grève

83 jours à Holiday Inn, 140 à Mac Do. Comment une grève peut-elle tenir aussi longtemps ?

 

Déjà 83 jours de grève pour une douzaine de salariés travaillant à Holiday Inn et 140 jours pour 5 équipiers du Mac Donald de Villefranche-de-Rouergue. Avant eux, en 2016, une douzaine de factrices et facteurs de Rivesaltes avaient enchaîné sept mois de grèves. Comment font-ils ? Comment tiennent-ils ?

 

Les femmes de ménage et plongeurs de l’Holiday Inn de Clichy sont aujourd’hui à Bruxelles. C’est leur Européen Tour, après Barcelone fin novembre, puis Londres mi-décembre. Deux actions sur deux hôtels appartenant à Intercontinental Hotels group (IHG), propriétaire de l’enseigne Holiday Inn, sont au programme, ainsi qu’une rencontre avec des membres du groupe apparenté communiste du Parlement européen.

Depuis le 19 octobre, les femmes de chambre et plongeurs de l’hôtel tiennent un piquet de grève quotidien devant les portes de l’enseigne. De nombreuses actions ont rythmé leur mouvement depuis bientôt trois mois. C’est une des clefs de la réussite pour des grèves de cette longueur, avec l’unité des grévistes et la solidarité financière, selon Étienne Deschamps, cheville ouvrière du syndicat du nettoyage de la CNT-SO animant la grève. « La capacité de nos organisations à proposer ou recevoir les propositions des grévistes sur des actions d’occupation ou d’interpellation est essentielle », rappelle-t-il. Vendredi dernier, les grévistes ont occupé l’hôtel Holiday Inn Crimée. Après le voyage à Bruxelles, une remise de fond aux salariés en grève est organisée demain, puis lundi, ce sera la création d’un comité de soutien à la Bourse du travail de Paris.

Les cinq salariés du Mac Do de Villefranche-de-Rouergue en grève depuis le 23 août ont également ponctué leur mouvement par une série d’action. En plus d’opérations de tractages réguliers, ils ont été présents à toutes les mobilisations sociales des mois de septembre et octobre dans leur département. À compter du mois de novembre, ils délocalisent certaines actions sur Toulouse, comme le blocage d’un centre de distribution, avec l’aide de l’UD CGT de Haute-Garonne. Depuis le 3 janvier ils se réunissent deux fois par jour devant le restaurant, à midi et le soir, « pour alerter les citoyens et les clients », déclare Quentin Leyrat, délégué du personnel chez Mac Do et militant CGT.

Une importance des actions et des piquets de grève que confirme Alexandre Pignon, facteur militant à la CGT et animateur d’une grève victorieuse de sept mois en 2016, au bureau de distribution de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. « Nous étions tous les jours sur le piquet de grève. Ce qui est primordial, c’est d’être toujours en mouvement et de mener des actions qui maintiennent la pression et occupent les camarades », confie le syndicaliste.

 

Unité, solidarité et détermination dans la grève

 

« Sur les piquets, nous discutions beaucoup et nous prenions des décisions collectives », se rappelle le facteur de Rivesaltes. Pour lui, c’est ce qui a permis de garder intacte la cohésion de groupe la détermination et le moral des 12 factrices et facteurs en grève pendant de si longs mois. À Clichy, Étienne Deschamps admet qu’en plus de 80 jours de conflit, il y a eu des hauts et des bas. « C’est [la grève] un moment dur ou il y a des conflits bien sûr, mais c’est aussi un grand moment de prise de conscience. Il se passe des choses très fortes sur un piquet de grève ». Le militant de la CNT-SO reste confiant pour la suite du mouvement : « Nous avons un bloc de grévistes stabilisés qui ne devrait plus bouger ». Cette unité crée une forte solidarité entre les grévistes.

Un moment qui a marqué Alexandre Pignon, le facteur de Rivesaltes, est son conseil de discipline intenté par La Poste vers la fin du conflit. « Ce jour-là, 90 % des collègues sont sorties en grève ». Au bout de cinq mois de grève, la plupart des revendications avaient abouti. Les 12 factrices et facteurs ont tenu deux mois de plus jusqu’à la réintégration du militant de CGT, malgré des fiches de paye à zéro depuis plusieurs mois.

