Hénin-Beaumont

Hénin-Beaumont : le maire RN s’attaque à un syndicaliste

À Hénin-Beaumont, un employé municipal élu SUD est convoqué le 17 novembre à un entretien disciplinaire. Son employeur lui reproche des « conflits d’intérêts » entre ses différents fonctions associatives. Un prétexte qui cache mal une volonté de nuire aux rares syndicalistes qui osent critiquer la gestion municipale du Rassemblement National.  

« Un conflit d’intérêt chronique ». Voilà la raison avancée par la municipalité Rassemblement national (RN) d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) pour convoquer Djelloul Kheris, employé municipal et élu au comité social territorial de la municipalité pour Sud collectivités territoriales (SUD CT), à un conseil de discipline ce 17 novembre 2025. 

À un an des prochaines élections professionnelles, il risque une sanction du troisième groupe, soit une exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée allant de seize jours à deux ans, avec retenue sur salaire. La menace est d’autant plus avérée que les avis du conseil de discipline restent consultatifs. « Le maire peut décider de ne pas s’y fier, il l’a d’ailleurs déjà fait avec d’autres agents. Dans ce cas, la seule solution face à une sanction reste le recours au tribunal administratif », explique l’intéressé.

Dans cette municipalité, laboratoire de l’extrême droite depuis l’élection de Steeve Briois en 2014, Djelloul Kheris fait partie des rares agents municipaux à oser critiquer la gestion municipale du RN. Un engagement qu’il paie cher. Syndiqué depuis 2014, cet animateur, ancien administrateur d’une maison de quartier, a vu sa carrière figée et a déjà été la cible de multiples coups de pression de la part de son employeur (voir notre interview).

Ces griefs aux allures de chasse aux sorcières n’ont pas empêché le nombre de représentants du personnel affiliés à SUD CT de passer, d’une élection professionnelle à l’autre, de 6 à 12 membres. Son syndicat se place en deuxième position au sein de la municipalité héninoise, derrière Force ouvrière. Mais la convocation disciplinaire de l’élu syndical pourrait toutefois mettre fin à cette progression.

Cette fois, son employeur lui reproche le cumul de ses mandats de syndicaliste, de secrétaire d’un club de football de quartier populaire et de membre du conseil d’administration et vice-président de l’association du centre culturel de l’Escapade. Interrogé sur sa démarche, Steeve Briois ne nous a pas répondu pour le moment.

La sanction disciplinaire qui pèse sur Djelloul Kheris demeure en grande partie liée à son rôle au sein de l’Escapade, un centre culturel, dont la reprise en main par la municipalité RN en janvier 2025 avait défrayé la chronique. Ce lieu était géré depuis 1969 par une association du même nom, financée en très grande partie par la mairie. Et sa programmation culturelle n’a jamais vraiment été du goût de Steeve Briois. Alors conseiller municipal d’opposition, ce dernier dénonçait déjà en février 2007 « la daube gauchiste de l’Escapade, haut lieu de l’inculture et de la propagande antiraciste ». Si l’édile ne s’attaque pas à l’Escapade lors de son premier mandat, il signe, à partir de 2021, plusieurs conventions avec le président de l’association qui lui permettent progressivement d’intervenir dans la gestion du lieu.

En 2024, la situation dégénère : une nouvelle convention permettant à la mairie de reprendre en main l’immeuble et d’en expulser l’association est signée. Des compagnies de théâtre programmées à l’Escapade tentent de s’opposer, par la grève, à cette signature. Mais rien n’y fait et le maire ne tarde pas à faire usage de sa nouvelle prérogative : le 24 janvier 2025, il ordonne l’expulsion de l’association. Le centre culturel repasse sous giron municipal et l’association l’Escapade est contrainte de chercher de nouveaux lieux où jouer les spectacles qu’elle a choisis. 

Pour justifier cette reprise en main, Steeve Briois s’appuie également sur des divisions internes qui ont miné l’association l’Escapade à l’été 2024. Le rôle joué par Djelloul Kheris à cette période lui est largement reproché par son employeur.

