Augmenter la compétitivité de l’entreprise pour les uns, intensifier l’exploitation des travailleurs pour les autres, l’allongement du temps de travail à l’usine PSA de Vesoul suscite des réactions contrastées. À compter du mois de septembre, les 35 heures seront rangées aux vestiaires sur ce site de Peugeot.
« Je veux être le président du travail, remettre le travail à l’honneur, encourager celles et ceux qui travaillent au quotidien », affirmait Emmanuel Macron pendant la campagne électorale l’an passé. Cela n’en prend pas vraiment le chemin chez PSA, au moins sur son site de Vesoul, spécialisé dans les pièces détachées. À partir du mois de septembre, ses 3000 salariés, dont 500 employés en sous-traitance, travailleront 37 h 45 au lieu de 35 heures, sans voir leur salaire augmenter en proportion. Avec 33 minutes de plus par jour, le temps de travail augmentera de 7,85 %. Les rémunérations ne progresseront, elles, que de 3,1 %. Conséquence : une baisse du salaire horaire en guise d’encouragement.
C’est le résultat de la mise en œuvre par le groupe PSA de son premier « accord de performance collective », un des dispositifs prévus par les ordonnances de la loi travail. Ce type d’accord permet de modifier le temps de travail, la rémunération et les conditions de la mobilité professionnelle. Surtout, une fois signé, il prime sur le contrat de travail. L’entreprise au lion est friande des dispositions contenues dans les ordonnances. À peine séchée l’encre du décret d’application portant sur les ruptures conventionnelles collectives en décembre, elle entamait tambour battant un cycle de négociations sur ce point et signait un accord en janvier 2018 avec cinq des six syndicats de l’entreprise. Ce coup-ci, à Vesoul, l’accord de performance collective a été signé par la CFE-CGC, la CFTC et FO. Seule la CGT n’a pas paraphé le texte.
Résignation, peur, contreparties et signature
« Les salariés sont dans l’acceptation par la résignation. Ils se disent que c’est un moindre mal avec des embauches et des investissements donnant quelques perspectives pour le site », analyse Jean-Paul Guy, délégué CFTC à Vesoul, en convenant que la fin des 35 h a fait grincer des dents. « Sans valoriser l’accord, nous l’avons expliqué et fait de la pédagogie sur les contreparties », explique le responsable local de la centrale syndicale chrétienne. De son côté, la direction de PSA a mis en avant un besoin de compétitivité sur un marché concurrentiel et a communiqué sur un accord indispensable pour assurer la pérennité du site. De quoi susciter l’inquiétude dans un bassin d’emploi où Peugeot est de très loin le plus gros employeur. Pourtant, il a enregistré des bénéfices records cette année : 1,9 milliard d’euros (+11,5 %).
Afin d’obtenir la signature de l’accord par les syndicats, le constructeur automobile a lâché, au compte-goutte, quelques contreparties au cours des six séances de négociation. Ainsi, il a mis dans la balance l’embauche de 80 salariés sur trois ans et l’investissement de 20 millions d’euros pour moderniser le site. Des avancées qui n’en sont pas pour Jean-Pierre Mercier, délégué syndical central (DSC) CGT de PSA, qui est convaincu que les investissements étaient déjà prévus. « Le site est viable, mais la direction en veut toujours plus », affirme-t-il en rappelant l’affaire de collusion entre Renault et Peugeot visant à gonfler leurs tarifs, révélée par Mediapart.
D’où pour lui cette augmentation du temps de travail non compensée par une hausse équivalente des salaires. Du travail gratuit pour ce syndicaliste. « Sur le même site, dans un autre bâtiment, la direction va supprimer 150 emplois par an sous forme de départs volontaires. La balance est hyper négative avec ces 450 emplois perdus », argumente-t-il. Pour lui, les 80 embauches annoncées par Peugeot correspondent au transfert à Vesoul de l’activité du site de Gonesse, sur lequel 76 emplois sont liquidés. « Ce sont des salariés de plus de cinquante ans à qui l’on propose une mobilité ou le licenciement », affirme-t-il.
Quand le diable se cache dans les détails
Là où Force ouvrière conditionnait sa signature de l’accord à une prime annuelle de 200 € en mesures additionnelles, la direction n’a finalement consenti qu’une prime unique, peu généreuse, d’un montant de 100 € brut par salarié. PSA a également accordé une majoration des heures supplémentaires, mais en trompe-l’œil. Au-delà de 37 h 45, et jusqu’à 43 h, les dépassements horaires seront payés 40 % de plus au lieu de 33 % auparavant. Mais les 2 h 45 au-delà de 35 h n’étant plus du tout majorées, cela induit une baisse de la rémunération des heures supplémentaires. Ensuite, pour les salariés refusant ces nouveautés, la direction a été plus généreuse que la loi qui prévoit la rupture du contrat de travail. Une mobilité interne sera proposé avant le licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Mais là, le texte ne fixe pas les contours de cette mobilité. Ils sont renvoyés à d’autres discussions. Sur ce point, syndicats signataires et non-signataires sont d’accord : elle ne concernera que peu de salariés. Déménager ou perdre son emploi n’étant pas très attractif. Enfin, PSA s’engage à ne pas externaliser d’activités sur le site de Vesoul jusqu’en 2021. Cette clause est maintenue par tacite reconduction chaque année pendant cinq ans. Mais chacune des deux parties pouvant dénoncer cette disposition, rien ne garantit, au vu des pratiques d’autres grands groupes industriels, que cet engagement tiendra cinq ans.
« Cela doit servir d’exemple et de leçon à tous les salariés », avance Jean-Pierre Mercier, les exhortant à se « préparer à rentrer dans la bagarre pour le maintien des 35 h ». La direction de PSA n’a aucunement annoncé une extension à d’autres sites d’une remise en cause des 35 h. Pourtant, le DSC de la CGT s’y attend pour 2019, après les élections professionnelles. D’ici le mois d’avril, chaque site votera à son tour pour nommer les représentants du Conseil social économique, l’organisme qui fusionne les Comités d’entreprise et les CHSCT. Là aussi, c’est une disposition contenue dans les ordonnances modifiant le Code du travail, voulues par Emmanuel Macron.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.