 

Le soutien financier est essentiel pour la grève

 

Pour les femmes de ménage comme pour les salariés de Mac Do, les bas salaires sont la règle. Un poil mieux lotis, les postiers n’ont pourtant pas des payes extraordinaires, autour de 1300 € net en moyenne. Difficile dans ces conditions de tenir financièrement sur la durée. La grève à l’Holiday Inn, mené par la CNT-SO et soutenue par la CGT, bénéficie du soutien financier de ces deux organisations. Elles ont mis en place un soutien par internet sur le pot commun. Le tout a permis de verser l’intégralité du premier mois de salaire et une grande partie du second. Une série de cartes postales vient d’être éditée pour les soutenir. « Si les salariés restent trois mois sans salaire, cela sera compliqué », explique Étienne Deschamps pour rappeler que le soutien financier est incontournable.

Pour les salariés de Mac Do, l’enjeu est le même. « Nous arrivons à payer nos loyers, mais c’est tout. Nous survivons. En même temps, avant nous ne roulions déjà pas sur l’or », confie un gréviste. Sans cette solidarité financière, ni les uns ni les autres ne pourraient tenir. Lors du conflit des facteurs de Rivesaltes, les dons et les actions pour récolter de l’argent ont permis de distribuer entre 60 et 70 % des salaires pendant sept mois. « Nous avons fait des tombolas, des soirées de soutien. Il y a eu des dons de la CGT et SUD, et même du Secours populaire et des Restos du cœur. Sans cela, nous n’aurions pas tenu si longtemps avec nos payes à zéro ».

Mais le soutien n’est pas que financier. Les Mac Do cherchent l’appui de la population de Villefranche-de-Rouergue, en plus de celui de l’union locale et départementale de leur syndicat. Pour les postiers de Rivesaltes, le soutien de la population a été extrêmement important. À Holiday Inn, un comité de soutien va se créer officiellement la semaine prochaine. Une nouvelle étape importante, mais délicate. « Dans un conflit long, si les soutiens sont réguliers, il faut qu’ils aient un espace d’expression pour faire des propositions et donner leur avis », recommande Étienne Deschamps. Avant de préconiser une limite : « cela ne doit pas polluer les décisions des grévistes et la démocratie syndicale ». Chacun devant pour lui rester dans son rôle : « les grévistes décident, les syndicats exécutent, les soutiens soutiennent ».

 

« Une grève longue vous change »

 

« Au début, nous pensions être en grève quelques jours, maximum un mois après l’échec des premières discussions avec la direction. Mais plus les jours passent, plus on a de raison de continuer », affirme Quentin Leyrat, un des cinq grévistes de Mac Do. Pour lui comme pour ses quatre jeunes camarades, c’est un peu le baptême du feu : « c’est très formateur, il faut sans cesse se dépasser ».

La durée du mouvement a modifié les revendications des femmes de chambre d’Holiday Inn. Dans les premiers jours du conflit, elles se seraient contentées de l’annulation du déplacement de deux de leur collègue par leur employeur. Plusieurs semaines plus tard, leur vision des problèmes a changé. Leurs revendications aussi. Elle réclame maintenant la fin de la sous-traitance et leur intégration dans les effectifs d’Holiday Inn. Même constat lors de la grève de Rivesaltes : « au bout d’un moment, tu as plus d’exigences. Une fois sorti du travail, du lien de subordination, tu ouvres les yeux. Alors qu’au début certains avaient peur qu’on demande trop, les revendications ont pris corps et sont devenues légitimes ».

« Je ne me suis jamais senti aussi vivant qu’à ce moment-là », vibre Alexandre Pignon en se souvenant de cette expérience de grève. Un moment qui change la vie. À Holiday Inn, Étienne Deschamps souligne aussi un « grand moment de prise de conscience », qu’il explique par leur médiatisation et toutes les discussions avec des collègues de différents horizons. « L’une disait à un collègue gréviste : vous vous mettez les pieds sous la table en rentrant, nous ont fait notre deuxième journée de travail pour préparer le repas », rapporte le syndicaliste pour appuyer son propos.

En tout cas, la grève se poursuit à Holiday Inn comme à Mac Do. Les grévistes font face à deux mastodontes, et ont le désavantage de ne peser que sur un hôtel pour les uns et un restaurant pour les autres. Une situation qu’ont connue les factrices et facteurs Rivesaltes face au groupe La Poste. Cette dernière a laissé durer le conflit, étant peu touchée économiquement par une grève sur un seul bureau, compte tenu de son poids économique. Malgré cela, au bout de sept mois, la victoire était là. Il ne reste qu’à souhaiter la même fin heureuse aux salariés d’Holiday Inn et de Mac Do.