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Réforme des retraites : les syndicats face à la niche du Rassemblement national

Ce 31 octobre, à l’occasion d’une niche parlementaire, le Rassemblement national mettra l’abrogation de la réforme des retraites à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Un piège tendu à la gauche et au mouvement social, qui se trouvent face à un dilemme. Comment maintenir le cordon sanitaire face à l’extrême droite tout réaffirmant la volonté de faire tomber la réforme ?

Depuis quelques semaines, une proposition de loi (PPL) du Rassemblement national (RN) agite les esprits à gauche. Elle propose l’abrogation du report progressif de l’âge de départ en retraite de 62 à 64 ans, ainsi que de l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation. En bref : l’abrogation de la dernière réforme des retraites. Le parti d’extrême droite la mettra à l’ordre du jour des séances publiques de l’Assemblée nationale, via sa niche parlementaire, ce 31 octobre.

A première vue, la proposition est séduisante, puisque les députés de gauche se sont battus contre la réforme des retraites en 2023. Mais elle exige de rompre le cordon sanitaire consistant à ne voter aucune loi émanant de l’extrême droite. La majorité des députés du NFP s’y refuse donc. D’abord le groupe socialiste, qui a déclaré ne pas voter (sans préciser s’il s’agit d’un vote contre ou d’une abstention) le texte du RN dès le 24 septembre. Puis le groupe La France Insoumise (LFI), qui, ce 23 octobre, a accusé, dans un communiqué, le projet de loi de porter en creux le démantèlement de la sécurité sociale. Une position appuyée par une note de blog de Jean-Luc Mélenchon. De son côté, le groupe écologiste n’a, à cette heure, pas de position commune sur le sujet. Enfin, le groupe Gauche démocrate et républicaine, qui comprend les neuf députés communistes, a déclaré ne pas donner de position commune.

Si ce sont bien les députés qui votent, le débat, lui, s’est exporté hors de l’enceinte de l’Assemblée nationale. Le 16 octobre, une tribune parue dans Le Média, signée par différents intellectuels de gauche, comme l’économiste Frédéric Lordon, le sociologue Bernard Friot, ou encore la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, a appelé les députés du NFP à voter le texte du RN. Argument invoqué : ne pas « laisser le monopole de la lutte contre le néolibéralisme et la Macronie au RN ». Fers de lance de l’opposition à la réforme des retraites, les syndicats ont également été amenés à se positionner. 

« J’ai du mal à comprendre les camarades qui disent qu’il faut voter cette proposition de loi et je suis prêt à mener le débat avec eux », réagit Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT.

Les deux principales confédérations (CFDT et CGT) ont ainsi décidé d’affirmer leur opposition au texte du RN. Avant tout parce qu’il n’apparaît pas comme un moyen crédible de faire tomber la réforme des retraites. « La PPL RN est une arnaque. Qu’elle soit votée ou non à l’Assemblée, son parcours ne durera pas plus de 24 heures. Elle ne sera pas reprise au Sénat puisque RN n’y dispose d’aucun groupe  », affirme Denis Gravouil. Même discours du côté de la CFDT. « C’est une niche qui n’a pas de parcours législatif. Elle ne sera jamais mise à l’ordre du jour au Sénat et il n’y aura jamais de vote  », appuie Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT.

Les syndicats soulignent un autre point de désaccord technique : le financement. « Le RN veut financer sa PPL par une taxe sur le tabac…c’est typiquement ce que l’on propose quand on n’a aucune volonté réelle de financer une réforme  », tacle le cégétiste. « Cette taxe sur le tabac montre bien qu’on est sur une simple mesure d’affichage. Si on la prenait au sérieux, cela voudrait dire qu’il faudrait tripler le prix du paquet de cigarettes et que le nombre de fumeurs reste constant  », poursuit le cédétiste. Le financement bancal de la PPL du RN l’exposerait en outre  à l’article 40 de la constitution. Ce dernier empêche les parlementaires de proposer des lois qui diminuent les ressources publiques et peut être mobilisé par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance).

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Enfin, les deux syndicalistes rappellent que le financement du système des retraites ne doit, selon eux, pas être soumis aux aléas d’une taxe mais bien financé par le travail salarié et la cotisation. Syndicats et organisations patronales participaient d’ailleurs à une audition à l’Assemblé nationale, le lundi 21 octobre, pour présenter des pistes qui permettraient de financer l’abrogation de la réforme.

