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Apprentissage VS lycée professionnel : derrière l’opposition, les réalités du décrochage

Les enseignants se mobilisent ce 30 et 31 mai contre la réforme du lycée professionnel. Au fil des mois, le gouvernement a recouru à la comparaison entre le lycée professionnel et la voie de l’apprentissage pour défendre sa réforme. Leitmotiv : il y aurait trop de décrocheurs en lycée professionnel ; et une meilleure insertion grâce à l’apprentissage. Quelle réalité derrière cette présentation des faits ? 

 

 

Le 4 mai en Charente-Maritime, Emmanuel Macron justifiait sa réforme du lycée professionnel par un chantier prioritaire à ses yeux : le décrochage scolaire. « Sur 100 élèves qui entrent en lycée professionnel, on en a un tiers qui va décrocher sans bac ou sans diplôme », martelait-il. Des chiffres mis en comparaison avec la voie de l’apprentissage, régulièrement vantée par le gouvernement. Une donnée est régulièrement mise en avant : deux apprentis sur trois – 65 %, selon la DARES – sont en emploi salarié dans le secteur privé, 6 mois après leur diplôme.

Lors de son premier quinquennat, le président de la République avait fixé l’objectif d’un million d’apprentis par an. Un voeu quasi exaucé : en décembre 2022, on comptait 980 000 apprentis. Plus du double du niveau de 2017, même si l’augmentation concerne surtout les bac+3 et davantage. Ce développement massif a été favorisé par la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui élève à 30 ans la limite d’accès à l’apprentissage. En outre, la rémunération des apprentis est désormais presque intégralement prise en charge par l’État, non par l’employeur.

Aurait-on donc, face à face, une filière à réformer de lycéens décrocheurs VS une voie royale vers l’insertion professionnelle ? Derrière ces comparaisons, la réalité est bien plus nuancée.

 

Un tiers de décrocheurs, vraiment ? 

 

D’abord, vérifions les chiffres du côté des décrocheurs au lycée professionnel, en se penchant sur l’évolution des effectifs sur trois ans, de 2019 à 2021. En 2019, sur l’année de seconde, on comptait 178 338 entrants, selon la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance). En 2020, année de première : 179 596 entrants, « avec les quelques redoublants », précise Christian Sauce, ex-responsable syndical au SNUEP-FSU et professeur de lettres-histoire en lycée professionnel durant plus de trente ans. 2021, année de terminale : 163 367 entrants.

Cela équivaut à une perte de 9,6 % d’élèves entre les entrants en seconde et les entrants en terminale. Encore loin du tiers de décrocheurs avancé par Emmanuel Macron. Pour préciser encore, dans ses données sur 2021, la DEPP chiffre le taux de sortie à 9,5 % en seconde professionnelle. En première, ce taux est de 10,8. Toujours loin d’un tiers, donc.

 

30 % de ruptures de contrat dans l’apprentissage, une sur deux dans l’hôtellerie

 

« Un peu plus de 10 % de décrocheurs en lycée pro, certes, c’est beaucoup. Mais quand on regarde le nombre de ruptures du contrat d’apprentissage, on est sur du 30 % ! Avec des taux qui montent très haut dans certaines filières », expose Catherine Prinz, secrétaire nationale de la CGT Educ’action en charge de la voie professionnelle.

Regardons en effet les chiffres du côté de l’apprentissage. On enregistre près de 31 % ruptures de contrat en 2019, relève France Compétences. L’hôtellerie est un secteur majeur de ruptures de contrats : ce taux grimpe à 51 % – un apprenti sur deux !

Une rupture de contrat ne signifie pas forcément un abandon de la voie de l’apprentissage, puisque les apprentis peuvent reprendre un contrat ailleurs, par exemple. Mais voilà : toujours selon France Compétences, le taux d’abandons définitifs de la voie d’apprentissage est de… 22,3 %, tous niveaux confondus. Avec certains secteurs d’apprentissage marqués : à nouveau l’hôtellerie – 40 % d’abandons -, ou encore le bâtiment – 26,3 % d’abandons -.

Parmi les causes de ces sorties définitives de l’apprentissage avant toute obtention de diplôme, Christian Sauce rappelle en outre que « régulièrement, des employeurs nous débauchent les jeunes avant le diplôme ».

 

Insertion professionnelle : voir à plus long terme 

 

« Derrière la mise en avant de l’apprentissage, on a l’idéologie dogmatique du président, convaincu par le MEDEF que l’entreprise formerait mieux que le lycée pro », commente Catherine Prinz. Regardons là encore de plus près les chiffres de l’insertion professionnelle, dont le fameux deux apprentis sur trois en emploi, 6 mois après leur diplôme.

D’abord, ces données sont calculées sur le nombre de diplômés. « Mais la question est : combien j’ai d’entrants, et combien j’en ai à la sortie ? », rappelle Christian Sauce. Ces données ne prennent pas en compte les sorties avant diplôme, dont nous venons de rappeler le taux élevé.

Et puis, elles sont calculées le plus souvent à court terme, sur 6 à 12 mois. « Si à 6 mois il est vrai qu’on est plus inséré après un apprentissage, à plus long terme, c’est le lycée pro qui insère mieux que l’apprentissage », soutient Catherine Prinz. « S’il y a un accident de parcours, un besoin de reconversion, mieux vaut avoir été formé en lycée professionnel ».

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Il arrive que la DEPP observe les chiffres à un peu plus long terme. L’une de leurs notes indique que deux ans après leur sortie d’études, 72 % des apprentis contre 56 % des lycéens professionnels (de niveau CAP à BTS) sont en emploi salarié privé. « Il est néanmoins délicat de comparer telle quelle l’insertion après une voie scolaire et après l’apprentissage, car ce ne sont pas les mêmes profils d’élèves », note la DEPP. « L’insertion sur le marché du travail ne se fait pas au même rythme pour tous les jeunes et les parcours ne sont pas toujours continus dans l’emploi ». Et il s’agirait d’avoir des données à plus long terme, souhaitent les interlocuteurs interrogés.

 

Accidents du travail

 

Reste un enjeu oublié dans l’opposition entre l’apprentissage et le lycée professionnel : la protection des jeunes face aux accidents du travail. « La dangerosité de l’entreprise, plus on est jeunes, moins on est enclins à y répondre ou à se protéger. Le jeune est beaucoup moins protégé que l’adulte en entreprise », argumente Catherine Prinz. Exposition à des produits dangereux, manipulation de machines et d’outils à risques, violences sexistes et sexuelles au travail… « On manque de chiffres sur ces phénomènes. Or, on a des témoignages de jeunes qui remontent », s’inquiète la responsable syndicale.

« J’ai refusé de céder aux avances de mon patron d’apprentissage. J’ai été accusée de faute grave 15 jours plus tard avec souhait de licenciement », racontait l’une des témoins de la 14e enquête sur la perception des discriminations dans l’emploi, publiée fin 2021 par la Défenseure des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT) consacrée à la jeunesse, particulièrement concernée par la problématique.

En délivrant des enseignements généraux et techniques avant la plongée dans le monde de l’entreprise, le lycée professionnel armerait mieux les jeunes, défendent les responsables syndicaux. « L’Éducation nationale forme les jeunes à la citoyenneté, donc aussi à la législation, aux enjeux du droit », affirme également Christian Sauce. « Quelle formation au monde du travail veut-on pour nos enfants ? »

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