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Assurance chômage : la réforme semi-enterrée par le Conseil d’État


Le 21 mai dernier, sept organisations syndicales de salariés attaquaient devant le Conseil d’État le décret du 30 mars 2021 sur l’assurance chômage. Principale cible des syndicats : la modification du salaire journalier de référence servant au calcul des allocations. Selon une étude de l’Unédic, celui-ci pourrait entraîner à parcours équivalent des écarts d’indemnisation de 1 à 47. Et une baisse des allocations pour 1,15 million de chômeurs.

 

C’est un nouveau revers pour le gouvernement : le Conseil d’État a suspendu ce mardi 22 juin plusieurs articles de son décret du 30 mars 2021 sur la réforme de l’assurance chômage. En l’occurrence, ceux fixant au 1er juillet, la mise en place du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui sert au calcul du montant des allocations.

La confiance affichée par l’exécutif sur un retour rapide à une situation économique normale, permettant à ses yeux de raboter les allocations pour inciter les chômeurs à travailler, n’a pas convaincu la haute autorité administrative. Pas plus que les arguments du ministère du Travail faisant porter une partie de la responsabilité de l’explosion des contrats courts, coûteux pour l’assurance chômage, aux demandeurs d’emploi, transformés par le gouvernement en stratèges du chômage. Sur ce point, le Conseil d’État n’a pas manqué de pointer une contradiction manifeste avec l’entrée en vigueur, seulement fin 2022, du bonus-malus pour les entreprises abusant des contrats de moins d’un mois.

Mais si le Conseil d’État considère qu’il n’y a pas « d’éléments suffisants permettant de considérer que les conditions du marché du travail sont à ce jour réunies pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi », il a plutôt ménagé le gouvernement sur son appréciation des écarts induits par la réforme entre les demandeurs d’emploi. À ce stade de l’instruction, il n’a pas mis en avant d’éléments d’illégalité, contrairement au mois de novembre 2020. Une façon pour l’heure de ne pas trop charger la barque en attendant un jugement plus complet sur le fond ?

 

Une réforme exclusivement régressive

 

Initialement, la réforme devait s’appliquer en deux temps. Le premier en novembre 2019, avec un allongement de la durée de travail nécessaire à l’ouverture de droits au chômage. De quatre mois sur 28 mois à six mois sur 24 mois. De même pour le rechargement des droits : de 1 mois à quatre mois travaillés. En prime, les cadres aux plus hauts revenus voient le retour de la dégressivité des allocations. Le second temps en avril 2020, avec un changement du mode de calcul du salaire journalier de référence qui sert au calcul du montant des allocations des demandeurs d’emploi.

Mais le Covid-19 est passé par là. Le premier volet a été allégé pour rendre moins insoutenable la crise sanitaire et une mise à arrêt de l’économie qui a enregistré un recul du PIB 9 % en 2020. Une contraction de l’activité rendant illusoire la recherche d’emploi. Le second volet a lui été repoussé de trois mois en trois mois. Mais entre temps, le Conseil d’État saisi un an plus tôt par plusieurs organisations syndicales rendait une décision défavorable au gouvernement le 25 novembre 2020.

« Le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence […] une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi », taclait le Conseil d’État fin novembre 2020 en annulant plusieurs points de la réforme. Le gouvernement a donc été contraint de revoir sa copie. Ainsi, nouveau round de discussion et nouveau décret le 30 mars qui tente de corriger un peu les effets du nouveau mode de calcul du SJR.


Mais nouvelle volée de bois vert. L’Unédic contredit d’abord les chiffres du gouvernement. Le gestionnaire de l’assurance chômage avance le chiffre de 1,15 million de chômeurs avec des allocations réduites comme conséquence de la réforme, au lieu de 800 000 avancés par le gouvernement. Des chiffres contestés par l’exécutif qui s’est pourtant bien gardé de présenter une étude d’impact, affaiblissant ainsi sa tentative de contre-feu. Puis le journal Les Échos révèle que le gouvernement a oublié de prendre en compte les congés maternité, les arrêts maladie ou l’activité partielle, alors qu’il avait été alerté sur ce point plusieurs mois plus tôt.

Du coup : premier projet de correction fourni en mai aux partenaires sociaux. Mais de nouveau étrillé par l’Unédic qui considère qu’il est fragile juridiquement en présentant un risque d’illégalité au regard du Code du travail. Le cabinet d’Élisabeth Borne attendra le 8 juin, trois semaines avant la date officielle de mise en route de la réforme etdeux jours avant l’audience au Conseil d’État, pour produireau journal officiel un correctif sur le décret du 30 mars.

Cependant, la copie du gouvernement ne convainc pas la juge du Conseil d’État lors de l’audience du 10 juin examinant les recours des syndicats. Celle-ci a longuement interrogé le représentant du ministère du Travail sans obtenir toutes les réponses attendues. À tel point que la juge a demandé des éléments supplémentaires par écrits sur trois points : « la pertinence et la possibilité d’atteindre les objectifs du document de cadrage dans le contexte actuel, l’ampleur des différences de traitement susceptibles d’apparaître entre salariés en activité réduite » et « la situation particulière des guides conférenciers », dont l’association professionnelle a déposé son propre recours.

Ceux-ci ont été fournis par le cabinet d’Élisabeth Borne mardi. Mais manifestement sans totalement convaincre.

 

Quel avenir pour la réforme de l’assurance chômage

 

Le cœur de la réforme, à savoir le nouveau mode de calcul du SJR, est suspendu. Les autres éléments ne doivent s’appliquer que plus tard, après un « retour à meilleure fortune ». C’est à dire une fois que le nombre de demandeurs d’emploi baisse et le nombre d’embauches augmente sur une période de six mois. Soit pas avant la fin de l’année. Maintenant, le Conseil d’État qui a statué en urgence doit se déterminer sur le fond. Peut-être à l’automne, peut-être début 2022.

Une nouvelle partie relativement incertaine se jouera alors. En effet, dans sa décision d’aujourd’hui en procédure d’urgence, le Conseil d’État n’a pas étrillé le gouvernement sur la disproportion des écarts d’allocations entre chômeurs aux parcours équivalents. Pour autant, la partie ne sera pas simple à jouer pour l’exécutif. Outre qu’elle se situera en pleine campagne électorale de la présidentielle, elle pourrait être rendue caduque par l’ouverture de négociations en fin d’année sur la nouvelle convention de l’assurance chômage en 2022, venant remplacer celle de 2017.

Si ce n’est pas déjà un enterrement, pour les demandeurs d’emploi, c’est déjà un répit supplémentaire.