Ce mardi, les travailleurs sociaux seront dans les rangs des manifestants du pays contre la réforme des retraites. Plus encore, une quarantaine de collectifs et d’antennes syndicales appellent désormais à la grève reconductible. Or, comme dans bien d’autres franges du salariat, diverses contraintes pèsent sur ces salariés : éclatement de leur secteur, bas salaires, éthique propre au travail d’accompagnement… Alors, voeu pieux ou nouveau cap ?
« Construisons la grève reconductible ! » Tel est le mot d’ordre d’un communiqué signé par près de 40 antennes syndicales et collectifs de travailleurs sociaux régionaux, paru le 5 mars. « Toutes et tous dans la rue le 7 mars, le 8 mars on continue, le 9 mars on s’arrête plus », encourage la commission de mobilisation du travail social Île-de-France, rappelant que ce communiqué est issu des dernières rencontres nationales du travail social.
Ces rencontres sont un espace d’échange regroupant des collectifs de travailleurs sociaux et des représentants syndicaux, « où l’on prend des décisions globales. Depuis quelques temps, dans le médico-social, ce ne sont plus tellement les syndicats qui posent les dates… Mais ce collectif-là, dont on fait partie », salue Pascal Letertre, secrétaire départemental Sud Santé Sociaux Finistère, signataire de l’appel, et qui occupe également la fonction de secrétaire fédéral du syndicat.
Ces rencontres nationales ont plusieurs fois prouvé leur capacité à impulser une dynamique. En témoigne, une fois encore, ce communiqué. « L’objectif, c’est de contourner un peu les divisions entre les syndicats », glisse Mustapha Bouarouk, délégué CGT Equalis, une antenne également signataire de l’appel. « Pour l’instant, on arrive à imposer un calendrier. Un peu comme une locomotive… »
« C’est dur de tous nous coordonner »
Est-ce un signe que le médico-social, comptant près de 800 000 salariés en France mais extrêmement éparpillé entre diverses branches et statuts d’employeurs, peut esquisser un mouvement inédit ? « Dans notre milieu professionnel, c’est très compliqué de réussir à s’unir », nuance Pascal Letertre.
Certes, au cours des deux années de mobilisations des travailleurs sociaux autour du Ségur, les 50 000 manifestants du 7 décembre ont marqué les esprits. Le 2 février aussi : quelques milliers de travailleurs sociaux à Paris se sont rendus visibles entre deux mobilisations autour des retraites. « En plus de l’appel national, il y a eu ce jour-là beaucoup de petits mouvements sur le département, au niveau des établissements même », ajoute Pascal Letertre.
Mais dans la séquence retraites, créer un mouvement de grève durable est loin d’être gagné. « Rien que pour un événement, c’est dur de tous nous coordonner. Alors pour une reconductible… », reconnaît le responsable de Sud Santé Sociaux. L’association qui l’emploie, par exemple, dispose de 25 établissements dans le Finistère. Ceux-ci sont séparés parfois de 80 kilomètres. « On n’arrive déjà pas à nous rencontrer au sein de nos associations… C’est compliqué de faire circuler l’information dans chaque établissement. »
Les bas salaires et l’éthique de travail : principaux freins à la reconductible
Chez Equalis, ce mardi, la CGT dénombre une quarantaine de salariés en grève sur les 50 établissements franciliens. En plus de ceux-là, « certains vont faire “des grèves de zèle” au niveau de l’accueil du public », précise Mustapha Bouarouk. Le premier frein qu’il identifie chez ses collègues reste la perte de salaire. Dans le secteur de l’hébergement d’urgence, comme dans bien d’autres structures du social, les rémunérations dépassent à peine le SMIC.
Mais il y a des raisons plus ancrées encore. « Historiquement, les travailleurs sociaux doivent travailler sans revendiquer. Être syndiqué dans ce secteur, c’est mal vu. D’ailleurs le taux de syndicalisation est parmi les plus bas », analyse le délégué CGT . « C’est un secteur malade, or, comme il n’y a pas de tradition de dialogue social, les gens se mettent en arrêt de travail. Ils et elles résistent par d’autres moyens que les grèves ou les débrayages : arrêts de travail, démissions… Ce sont des formes de revendications invisibles ».
Et puis, comme dans la santé, l’éthique du travail pèse. Faire grève, c’est cesser un temps l’accompagnement du public. Et augmenter la charge des collègues, dans des structures souvent déjà à flux tendu. Chez Equalis par exemple, « on accompagne un public précaire, on est dans l’urgence et les salariés sont très engagés. Pour eux, c’est comme une culpabilité », expose Mustapha Bouarouk.
De plus, « on remarque beaucoup de directions qui culpabilisent les collègues lors des dernières mobilisations », pointe Pascal Letertre. Le responsable syndical a en tête un établissement du Finistère qui a convoqué, lors de la dernière journée de grève nationale, certains salariés. « Sans entraver directement leur mouvement ; mais pour leur dire que cela avait été un peu limite pour le fonctionnement du service… ».
« Tout le monde est en observation »
Mais le responsable de Sud Santé Sociaux reste optimiste. Nombre de ses collègues comptent rejoindre les rassemblements de ce mardi dans les cinq villes du Finistère concernées, dont Brest ou Quimper. S’agissant de la reconductible, « ce sera une histoire de temps. Tout le monde est en observation, notamment de ce qu’il se passe dans les raffineries ou les transports, là où les salariés savent faire ». Parmi ses collègues, il l’assure : « beaucoup sont prêts à se lancer, eux aussi ».
Pour parvenir à capter ses envies individuelles dans un mouvement reconductible, l’intersyndicale au soir du 7 mars « va être capitale », croit-il. De leur côté, les syndicats et collectifs du travail social se sont déjà donnés rendez-vous à Lille pour les prochaines rencontres nationales, le dernier week-end de mars. Au-delà du calendrier des retraites, celui de la future fusion des conventions collectives reste un enjeu de veille majeur pour le secteur.
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