Ce 26 novembre, les 24 salariés d’ArcelorMittal Denain se sont mobilisés contre la fermeture de leur usine. Menacés de licenciement, ces ouvriers, qui ont pour certains travaillé près de 20 ans ensemble, voient leur quotidien bouleversé. La fermeture rappelle la désindustrialisation passée et semble annoncer la future.
« Ici on est une petite famille, on est 3 à s’être mariés dans l’année, on allait tous aux mariages les uns des autres », sourit Clément Thiery. Désormais, l’heure n’est plus aux festivités pour les 24 salariés d’ArcelorMittal Centre de service. Une semaine auparavant, leur direction leur a annoncé sa volonté de fermer l’usine de Denain, dans laquelle ils travaillent. La douche froide est suivie d’une réaction immédiate : ils n’iront plus bosser. La grève est lancée.
Parce qu’à 200, on est plus forts qu’à 24, les grévistes de Denain ont accueilli de nombreux camarades sur leur piquet, ce 26 novembre. Des métallos de PSA Valenciennes, ArcelorMittal Dunkerque, ou Montataire (Oise), principalement issus des rangs de la CGT Métallurgie, sont venus en renfort. Les grévistes sont également soutenus par des élus locaux, des voisins et quelques figures politiques comme Jean-Pierre Mercier de Lutte Ouvrière, ou Cédric Brun, de l’UD CGT du Nord, également élu Insoumis au Conseil régional des Hauts-de-France. Au programme : barbecue et prises de parole, musique et discussions. Mais le soleil a beau être au rendez-vous, les visages sont maussades. La fermeture est prévue pour l’été, la petite famille sent bien qu’elle pourrait être contrainte de se désunir.
Peu de reclassements
« On se casse le cul ici pendant toute notre vie et voilà comment on nous remercie« , peste Jean-Loup, opérateur de production. Sur ce site, il a fabriqué et découpé des plaques de tôle sur mesure pendant des années, en 2×8 : 5h – 12h50 ou 12h50-20h. « A mon âge, on le sent passer quand il faut se lever à 3h« , explique l’habitant de Cambrais, qui approche de la soixantaine. Julien Mortellette, lui, fait partie des jeunes de l’équipe. Mais à 39 ans il a passé l’entièreté de sa carrière d’ouvrier sur le site de Denain, soit plus de 17 ans. « Je n’ai connu que ça, et comme il n’y a que très peu de reclassements je ne sais pas si je vais pouvoir rester dans la boîte« , anticipe-t-il. En effet, le site de Denain n’est pas le seul concerné, la direction d’ArcelorMittal Centre de service a aussi annoncé la fermeture de son site de Reims. Cette fois, 112 personnes sont menacées. « Sur l’ensemble des deux sites, il ne devrait y avoir que 19 reclassements« , rappelle Julien. « Tu pourras peut-être bosser à la mairie ?« , lui suggère son collègue Patrick Descamps.
Quant à sauver le site, on n’ose y croire. « En octobre encore, on nous annonçait 150 000€ de bénéfice net, le site est rentable, mais ce n’est pas assez pour les patrons. Au fond, ce qu’on voudrait, c’est une nationalisation. Il y a ici des savoirs-faire et un outil industriel dont on a toujours besoin. Le gouvernement dit qu’il veut réindustrialiser…qu’il agisse« , assène Clément Thiery. Pourtant, à 24 contre une multinationale qui compte 15 000 salariés seulement en France, le rapport de force semble difficile à établir. « On n’abandonnera personne et on se battra pour que tout le monde ait une solution qui lui convienne. En plus de licencier, ArcelorMittal refuse les offres de reprise pour affaiblir la concurrence, c’est un scandale« , assure Cédric Brun, chargé de la politique industrielle à l’UD du Nord. Une prochaine réunion concernant l’avenir des sites de Reims et Denain doit se tenir le 4 décembre. A Denain, une journée de grève est envisagée ce jour-là. En entendant, le travail pourrait reprendre.
Début d’une série noire
Comme un symbole, les actuels locaux d’ArcelorMittal Denain ont appartenu à Usinor, du nom de l’ancien groupe sidérurgique français. « On est sur un site plus que centenaire », assure Clément Thiery. « Usinor », c’est aussi le nom du traumatisme qui a frappé Denain à la fin des années 1970. A cette époque, le principal employeur du Valenciennois annonçait un des plus gros plans de licenciement jamais vu en France : 5500 salariés concernés. Véritable ville dans la ville, le site Usinor de Denain, qui produisait à son apogée 2 millions de tonnes d’acier par an, est aujourd’hui toujours en grande partie à l’abandon.
Même si elle est sans commune mesure avec le départ d’Usinor, la fermeture du site d’ArcelorMittal rappelle inévitablement cet épisode. « Les fermetures d’usines, dans le coin, on y est habitué », soupire Patrick Descamps. Proche de la retraite lui aussi, l’opérateur de production a déjà connu un licenciement et une fermeture d’usine puisqu’il était salarié de l’usine Sollac à Biache-Saint-Vaast (62), fabricante de tôle pour l’automobile, fermée en 2002.
Présents sur le piquet de Denain, les syndicalistes locaux s’attendent à ce que la désindustrialisation continue. « Dans l’automobile, on craint beaucoup pour le site Stellantis d’Hordain, qui compte 2200 salariés et pourrait délocaliser une grande partie de l’activité en Turquie« , prévient Ludovic Bouvier de la CGT Métallurgie. La période est d’ailleurs à « la saignée », dénonce la confédération CGT. Elle dénombre entre 128 259 et 200 330 emplois menacés ou supprimés depuis septembre 2023. Les secteurs les plus touchés sont la métallurgie et le commerce, avec respectivement 13 000 et 10 000 emplois concernés.
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