luttes victorieuses

Quatre luttes victorieuses en 2025 : pourquoi ça peut marcher

Mobilisation populaire contre la fermeture d’une ligne de train, grève éclaire contre un milliardaire d’extrême droite…Les luttes victorieuses existent et passent trop souvent sous les radars. Bien que rares, elles sont pourtant riches en enseignements. Quatre exemples en 2025.

La période est morose pour les luttes. Depuis les grèves de 1995 contre le plan Juppé, le gouvernement ne recule quasiment plus. Le grand mouvement contre la réforme des retraites de 2023 n’a pas permis d’obtenir son abrogation et, depuis, aucun mouvement social d’ampleur n’a emporté le pays. Ce constat général peut faire oublier que la lutte sociale est aussi une réalité locale.

Si la grève est rare dans les petites entreprises, plus d’un tiers de celles de plus de 500 salariés ont connu une grève en 2022, selon le service statistique du ministère du travail. À cela s’ajoutent de nombreux conflits environnementaux locaux et mobilisations contre les discriminations. Ainsi, quotidiennement, une multitude de luttes sont menées et des victoires sont obtenues. Pas toujours franches ou éclatantes, souvent arrachées grâce à des sacrifices, elles démontrent qu’une bataille n’est jamais perdue d’avance, et sont riches d’enseignements.

Ils n’ont jamais été aussi nombreux sur le quai de la gare de Clamecy. Le 8 février 2025, deux cent cinquante personnes manifestent dans cette petite gare de la Nièvre. Ils n’attendent pas vraiment le train, ils veulent tout simplement conserver leur ligne. « C’est une question de survie de notre territoire. Alors, forcément, les habitants étaient très mobilisés », constate Nicolas Bourdoune, maire de Clamecy (PCF). Une semaine plus tard, ils seront près du double à manifester en gare d’Avallon.

Mobilisation à la gare de Corbigny contre la fermeture de la ligne de train. Crédit : DR.

La ligne du Morvan relie la petite commune de Deux-Rivières (1200 habitants) à la gare de Paris-Bercy, en 2h30. Une aubaine selon l’édile. « C’est un territoire très enclavé. Mais avec l’installation de la fibre et le premier confinement, beaucoup de cadres et d’artistes franciliens qui peuvent télétravailler l’ont réinvesti. Ils réhabilitent notre immobilier, s’investissent dans la vie locale…redynamisent le territoire ! La ligne était aussi utilisée pour les consultations médicales chez les spécialistes, dont notre territoire manque terriblement. » Or, fin novembre 2024, la Région Bourgogne-Franche-Comté annonce qu’elle n’a plus les financements pour maintenir la ligne au vu des investissements nécessaires. « On comprend que si rien ne bouge au printemps 2025, lors du prochain vote du budget de la région, c’est cuit. » La mobilisation commence.

La lutte pour le maintien de la ligne du Morvan impressionne par la diversité des acteurs qui l’ont menée. Et c’est en partie ce qui explique son succès. « Il y avait d’abord des habitants et des élus locaux, décrit Nicolas Bourdoune, mais aussi des collectifs d’usagers du train ou encore des syndicats de cheminots et des partis politiques ». Le 1er mai 2025, « Ligne à défendre », association opposée à la fermeture, organise un trail depuis la gare de Corbigny jusqu’à Bercy. Les participants, qui se relaient, doivent parcourir 376 km en 3 jours. « C’était exactement ce qu’il fallait faire. Il y avait du monde, on a eu une belle médiatisation et ça a mis la pression à la Région, qui aurait voulu faire passer la fermeture en douce », salue le maire.

À l’arrivée de la course, c’est Fabien Villedieu, secrétaire fédéral de Sud-Rail qui les accueille. « On était déjà venu à plusieurs manifestations. Les petites lignes qui ferment, ça a un coût écologique, puisque ça pousse les habitants à reprendre leur voiture, ça enclave un territoire, pour nous cheminots, c’est une perte d’emploi. Et ça s’inscrit dans notre programme de lutte contre l’extrême droite car on sait que la fermeture de services publics fait monter le Rassemblement national. Certains de leurs cadres venus aux réunions publiques n’ont pas osé prendre la parole parce qu’on était là », explique-il. En septembre, Jérôme Durain, fraîchement élu à la tête de la Région, annonce finalement 3,6 millions d’euros d’investissement. La ligne est sauvée, pour le moment. « On a gagné un répit, mais on sait que dans 5 ans il faudra des investissements beaucoup plus lourds ». La bataille n’est donc pas terminée.

