Moitié à l’usure, moitié en force, le gouvernement a réussi à faire passer sa réforme de l’assurance chômage, trois ans après l’avoir lancée. Ce vendredi 22 octobre, le Conseil d’État a refusé de suspendre de nouveau son décret d’application, à la suite des recours en urgence intentés par huit organisations syndicales de salariés. Un jugement sur le fond sera connu d’ici la fin d’année.
Une prime au coup tordu ? Celui consistant à publier au Journal officiel le décret d’application d’une réforme contestée, 24 heures avant sa date d’entrée en vigueur. Et ce, afin d’en compliquer les voies de recours. Cela y ressemble. En tout cas, c’est la conclusion à laquelle le gouvernement pourrait parvenir à la lecture de la décision du Conseil d’État ce vendredi. Celui-ci n’a pas rendu caduque la réforme de l’assurance chômage entrée en vigueur le 1er octobre, alors qu’un jugement sur le fond est toujours attendu dans les prochaines semaines sur le décret du 30 mars 2021. Et que l’institution avait déjà censuré une première version en novembre 2020, considérant qu’à travail égal il y avait une inégalité de traitement entre deux chômeurs. Puis qu’elle avait suspendu une version légèrement remaniée en juin dernier, argumentant que des incertitudes planaient sur la situation économique et sanitaire pour une application au 1er juillet 2021. Mais aussi en expliquant que les salariés avaient peu de marges de manœuvre pour éviter les contrats courts proposés par les employeurs.
Des arguments balayés cette fois-ci par le Conseil d’État pour une application du même décret au 1er octobre : « depuis la suspension décidée en juin dernier au motif que la situation du marché de l’emploi ne permettait pas alors d’atteindre l’objectif fixé par le gouvernement de réduction du recours aux contrats courts, une évolution favorable est observée depuis plusieurs mois. La tendance générale du marché de l’emploi ne constitue ainsi plus un obstacle à la mise en place de la réforme ». De même, la haute autorité administrative n’a pas retenu les objections des syndicats sur le non-respect par l’exécutif de la décision de suspension du 22 juin, prise par le Conseil d’État en attendant une décision au fond. Sur ce point, le juge des référés ne semble pas voir malice dans la manœuvre gouvernementale consistant à ne pas attendre le jugement définitif. Il estime même que « le Premier ministre pouvait légalement décider de fixer une nouvelle date d’entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul, après avoir notamment pris en compte l’évolution des conditions du marché du travail ».
Une mauvaise nouvelle pour les demandeurs d’emploi
Par conséquent, la modification du mode de calcul du salaire journalier de référence qui s’applique officiellement depuis le 1er octobre servira bien pour déterminer le montant des allocations du mois de novembre. Et a priori celles des mois suivants, dans la mesure où la haute autorité administrative aura du mal à défaire une réforme qu’elle a laissé s’installer avec le jugement d’aujourd’hui. Dans les douze mois à venir, 1,15 million de demandeurs d’emploi devraient voir leurs indemnités mensuelles baisser selon l’Unédic. En moyenne de 17 %, mais avec des écarts plus importants pour celles et ceux qui multiplient les périodes de travail entrecoupées de périodes de chômage. D’autant que dans le même temps, le marché du travail a peu de chance de profondément se modifier : les bonus-malus pour les employeurs surabusant des contrats inférieurs à un mois ne seront effectifs qu’après la seconde moitié de l’année 2022.
« La décision [du Conseil d’État] confirme cette fable du gouvernement selon laquelle en période de mieux sur l’emploi, si des demandeurs d’emploi sont encore au chômage, c’est de leur faute » s’agace Denis Gravouil, le négociateur CGT pour l’assurance chômage. Déçu par la non-suspension de la réforme, il mise maintenant tout sur le jugement sur le fond qui interviendra fin novembre ou début décembre. La dernière carte des syndicats dont le nombre à s’être lancé dans des recours n’a cessé de grandir depuis deux ans, éclairant la nature des négociations avec le gouvernement dans lesquelles rien n’était réellement négociable. Pour autant, leurs chances de victoire en fin d’année sont réduites. En effet, le Conseil d’État osera-t-il poser une bombe en invalidant cette réforme à moins de six mois de la présidentielle ? Et en obligeant Pôle emploi à recalculer toutes les allocations versées depuis le 1er octobre. Rien n’est moins sur. Ce qui validerait le coup tordu gouvernemental consistant à publier un décret la veille de son application. Et pourrait faire école dans l’avenir.
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