Le syndicat agricole Coordination rurale affirme être apolitique. Pourtant, sur le terrain, nombreux sont ses représentants qui affichent ouvertement leur proximité idéologique avec l’extrême droite, de l’Action française à Zemmour.
« C’est un énorme plaisir de voir votre jeunesse, ça me fait chaud au cœur. » La vice-présidente de la Coordination rurale, Sophie Lenaerts, participe à une université d’été, le 23 août dernier. Mais pas n’importe laquelle. Elle est organisée par l’Action française, un mouvement politique d’extrême droite, nationaliste et royaliste.
Comme en attestent les photos et vidéos circulant sur les réseaux sociaux, les drapeaux de la Coordination rurale se mêlent aux banderoles – « Vive la France, vive le roi » ou « Reprenons le contrôle » – du groupuscule antirépublicain et à la longue histoire antisémite. Trois mois après cette intervention, Sophie Lenaerts accorde un entretien à Boulevard Voltaire, un site d’actualité français d’extrême droite cofondé par Robert Ménard en 2012.
Est-ce une initiative isolée d’une représentante nationale de la Coordination rurale ou une stratégie assumée de ce syndicat agricole, présenté par nombre de médias comme le « challenger » de la FNSEA (syndicat majoritaire) ? Interrogée à ce sujet, la Coordination rurale n’a pas donné suite. Localement, des sections départementales du syndicat montrent très clairement leurs accointances.
C’est le cas dans le Tarn-et-Garonne où les syndicalistes invitent Éric Zemmour, fondateur de Reconquête, le 15 novembre dernier, pour parler de la crise agricole. Au printemps 2024, la Coordination rurale locale s’était déjà affichée sur un marché local aux côtés de la députée Rassemblement National (RN) de la circonscription, « du jamais vu dans la région » précisait alors le quotidien La Dépêche.
Un influenceur « humoristique » d’extrême droite dans leurs rangs
En cette mi-novembre, c’est donc au tour d’Éric Zemmour de se réjouir sur les réseaux sociaux de cet échange « avec plus de 250 paysans » de la Coordination rurale. « Un moment fort restera gravé dans ma mémoire », précise-t-il, ma visite chez Pierre-Guillaume, qui m’a accueilli dans son élevage de cochons laineux. […] Le combat qu’il mène pour préserver son élevage est devenu un symbole de résistance dans le monde paysan. »
Cet éleveur n’est autre que Pierre-Guillaume Mercadal qui a largement gagné en notoriété en février 2024, lors du Salon de l’agriculture. La vidéo où il franchit les rangées des CRS, immense, béret noir sur la tête et bras levés, pour rejoindre le cortège présidentiel, a été vue des dizaines de milliers de fois. Avant cet événement, cet éleveur s’était d’abord fait connaître localement pour son conflit d’usage sur un chemin communal avec le maire de Montjoi, petite commune du Tarn-et-Garonne.
À partir de mai 2023, Pierre-Guillaume Mercadal reçoit le soutien de l’influenceur d’extrême droite Ugo Gil Jimenez, dit Papacito, qui consacre à son combat une longue vidéo. Arrêt sur images la résume ainsi : « Représenté sous un déguisement de fouine, le maire de Montjoi y est notamment pourchassé par plusieurs SUV dans une carrière, avant d’être capturé, sodomisé dans le coffre de l’un des véhicules, et abandonné pantelant sur le sol. »
À la suite de cette vidéo, le compte YouTube de Papacito a été supprimé. Pierre-Guillaume Mercadal, lui, « s’est intégré dans la petite communauté des « lol fafs », influenceurs « humoristiques » d’extrême droite ». Poursuivi pour outrage à quatre personnes dont le maire de Montjoi, Pierre-Guillaume Mercadal a été condamné le 26 juillet dernier par le tribunal correctionnel de Montauban à un an de prison avec sursis et à 17 500 euros d’amendes à verser aux victimes.
Ce dernier a fait appel et indique considérer sa condamnation « comme une médaille ». Pierre-Guillaume Mercadal, désormais présenté comme membre de la Coordination rurale du Tarn-et-Garonne, a assuré la conclusion du 31e congrès national du syndicat le 19 novembre dernier, quatre mois après sa condamnation. C’est aussi lui qui a appelé début janvier, au nom de la Coordination rurale, à « bloquer Paris ».
Passerelles
Dans d’autres départements, les liens sont palpables entre le Rassemblement national et la Coordination rurale. Christophe Barthès, ancien vice-président du syndicat dans l’Aude, fait partie de la vague de députés RN élus en juin 2022. Philippe Loiseau, ancien député européen et ex-conseiller de Marine Le Pen pour les dossiers agricoles, avait adhéré à la Coordination rurale dès sa création en 1991. « Rapidement, à la Coordination, on m’a demandé (et c’était normal) de choisir entre politique et syndicalisme, j’ai choisi », précise Philippe Loiseau.
