démarchage téléphonique

Loi contre le démarchage téléphonique : « 8500 emplois menacés » 

Le 6 mars 2025, une proposition de loi limitant fortement le démarchage téléphonique a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Selon les syndicats et le patronat du secteur, elle menace 8500 emplois en France. Mais faut-il défendre des emplois à l’utilité sociale contestée ?

Et tout le monde déteste…le démarchage téléphonique. C’est sur ce consensus que s’est appuyé le sénateur centre-droit Pierre-Jean Verzelen pour façonner sa proposition de loi « Pour un démarchage téléphonique consenti et une protection contre les abus ». Elle prévoit notamment que les démarcheurs recueillent le consentement de leur interlocuteur avant tout appel (méthode dite « optin »). 

La proposition de loi est soutenue par onze associations de consommateurs, dont l’UFC-Que choisir. Cette dernière insiste sur le caractère massif de cette nuisance : « 97% des Français se déclarent agacés par le démarchage commercial ». Ou encore : « en 2023, près des trois quarts d’entre eux le subissent chaque semaine et 38 % chaque jour, avec en moyenne six appels non désirés par semaine ». Après une première lecture au Sénat, la proposition de loi a été discutée en séance publique à l’Assemblée nationale ce 6 mars. Sans surprise, le texte a été adopté à l’unanimité.  

Pourtant, à l’extérieur des hémicycles, des voix discordantes se font entendre. Le 4 mars, syndicats de salariés (Sud-PTT, FO-FEC, CFDT communication-conseil-culture, CFE-CGC, CFTC) et patronat du secteur se sont fendus d’un courrier à l’attention des députés. Ils insistent sur les risques que la proposition de loi ferait peser sur l’emploi. « Le simple passage à l’optin aurait un impact sur 8 500 emplois directs en France dans des régions désindustrialisées », écrivent-ils. L’application des nouvelles règles pourrait se faire dès le 1er janvier 2026, laissant peu de temps aux salariés du secteur pour se retourner.

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Frédéric Madelin, syndicaliste Sud-ptt chargé de la branche prestataire de service secteur tertiaire (P2ST), est à l’origine de la lettre. « Ce n’est pas notre genre de signer avec les patrons. Mais la loi va faire perdre des contrats aux employeurs et cela va forcément se répercuter sur les salariés du secteur qui sont déjà très précaires. On ne pouvait pas laisser passer ça sans rien dire. Les députés n’ont pas parlé avec les salariés du secteur », estime ce salarié en centre d’appel. Les signataires demandent donc la suppression d’un certain nombre d’amendements, dont celui sur l’optin. 

« Une très grosse partie des appels sortants (appels reçus par les consommateurs, ndlr) sont déjà délocalisés hors de France. La proposition de loi n’aura donc pas beaucoup d’effet sur l’emploi en France », contre-argumente Xavier Burot, informaticien et secrétaire fédérale de la CGT des sociétés d’étude, fédération syndicale en charge des négociations dans la branche des prestataires de service du secteur tertiaire. Estimant que ces appels sont une nuisance et que l’emploi n’est pas vraiment menacé, sa fédération a refusé de signer la lettre envoyée aux députés. Une signature aurait d’ailleurs été à l’encontre de la position de l’Indecosa-CGT, syndicat de consommateur de la CGT, qui soutient* la proposition de loi Verzelen.

L’argument fait enrager Frédéric Madelin. « Ce n’est pas vrai que l’on ne fait plus d’appels sortants en France ! D’ailleurs, la plupart des boîtes pratiquent à la fois des appels entrants et sortants. Bien sûr que ça va avoir une incidence sur l’emploi ». Dans leur lettre, les syndicats estiment que 43 000 salariés pratiquent la prospection commerciale en 2025. Un chiffre en baisse puisqu’ils étaient environ 50 000 en 2023, avant le décret Naëgelen (qui encadrait les horaires et la fréquence des appels téléphoniques, ndlr).

Le syndicaliste continue. « Et ça fait toujours mal d’entendre dire que tant qu’un emploi est supprimé hors de France, alors ça passe », poursuit Frédéric Madelin. En effet, nombre d’emplois dans les centres d’appels ont déjà été délocalisés en Turquie, en Grèce, en Tunisie ou encore au Maroc. Dans ce pays, c’est un des secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois, avec environ 120 000 salariés. Des solidarités internationales entre travailleurs ont d’ailleurs été tissées depuis une quinzaine d’années. Si bien que le 13 mars 2024, une large intersyndicale du secteur appelait à la grève dans plusieurs pays (voir notre article).

Enfin, Sud-PTT estime que d’autres mesures plus efficaces auraient pu être mises en place. « L’optin va diminuer fortement les fichiers clients à rappeler et ne va pas empêcher les escrocs de continuer…  On nous fait croire qu’en donnant de nouvelles règles tout va s’arranger mais les fraudeurs continueront de frauder. Une loi interdisant la vente de certains types de produits tels, que ceux liés à la prime rénov’ ou à la transition énergétique, aurait eu plus d’effet », estime Frédéric Madelin. 

« Mais fallait-il sauvegarder de l’emploi, même s’il est nuisible pour d’autres personnes ? », interroge Xavier Burot, de la CGT des sociétés d’études. Cet argument a été souvent repris par les députés.

« Nous aussi, nous recevons des appels, on sait bien que c’est pénible ! Mais que vont devenir les salariés qui vont perdre leur emploi ? En France, la carte des centres d’appel recoupe celle des régions désindustrialisées. C’est Calais, Boulogne, Lille, Valencienne… Au Mans les centres d’appel ont ouvert quand Philips a fermé ! Je rappelle aussi que toute la branche P2ST est quasiment au SMIC. Un agent de maîtrise en centre d’appel est 30 euros au-dessus du SMIC. Ne pas défendre cet emploi, c’est le meilleur moyen de faire encore monter le Rassemblement national », s’insurge Frédéric Madelin.

Sur la question de l’utilité sociale du secteur, le syndicaliste propose une autre vision des choses :

« Combien il y a d’activités qui ne sont pas utiles socialement et qui ne seront jamais visées par les députés ? Rien que sur la question de la pub, pourquoi ne pas s’en prendre aux publicités numériques, qui ne créent aucun emploi ? Pourquoi ne pas s’en prendre à la vente d’armes ? En vérité, on attaque les centres d’appel parce que c’est plus facile.»

Preuve que les considérations sur l’utilité sociale du métier sont à géométrie variable, un amendement permettant d’appliquer une « exception alimentaire » aux acteurs de la vente et de la livraison à domicile a été déposé par plusieurs députés du Finistère le 6 mars. Il est le fruit d’une mobilisation, notamment soutenue par l’Union locale CGT de Landerneau, autour de l’entreprise Argel, située à Plouédern (Finistère). Cette dernière emploie 250 salariés en Bretagne et 800 en France et vend de la nourriture surgelée par téléphone. Auprès de Ouest France, son patron estime que « 95% de [ses] nouveaux clients sont acquis par téléphone ». Argument mobilisé pour défendre l’entreprise et l’emploi ? Les coups de téléphones seraient vecteur de lien social dans les campagnes. L’amendement a été adopté.


*Contrairement à la CGT, le syndicat de salariés FO-FEC a décidé de signer la lettre s’opposant à l’optin. Il s’est ainsi positionné contre son propre syndicat de consommateurs, l’AFOC (Association Force Ouvrière Consommateurs), qui soutient la proposition de loi Verzelen.