Mobiliser tout un territoire n’est pas la seule recette pour gagner une lutte. C’est ce que rappelle la grève éclaire menée par des intermittents du spectacle contre le milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin. Le 6 octobre 2025, ils sont seulement 8 à refuser de monter la scène prévue pour la Nuit du Bien Commun, à Aix-en-Provence. Une soirée de mécénat à destination d’associations en accord avec la ligne réactionnaire de Stérin. Tous sont membres de « l’équipe road » : des salariés embauchés uniquement à la journée quand leurs collègues sont engagés sur le reste de la tournée.

Stérin
Les grévistes d’Aix-en-Provence contre la nuit du Bien Commun de Pierre-Édouard Stérin. Crédit : DR.

« Quand on est arrivés ce matin-là, on a fortement douté du fait qu’on arriverait à bloquer la soirée qui devait se tenir à 20h. On a essayé de convaincre nos collègues d’arrêter le boulot mais rien n’y faisait », explique Nono*, syndicaliste au Stucs (syndicat de la culture et du spectacle de la CNT-SO). 

Les grévistes installent donc leur piquet devant la salle de concert…puis sur la scène en train d’être montée. « Peu à peu, la situation est devenue très étrange. On était sur scène avec nos drapeaux syndicaux mais tout le monde bossait à côté de nous, comme si nous n’existions pas », sourit Nono*. A la mi-journée, la scène est installée, mais les grévistes ne bougent pas, curieux de voir comment ils seront mis à la porte. Un membre des renseignements territoriaux vient finalement les prévenir : une intervention policière les guette.

« Sauf que dehors, une manifestation de 250 personnes nous soutenait. C’est sans doute ce qui a découragé les organisateurs d’aller au bout. Ils risquaient un tel bazar si les policiers intervenaient que de toute façon leur soirée était fichue », estime Nono*. La soirée se transforme en visio lancée depuis la gare TGV d’Aix-en-Provence. « Une salle moche où il y avait une quarantaine de personnes… Et sur le chat du live il y avait plus d’opposants que de soutiens », se réjouit Nono*. Loin d’être une simple action isolée, la grève d’Aix-en-Provence a donné du baume au cœur à tout le mouvement anti-stérin, qui a désormais pris une ampleur nationale.

Les luttes victorieuses d’une demi-journée sont des exceptions. Neuf longs mois de luttes ont été nécessaires pour gagner aux femmes de chambre de Suresnes (Hauts-de-Seine). « Et à la fin, on a toutes obtenu des CDI », sourit Kandé Tounkara, déléguée syndicale à la CGT-HPE. Le 19 août 2024, une petite vingtaine d’employées de Louvre Hôtels Groupe, propriétaire des marques Campaniles et Premières classes, qui disposent de deux bâtiments en bord de Seine, entrent en grève. Comme souvent dans les conflits du nettoyage, l’immense majorité d’entre elles sont des femmes originaires d’Afrique.

Les femmes de chambre grévistes de Suresnes et Elisabeth Ornago, secrétaire générale de l’union départementale CGT 92. Crédit : UD CGT 92.

« On s’est d’abord levées contre une injustice qui touchait notre collègue Samia*, licenciée alors qu’elle travaillait à l’hôtel depuis dix ans », précise la syndicaliste. Durant ses vacances au Mali, cette femme de chambre était restée bloquée dans son pays par la perte de ses papiers, incapable de se rendre à son travail. « La direction était informée de sa situation mais l’a tout de même convoquée à un entretien préalable à licenciement… Comme elle ne pouvait toujours pas venir, ils l’ont virée sans le lui dire ! » Lorsque Samia* revient début août 2024, c’est la police qui la dégage des lieux. « C’était notre collègue ! On ne pouvait pas laisser passer un tel mépris. On s’est donc mises en grève. Mais on était un petit groupe : 17 sur 74 », témoigne Kandé Tounkara.