Plusieurs représentants de la Coordination rurale n’hésitent pas à cumuler les deux. Alors qu’il présidait la Coordination rurale du Gard dans les années 2010, avant de passer la main en 2013, Richard Roudier fonde au même moment la Ligue du Midi, qui porte la liste du Bloc identitaire lors des élections régionales en Languedoc-Roussillon. La Ligue du Midi « est un groupuscule violent aux idées xénophobes », résumait la présidente de la Ligue des droits de l’homme de Montpellier en 2018.
Certains de ses militants se sont par exemple filmés en train de vider le rayon halal d’un supermarché pour le remplir de « produits 100 % cochon ». Leur devise ? « Maîtres chez nous ». Le site internet du parti affiche, encore aujourd’hui, la Coordination rurale comme l’une de ses « sources principales ».
Un syndicat divisé
Interrogée à de multiples reprises sur les liens de la Coordination rurale avec le RN, Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale depuis 2022, lâche le 20 janvier sur France inter : « Au niveau agricole, si tout le monde avait le même discours qu’eux, je pense qu’on pourrait aller dans le bon sens. » Cette déclaration agace une partie des adhérents, à commencer par Bernard Lannes, qui a présidé la Coordination rurale de 2010 à 2022. En mars 2024, dans les colonnes du Monde, il dénonce la dérive d’un « syndicat en train de perdre sa spécificité apartisane et apolitique ». Lui-même s’était fendu d’une lettre en 2012 à Marine Le Pen pour rappeler « l’indépendance du syndicat » et sa « volonté de ne plus le voir associé a un quelconque parti politique ».
Les digues ont aujourd’hui complètement sauté. Bernard Lannes évoque le déjeuner, lors du salon de l’agriculture 2024, entre la direction du syndicat et Jordan Bardella. « De mon temps, on ne l’aurait jamais fait, ni reçu en grande pompe Marine Le Pen », dit-il. Il note aussi le basculement, selon lui, de l’équilibre interne du syndicat : « C’est le Lot-et-Garonne et ses représentants qui prennent la main sur le mouvement. » L’ancien patron de la Coordination rurale vise Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne depuis 2013. Alors que son fils se présente sous l’étiquette Front National (FN) aux législatives lors d’une partielle en 2013, le responsable syndical précise à l’époque au journal Libération : « Comme tous les Français, je partage 80 % des idées du FN. Et, bien entendu, je soutiens mon fils, car c’est mon fils. Mais je n’appartiens pas au FN. » Selon les informations du Monde, Serge Bousquet-Cassagne a brigué sans succès une place sur la liste du RN aux élections européennes de juin dernier. « Aujourd’hui, Jordan Bardella est notre dernier espoir », a-t-il encore déclaré à la presse locale en novembre 2024.
Dans un tract pour les élections des chambres d’agriculture, qui se déroulent partout en France jusqu’au 31 janvier, Serge Bousquet-Cassagne se targue d’être « un président passé 17 fois au tribunal ». Il a notamment été condamné en appel en 2022 à dix mois de prison avec sursis pour la construction illégale de la retenue d’eau de Caussade. Il est également étrillé par la Cour des comptes pour sa gestion opaque de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne. Lui considère être « le gilet pare-balles de tous ceux qui nous veulent du mal ». Et assure « être dans le camp de ceux qui luttent pour que notre race ne s’éteigne pas », une terminologie clairement empruntée à l’extrême droite.
« Purge » ?
Dans un article publié dans L’Opinion le 14 juillet 2024 intitulé « Ambiance de purge à la Coordination rurale », des membres et cadres du syndicat dénoncent « une reprise en main autoritaire des départements par des instances dirigeantes, proches de la CR47 [Coordination rurale du Lot-et-Garonne] ». « Toutes les voix qui ne sont pas d’accord avec la radicalisation violente et politique du syndicat sont réduites au silence », indique le représentant du syndicat en Haute-Saône. « Le succès médiatique est monté à la tête de la CR47 », souligne Bernard Lannes. « Ils veulent prendre la main sur le syndicat depuis le sommet. »
« Nous nous sommes bien réparti les rôles », assure pour sa part Serge Bousquet-Cassagne auprès du journal L’Express fin novembre. « À Véronique [Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale], les plateaux. À nous, le terrain. » Les deux figures de la Coordination rurale « semblent jouer un pas de deux mi-spontané, mi-orchestré », souligne encore cet article. Dans un entretien accordé en mars 2024 à Libération, Véronique Le Floc’h conteste toute proximité avec l’extrême droite et revendique parler « avec tout le monde ». « On est apolitiques, aucun de nos membres n’est engagé en politique. C’est vérifiable », assure-t-elle.
Or, d’après les informations de L’Opinion et de L’Express, la communication du syndicat a été externalisée à Emmanuel Espanol. Cet homme proche d’Éric Ciotti avait obtenu l’investiture LR/RN aux dernières législatives. Objet d’une enquête pour escroquerie, Emmanuel Espanol a finalement été désinvesti. Contactée, la Coordination rurale n’a pour l’instant pas donné suite à nos demandes. Le syndicat pourrait remporter plusieurs chambres d’agriculture lors des élections qui ont lieu jusqu’à fin janvier.
Sophie Chapelle (article initialement publié sur Basta!)
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