sanitaire
Banderole anti Philippot à la manifestation contre le passe sanitaire de Toulouse. Crédite : GB.

 

Pour l’heure, à Toulouse, les tensions entre groupes politiques ennemis n’ont pas encore fait exploser le cortège et tous les anti-passe manifestent côte à côte. Ce n’est plus le cas dans d’autres villes, comme Lyon ou Paris, où plusieurs manifestations sont parfois organisées.

C’est d’ailleurs la question de la clarification des mots d’ordre et de la suite à donner au mouvement qui a débouché sur l’initiative d’organiser une assemblée générale. « Nous faisons cela parce que nous voulons que les gens discutent et s’organisent entre eux. Pour qu’ils disent ce qu’ils veulent faire de ce mouvement, au-delà du samedi. En portant nous-même notre parole, on évite les récupérations politiques », rappelle l’intermittent tractant pour cette AG.

Car en matière de récupération, les tentatives ne manquent pas.  La plus visible de toutes demeure celle de Florian Philippot, auto-proclamé leader des anti-passe sanitaire. L’ex-numéro 2 du Front national organise d’ailleurs un « grand événement unique, national, le samedi 4 septembre ». Et c’est peut-être entre ces deux tendances qu’oscille, à Toulouse, le mouvement anti-passe : récupération politique ou organisation collective.

 

*Prénom d’emprunt
**Chariot roulant équipé d’une sono, diffusant de la musique, des freestyles de rap ou des prises de paroles libres, il est présent dans quasiment toutes les manifestations toulousaine d’ampleur depuis le mouvement des gilets jaunes.

 

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