Le ministère de la Justice estime le nombre d’affaires ouvertes pour des violences policières en hausse de 60% entre 2016 et 2024, selon les données inédites révélées par l’ONG Flagrant Déni. Des chiffres contraires à ceux de l’IGPN, qui ne traite en réalité qu’une minorité d’affaires.
« Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre », dit le dicton. Mais depuis des années, le ministère de l’Intérieur utilise un thermomètre cassé lorsqu’il s’agit de mesurer le niveau de la délinquance policière.
Le 15 octobre 2025, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) rendait son rapport annuel sur l’année 2024. Dans l’après-midi, l’Agence France presse (AFP) publiait une dépêche titrée : « Interventions policières sur la voie publique : légère baisse des enquêtes de l’IGPN en 2024 ». On pouvait y lire que « l’IGPN a été saisie de 914 enquêtes judiciaires en 2024, contre 943 l’année précédente ». « Faut-il croire, comme on peut légitimement le penser à cette lecture, que le nombre d’enquêtes ouvertes contre des policiers a connu une inflexion à la baisse ? », interroge Flagrant Déni. Assurément non, c’est ce que démontre le rapport « Police des polices, pourquoi il faut tout changer », publié par cette ONG lyonnaise reconnue pour son travail sur la police, ce 18 novembre 2025.
Des chiffres en trompe l’œil
Flagrant déni rappelle que l’IGPN ne traite pas toutes les enquêtes judiciaires qui portent sur des policiers mais environ 10% d’entre elles, selon les chiffres approximatifs que l’institution policière a accepté de donner en 2020 et 2021. « Depuis, l’Inspection ne publie plus de données chiffrées sur le nombre d’enquêtes de police des polices réalisées en dehors de l’IGPN », souligne l’ONG. En revanche, le nombre d’enquête traitées par l’IGPN reste stable, aux alentours de 1000 (avec une exception en 2019, lors de la lutte des gilets jaunes, où ce chiffre est monté à 1460).
Or, si on laisse de côté les chiffres partiels de l’IGPN, le nombre d’enquêtes pour violences policières augmente. Selon les chiffres inédits du ministère de la Justice, révélés par Flagrant déni, le nombre d’affaires judiciaires visant des personnes dépositaires de l’autorité publique (PDAP) est passé de 700 en 2016 à 1100 en 2024. Soit une augmentation de 60%, (voir note en fin d’article).
« Alors que l’IGPN reconnaît avoir traité un nombre historiquement bas d’enquêtes pour usages excessifs de la force (428 dossiers ouverts en 2024), il n’y a jamais eu autant d’enquêtes ouvertes pour violences par PDAP », résume Flagrant Déni.

De même, l’ONG rappelle que le nombre d’homicides policiers – légitime défense ou non – recensés chaque année ne cesse lui aussi d’augmenter : avec au moins 50 homicides policiers annuels recensés depuis 2021, et 65 en 2024, selon le décompte de Basta.
« Cellules déontologies » départementales
Si l’IGPN traite les enquêtes les plus médiatisées, l’immense majorité d’entre-elles (environ 90%) tombe entre les mains des « cellules déontologies » départementales. Or elles présentent « encore moins de garanties » d’indépendance que les inspections, notamment du fait de la proximité des enquêteurs avec les policiers mis en cause – souvent leurs collègues directs.
« Cette situation est absolument unique parmi les corps d’État, précise Flagrant Déni : la police et la gendarmerie sont les seuls corps dans lesquels des agents mènent des enquêtes sur leurs collègues, sous le contrôle de leurs chefs plus ou moins directs. »
De plus, ces cellules ne font remonter aucune données. Pour Sébastian Roché, chercheur au CNRS interrogé par Flagrant déni « le paradoxe pour les contrôles des pays centralisés comme la France c’est d’avoir des principes nationaux (un unique code de déontologie), mais pas de système intégré et centralisé de traitement des plaintes. Sans mécanisme régulateur intégré, les mauvais comportements policiers et la manière de les traiter ne peuvent être analysés. Le rapport annuel de l’IGPN ne rend compte que du sommet de l’iceberg ».
Flagrant Déni, qui a accompagné des familles de victimes de violences policière et a eu affaire à ces cellules, souligne que leurs enquêtes présentent très peu d’auditions, surtout lorsque le plaignant est lui-même mis en cause par les policiers.
Note : L’ONG précise : ces données doivent être utilisées avec prudence. En effet, la « base victimes » du ministère de l’Intérieur compte, elle, un nombre plus élevé d’enquêtes annuelles pour violences par PDAP (environ un tiers d’affaires en plus que les chiffres du ministère de la Justice). S’agissant du comptage de ces affaires, de nombreux doutes existent. Le point important ici tient à ce que les deux bases statistiques confirment un phénomène d’augmentation du nombre d’affaires.
Crédit photo : Serge D’ignazio
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