En juin 2024, trois agents municipaux, dont deux détachés récemment au sein de l’association, accusent leur directeur, par ailleurs fermement opposé à la reprise en main du théâtre par le RN, de harcèlement moral. Dans la foulée, le maire se fend d’une lettre aux administrateurs et leur ordonne de mettre fin à cette situation de harcèlement sous trente jours. Le conseil d’administration (CA) se pose alors la question du licenciement du directeur mais seuls trois membres l’approuvent. Cinq préfèrent lui infliger un avertissement, rapporte La Voix du Nord. 

« On n’avait pas d’éléments tangibles constituant un harcèlement et on ne pouvait donc pas licencier le directeur comme ça. Alors on a organisé une réunion le 26 août [2024] pour entendre ces salariés. C’était une invitation, pas une convocation », explique Djelloul Kheris. Cette réunion est au cœur de son dossier disciplinaire. Steeve Briois la décrit comme une tentative de mettre en difficulté les salariés qui dénoncent du harcèlement. Ces derniers s’y rendront d’ailleurs sur la défensive, accompagnés d’un avocat parisien, Thomas Laval, par ailleurs conseiller régional RN de Bourgogne-Franche-Comté. Leur a-t-il été conseillé par la municipalité ? Le maire d’Hénin-Beaumont n’a pour l’heure pas donné suite à nos questions sur cet élément.

Ce dernier accuse Djelloul Kheris de protéger le directeur de l’Escapade. Son statut d’administrateur entrerait en conflit avec ses fonctions syndicales. « C’est faux ! J’ai signalé au procureur la situation de harcèlement dénoncée dès le 12 juillet », rétorque le syndicaliste. 

Enfin, Steeve Briois indique avoir appris avec surprise l’organisation de cette réunion, sous-entendant qu’elle a eu lieu dans son dos. Djelloul Kheris objecte : « Le maire avait forcément été mis au courant de cette réunion puisque le directeur des affaires culturelles de la ville est aussi membre du CA de l’Escapade et qu’il était présent lorsque nous avions décidé de l’organiser. De plus, les procès verbaux de ces réunions sont systématiquement envoyés aux membres de droit du CA, dont le maire. » 

L’autre élément reproché au syndicaliste apparaît plus léger encore. Son employeur l’accuse d’avoir utilisé son mail professionnel, en novembre 2024, pour écrire à d’autres agents municipaux et obtenir ce qu’il nomme des « avantages pour son association ». Les avantages en question ? « Remettre la lumière dans les locaux du club de foot, l’AS Kennedy, dont je suis le secrétaire ! », explique Djelloul Kheris. Mais la municipalité y voit un conflit d’intérêt entre ses fonctions professionnelles et associatives. Et Steeve Briois exige de lui qu’il y mette fin… sans préciser comment. « Il sous-entendait sans doute que je devais démissionner de mes mandats associatifs, mais il ne voulait pas l’écrire. Je n’allais le faire de moi même, je n’ai rien à me reprocher », tranche le syndicaliste. 

La répression subie par Djelloul Kheris est caractéristique des mairies d’extrême droite.

« À Béziers, ou encore à Hayange, des syndicalistes de lutte ont fait l’objet d’attaques diffamatoires ou encore de plaintes. En s’attaquant aux responsables syndicaux, on dissuade les militants moins aguerris de s’impliquer. Steeve Briois n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. A Hénin-Beaumont, le secrétaire général CGT des territoriaux de la ville, René Gobert, a été placé en garde-à-vue en 2016 suite à une plainte de la mairie pour diffamation », résume Sébastien, membre de l’association intersyndicale VISA, qui documente les incursions de l’extrême droite sur le terrain social.

Le militant continue :  « En affaiblissant leur opposition syndicale, ces municipalités gardent les mains libres pour mettre en place tout un système de précarisation salariale, avec des licenciements d’agents et un recours toujours plus massif aux contractuels. » De fait, à Hénin-Beaumont, le nombre d’employés municipaux est passé de 700 à moins de 500 sous mandat RN. 

Alors que Djelloul Kheris devrait passer en conseil de discipline le 17 novembre, son syndicat organise un rassemblement devant la mairie d’Hénin-Beaumont à 11 heures.

Photo : manifestation devant la mairie d’Hénin-Beaumont. Crédit : DR.