Secrétaire générale de l’union départementale CGT du 92, Élisabeth Ornago a épaulé les grévistes pendant toute la durée de la grève. « Au départ, la direction rejetait toutes leurs demandes », explique-t-elle. Outre la réintégration de leur collègue, les femmes de chambre, payées au SMIC, revendiquent des augmentations. Mais les grévistes s’obstinent. « Tous les jours, on était devant l’hôtel, même sous la pluie. On chantait, on lançait des slogans. On a reçu beaucoup de soutien de militants… pas trop des voisins. »

Outre le mépris du patron, les grévistes subissent aussi une pression policière. « Deux d’entre elles sont parties en garde à vue pour des nuisances sonores ! », s’offusque Élisabeth Ornago. « La grève était minoritaire et la direction jouait l’épuisement. » Les grévistes font donc évoluer leurs revendications. Plutôt que des augmentations de salaire, elles demandent des CDI à temps plein. Elles reçoivent également l’aide déterminante de la préfète à l’égalité des chances. « Elle a organisé plusieurs médiations avec la direction du groupe. Au bout de la troisième, on a pu sortir du conflit par le haut », estime Elisabeth Ornago. « On n’a rien lâché et on a obtenu des CDI, des temps plein, mais aussi des formations en langue française payées par notre direction », se réjouit Kandé Tounkara. La direction n’a toutefois pas cédé sur la réintégration de Samia*, mais lui a proposé une transaction, qu’elle a finalement acceptée.

C’est un petit entrepôt qui résiste encore et toujours à son patron. En 2022, 2024 et 2025, les ouvriers de la plateforme logistique Géodis de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ont mené trois grèves victorieuses pour leurs salaires. Pour cela, pas besoin de potion magique, mais d’un collectif extrêmement soudé et capable de se mobiliser sur la durée.

Sur les 200 salariés que compte cette filiale de la SNCF, 130 sont ouvriers. Des réceptionnaires, des agents de quais, des manutentionnaires dont l’objectif est de parvenir à livrer « tout ce qui ne rentre pas dans une boîte aux lettres » en moins de 24 heures. Leur travail est éprouvant, exposé au froid et soumis à des horaires de nuit, dans la poussière et le bruit. « Mais lorsqu’on appelle à la grève, 95% d’entre eux nous suivent. Et sur la durée ! », souligne Laurent Sambet, élu CGT sur le site.

En mars 2025, après trois semaines à tenir le piquet, ils obtiennent 150 euros d’augmentation mensuelle de salaire, la hausse de leur prime d’ancienneté (de 5% à 10%) et même le défraiement du carburant sur le trajet domicile-travail pour les salariés véhiculés. Des avancées considérables pour des ouvriers dont les grilles de salaire commencent quasiment au SMIC. « Mais une goutte d’eau pour une boîte qui a réalisé des bénéfices record pendant le Covid, en livrant des masques, quand nous étions en première ligne », rappelle Laurent Sambet.

Ce collectif si soudé ne s’est pas formé en un jour. En 2022, les ouvriers de Geodis Gennevilliers assument 6 semaines de grève. « Ca nous a permis de nous rencontrer. Alors qu’ils n’avaient pas trop le temps de se parler, les gars se sont rendu compte qu’ils avaient les mêmes vies… et donc les mêmes intérêts », poursuit le syndicaliste. En pleine grève, les salariés se mettent à distribuer les photocopies des fiches de paie de leurs dirigeants. « Les mêmes qui ne voulaient pas nous lâcher une centaine d’euros avaient des primes d’objectif annuel de 300 000€ ! Rien de mieux pour souder un collectif que de comprendre qu’une poignée de personnes se fout ouvertement de votre gueule », s’indigne Laurent Sambet. Depuis, le cégétiste explique tout faire pour maintenir ce dialogue avec et entre les salariés. « On est en discussion constante, tout comme la plateforme, notre local syndical est ouvert 24 heures sur 24. »

La récurrence des grèves sur la plateforme a aussi permis aux ouvriers de Géodis de lier des solidarités avec d’autres collectifs de lutte comme les Soulèvements de la Terre, des Gilets Jaunes ou encore les étudiants de l’université de Nanterre. « On s’est fait des amis et on va même les soutenir sur d’autres luttes, comme le projet Greendock, qui concerne aussi la logistique », explique Laurent Sambet.

Photo de Une : Grévistes victorieux de Géodis Gennevilliers. Crédit photo : Quentin Gonot.