Face à Macron, les cheminots ont perdu leur régime spécial. Les énergéticiens, les salariés de la RATP et de la banque de France, aussi. En ce mois de juin, c’est au tour des dockers et des portuaires de se battre pour préserver la possibilité de partir à la retraite plus tôt. Une bataille qui s’annonce longue et de haute intensité. Reportage au Havre.
« Nous ferons de la retraite, non plus une antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie. Ambroise Croizat, ministre communiste ». Ce 7 juin, au Havre, le tag fraichement inscrit sur la façade d’Haropa port, entreprise publique gestionnaire d’une partie du domaine maritime, donne le ton pour les semaines à venir.
Placée sous l’égide d’un de fondateurs de la sécurité sociale, la bataille engagée par les travailleurs des ports en ce mois de juin est présentée comme dépassant le seul cadre de leur profession.
Après la réforme du statut des cheminots en 2018 et la réforme des retraites en 2023, nombreuses sont les professions (cheminots, énergéticiens, employés de la RATP ou encore de la banque de France) à avoir perdu leur régime spécial de retraite. S’ils ne disposent pas de régime spécial, les dockers et portuaires* partent généralement à la retraite aux alentours de 55 ans grâce à différents dispositifs. Soumis à la dernière réforme des retraites, ils refusent donc de voir leur âge légal de départ repoussé de deux années.
Ainsi, si leur bataille reste sectorielle, elle pose une question à l’ensemble des forces sociales du pays. Une branche professionnelle aussi fortement organisée autour de la défense de ses droits peut-elle enfin résister aux réformes anti-sociales de Macron ?
Quatorze journées en juin
Pour gagner, la fédération CGT des Ports et Docks (FNPD-CGT) a mis le paquet. Après avoir acté l’échec des négociations menées ces derniers mois avec le ministère des transports, elle a appelé, le 30 mai, à 14 journées de grève tout au long du mois de juin.
Dix de ces journées sont rythmées par des arrêts de travail de 4 heures, s’y ajoutent trois journées de grève de 24 heures ainsi qu’une journée dite « ports morts », ce 7 juin, soit une grève de 24h assortie d’un blocage total des ports.
Ce jour-là, partout en France, dockers et travailleurs portuaires ont bloqué les entrées de nombreux ports (Le Havre, Rouen, Saint-Nazaire, Marseille, Fos-sur-Mer…). Au Havre, les piquets se sont multipliés sur différents quais et les portuaires ont bloqué un giratoire de centre ville à grand renfort de pneus et de véhicules. Avec 100% de dockers syndiqués CGT en grève, sur un effectif total de 2800 personnes, le commerce sur le port est évidemment à l’arrêt.
Les grévistes savent que la victoire est possible. Ils gardent en tête la date de 2017. À cette époque, Emmanuel Macron, tout juste élu président de la République, avait réformé le code du travail par ordonnance. Les dockers, tout comme les routiers, avaient obtenu une dérogation pour leur convention collective et refusé que celle-ci puisse être remise en cause par des accords d’entreprise, contrairement à ce que prévoyaient le gouvernement.
Amiante et retraite des dockers
Installé à son bureau au syndicat des dockers du Havre, Jérémie Julien, secrétaire général adjoint, résume : « Notre objectif, dans la profession, c’est le départ à 55 ans. On n’en déroge pas. On sait qu’au-delà un docker commence à fatiguer et que le travail devient dangereux pour lui. C’est un métier très dur, on a 8 ans d’espérance de vie en moins en moyenne ».
Si les dockers et certains travailleurs portuaires ont pour habitude de partir à 55 ans, c’est notamment parce qu’ils sont éligible à la préretraite dite « amiante ». Celle-ci abaisse l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans moins le tiers de la durée de travail effectuée dans l’établissement exposé à l’amiante.
« Concrètement, un docker exposé à l’amiante pendant 15 ans peut partir à la retraite à 55 ans », continue le syndicaliste. Mais ce dispositif ne s’applique pas à tous les dockers. « Tous les gars qui sont entrés après 2004, donc qui ont moins de 20 ans d’ancienneté, ne sont pas éligibles. Cela représente la moitié de nos effectifs. Or il y a toujours de l’amiante dans nos conteneurs ! » Jérémie Julien désigne un grand tableau derrière lui, des dates d’obsèques y sont notées. « Je peux vous dire que c’est un revers de la médaille très cher payé. Cette retraite à 55 ans, elle coûte cher, toutes les semaines nous avons des enterrements de camarades ».
Les dockers bénéficient également d’un dispositif de pénibilité qui permet de partir à la retraite jusqu’à 4 années plus tôt s’ils cumulent 21 ans d’ancienneté en 2025. « Mais c’est 4 années en moins par rapport à 64 ans. Donc ça fait toujours 60 ans et c’est trop », tranche le syndicaliste. À noter que l’amiante, la pénibilité, ou le cumule des deux, ne permettent pas à un docker de partir avant 55 ans.
Ainsi, la FNDP exige que la reconnaissance de l’exposition à l’amiante soit reconnue jusqu’en 2027 et qu’une cinquième année de pénibilité soit accordée pour amortir les effets de la réforme.
Des syndicats puissants
« On est sur une bataille qui nous est propre et on ne la perdra pas. Si le gouvernement s’obstine, il va mettre les ports à feu et à sang », prévient le docker Jérémie Julien. Pour peser dans ce conflit long, dockers et portuaires disposent de différents atouts.
Dans les ports, des dockers aux marins, la grève coordonnée pour « tout paralyser »
Du fait de l’histoire de la profession – bénéficiant d’un statut proche de l’intermittence jusqu’en 1992 – leurs syndicats gardent une place majeure dans l’organisation du travail portuaire. Notamment grâce à leur capacité à gérer le flux de marchandises et donc de main d’œuvre. Sur le rond-point bloqué qui jouxte Haropa Port, Laurent Delaporte, secrétaire général du syndicat des travailleurs portuaires explique :
« Dans un port, le travail est imprévisible. Un bateau, ça peut avoir du retard. Et quand il y a trop de boulot, les employeurs demandent aux salariés d’effectuer des plages horaires de travail supplémentaires. Dans le jargon on parle de “shifts exceptionnels”. Or pour se faire accorder ces shifts, ils demandent l’accord des syndicats. »
La FNDP a également son mot à dire sur les décisions stratégiques qui concernent le développement du secteur portuaire français. À ce titre, elle exige d’ailleurs un plan d’investissement de 10 milliards d’euros dans les ports français. Enfin, aujourd’hui encore, le syndicat des dockers du Havre garde un œil sur l’embauche des nouveaux entrants dans la profession.
Autant d’atouts qui rendent la fédération incontournable dans les négociations à venir et qui font que rien n’est joué d’avance. « Dans une profession où un syndicat pèse 20% des effectifs, les employeurs peuvent se passer de lui. Mais quand c’est 100% c’est impossible. Même si on ne vous aime pas on est obligés de vous prendre en compte », conclut Jérémie Julien. Si le gouvernement ne lâche rien, la fédération menace de hausser encore le ton au mois de juillet.
*Dockers et portuaires
Les dockers, aussi appelés débardeurs, sont les ouvriers du chargement et déchargement des navires. C’est une profession uniquement masculine. De leur côté, les portuaires sont chargés de la manutention, de la réparation, de la maintenance ou encore du nettoyage sur la zone du port.
Les dockers et les portuaires se répartissent majoritairement dans deux syndicats CGT distincts mais sont rassemblés, depuis 2008, au sein de la Fédération nationale des ports et docks CGT et de la convention collective des ports et de la manutention.
Crédit photos : Guillaume Bernard
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