Ainsi, la CGT préfère miser sur la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites qui sera portée par les différentes composantes du Nouveau Front Populaire. « Cette fois, il y a un parcours. La proposition de loi de la gauche sera présentée le 28 novembre à l’occasion d’une niche parlementaire de La France Insoumise, elle serait reprise le 23 janvier au Sénat par le groupe communiste et reviendrait à l’Assemblée le 6 février grâce aux écologistes », détaille Denis Gravouil. De son côté, la CFDT analyse encore la proposition LFI. « Certes, à la différence de la PPL RN, ce n’est pas une voie sans issue. Mais nous devons encore regarder en détail quel financement est proposé par LFI avant de nous prononcer  », soutient Yvan Ricordeau.

 « Le Rassemblement national se fout de la réforme des retraites. Pire, des militants d’extrême droite ont physiquement attaqué des piquets de grève, devant les universités par exemple, se rangeant ainsi derrière les défenseurs de cette réforme  », rappelle Julie Ferrua, co-déléguée générale de l’Union Syndicale Solidaires. Plusieurs syndicalistes rappellent également le retournement de veste magistral de Jordan Bardella lors de la dernière campagne législative. Se croyant déjà 1er ministre, le président du Rassemblement national était alors revenu sur sa promesse d’abroger la réforme des retraites, au nom d’une prétendue crédibilité économique.

Malgré tout, dénoncer « l’imposture sociale du RN » ne suffit pas toujours. « En bureau national (instance qui comprend les fédérations et les structures locales rattachées à l’Union syndicale Solidaires, ndlr) début octobre, nous n’avons pas trouvé une forme d’expression aussi claire qu’à la CGT. Des structures nous ont fait remonter la volonté des salariés de voter toutes les niches qui proposent une abrogation de la réforme des retraites. Pour certains salariés, le RN est banalisé et ne pas voter une loi qui les empêcherait de travailler six mois ou un an de plus alors qu’ils sont déjà cassés par leur travail est difficilement compréhensible », rapporte Julie Ferrua. Solidaires ne donnera donc pas de consigne claire en défaveur du vote. 

La syndicaliste analyse : « Cela dit aussi quelque chose de nos faiblesses. On manque clairement de temps et de moyens pour convaincre les salariés que cette niche est un simple coup de com’, qui va s’arrêter. Et en face on a un parti d’extrême droite qui se prépare depuis des années. »

Si Solidaires prépare un texte dénonçant la stratégie pernicieuse du RN, d’autres syndicats préfèrent rester muets. Force ouvrière, pr exemple, refuse de se positionner. « Le RN fait une proposition de loi qui correspond à une abrogation de la dernière réforme des retraites ? Dont acte », tranche, laconique, Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force Ouvrière. Sa position se veut conforme à celles tenues lors des dernières élections présidentielles et législatives, la troisième organisation syndicale du pays refusant de donner des consignes de vote, quitte à ne pas se prononcer contre le Rassemblement national. « Il y a des syndicats ou cette question est compliquée, puisqu’il y a une vraie base d’adhérents qui vote RN. Les prises de position contre l’extrême droite sont aussi difficiles à obtenir dans les confédérations qui syndiquent fortement des policiers », confie un cadre syndical.

À la CFDT, la décision de s’opposer à la PPL du Rassemblement national sur les retraites a été prise lors d’un bureau national (comprenant les fédérations et les structures régionales), mi octobre. « Aucun désaccord majeur n’a émergé alors et la décision a été prise de ne pas se laisser dicter de mauvaises solutions par d’autres », détaille Yvan Ricordeau. A la CGT, la position a été débattue à la commission exécutive confédérale*, le CCN** ne se réunissant que début novembre.

*La commission exécutive confédérale (CEC) de la CGT est constituée d’une soixantaine de membres élus lors du dernier congrès confédéral. Elle siège deux fois par mois pour gérer les affaires courantes.

**Le comité confédéral national (CCN) de la CGT est constitué de tous les secrétaires généraux des unions départementales et des fédérations (128 membres). Il est considéré comme un parlement de la CGT.

Crédit photo : Serge D’ignazio