SMIC

Non Gabriel Attal, augmenter de 100€ un salarié au SMIC ne coûte pas 483€


 

Augmenter de 100€ un salarié au SMIC coûterait 483€. Pour Gabriel Attal, voilà la principale raison de l’écrasement des salaires et de la « smicardisation » du pays. Or ce chiffre, repris dans de nombreux médias, est trompeur. L’utiliser, c’est déjà préparer le terrain à l’extension des niches sociales.

 

Invité au 20h de TF1 le mercredi 27 mars, Gabriel Attal est interrogé par le journaliste économique François Lenglet. « Aujourd’hui, un employeur, pour augmenter un de ses salariés au SMIC de 100€ net, doit débourser 483€. Comment sortir de ce piège ? » Le premier ministre acquiesce mais tient tout de même à préciser : « Et le salarié au SMIC qui a 100€ de prime va perdre de la prime d’activité ». « J’ai intégré ça là-dedans », complète le journaliste, dont on ne comprend déjà plus très bien le calcul.

De cette scène confuse ressort tout de même une vérité. Le premier ministre et le journaliste veulent tellement montrer que les patrons croulent sous « les charges » (cotisations sociales), qu’ils sont prêts à tous les raccourcis, y compris les plus mensongers. En réalité, augmenter un salarié au SMIC de 100€ coûte 238€ à un employeur. Il suffit de pianoter 30 secondes sur l’estimateur de l’URSSAF pour s’en rendre compte.

 

Combattre le SMIC… avec le mensonge

 

François Lenglet n’est pas le seul à avoir fait ce calcul. Ce chiffre, 483€, est répété à volonté dans la presse (Contrepoints, Le Monde, Les Echos, l’Opinion…) depuis le début de l’année. Parfois mieux expliqué, parfois à peine. En revanche, lorsqu’il est utilisé, c’est toujours pour souligner l’écart prétendument colossal entre la somme engagée par les patrons et le montant qui arrive réellement dans la poche des salariés. Pas question d’évoquer l’utilité du salaire brut en matière de financement des retraites, de l’assurance chômage ou de notre système de santé…

Depuis son discours de politique générale, c’est d’ailleurs grâce au chiffre de 483€ que Gabriel Attal explique la « smicardisation » de la France. Un phénomène avéré : entre 2021 et 2023, la part des employés au SMIC est passée de 12 % à 17,3 %, soit de 2 à 3 millions de salariés. Les femmes sont les premières touchées, puisqu’elles représentent 58% des salariés au SMIC. Alors que le salaire minimum est indexé sur l’inflation, les salaires qui lui sont légèrement supérieurs n’ont pas augmenté aussi vite et sont souvent passés sous la barre du SMIC (voir notre article), menant à cette « smicardisation ».

Mais le premier ministre ne s’embarasse pas de détail et résume tout d’un chiffre trompeur : « 483€ ». On vous explique.

 

Confondre salaire et revenu disponible

 

Le revenu disponible d’une personne correspond à son salaire, plus les potentielles prestations sociales, moins les impôts. Le premier ministre joue sur la confusion entre les deux et c’est là l’entourloupe.

Prenons l’exemple de Laure, employée chez un sous-traitant du nettoyage et payée au SMIC (1398€ net par mois). Elle vit seule et n’a pas d’enfant. Elle touche donc 160€ de prime d’activité. Comme elle n’est pas imposable, son revenu disponible est donc de 1558€ net. Si son patron – à la suite d’une longue grève, évidemment – est contraint d’augmenter son salaire de 100€ net, Laure perdra 39€ de prime d’activité. Son revenu disponible n’aura donc pas augmenté de 100€, mais seulement de 61€. Elle dépassera également les 1427€ net mensuel, au-delà desquels une personne seule devient imposable, ce qui réduira encore ce montant. Si son employeur souhaite augmenter le revenu disponible de Laure de 100€, il devra donc concéder une augmentation salariale plus conséquente.

« Mais c’est un argument fallacieux. Jamais, dans une négociation, un patron ne dira : “je vous ai augmenté de 100€ attention mais vous allez perdre de la prime d’activité”. Ou alors, s’il dit ça c’est justement parce qu’il ne compte augmenter personne », soutient Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral de la CGT.

 

SMIC et exonération de cotisations

 

Ce n’est pas tout. Ce patron du nettoyage sera également impacté par la dégressivité des exonérations de cotisations. En fait, le patronat ne paie qu’une partie des cotisations qu’il est censé payer sur les salaires allant de 1 à 1,6 fois le SMIC. On parle d’exonération de cotisation sociale ou de « niche sociale », un dispositif censé permettre la croissance des entreprises, mais dont la Cour des comptes a rappelé qu’il était insuffisamment encadré. Cette exonération est dégressive : l’exonération est maximale lorsque le salarié touche le SMIC mais elle s’affaiblit à mesure qu’il se rapproche d’1,6 fois le salaire minimum. Ainsi, plus un patron augmente une personne dont le salaire est proche du Smic, plus la part des cotisations pèse lourd dans cette augmentation.

La prise en compte de la dégressivité de ces exonérations, de la prime d’activité et des impôts a permis au gouvernement d’aboutir au chiffre de 483€. Il a ensuite été inscrit, selon Les Echos, dans la lettre de mission envoyée aux économistes Bozio et Wasser. Depuis fin novembre, ces derniers sont justement chargés de réfléchir à l’articulation entre salaires et aides socio-fiscales. Ils feront des propositions au mois de juin, elles devraient « être intégrées dans le budget 2025 », souhaite Gabriel Attal. En attendant, les économistes libéraux n’ont plus qu’à diffuser ce chiffre dans un maximum de médias en jouant sur la confusion entre revenu disponible et salaire.

 

Supprimer les exonérations ?

 

En réalité, mettre en avant les 483€ et non le chiffre véritable chiffre (238€), c’est justifier l’insuffisance des actuelles augmentations de salaire et préparer le terrain à l’extension des niches sociales.

Un des débouchés les plus probables de la mission menée par les économistes Bozio et Wasser consiste à mettre fin à la dégressivité des exonérations de cotisation entre 1 et 1,6 SMIC. C’est-à-dire à étendre encore ces niches sociales, à continuer les cadeaux au patronat. Un manque à gagner dans les caisses de la sécurité sociale que l’Etat devra bien compenser en piochant dans ses comptes.

De son côté la CGT travaille sur des contre-propositions et revendique la sortie de ce système.

 

« On demande la suppression des exonérations sur les salaires au-dessus de 1,6 fois le SMIC. Elles sont inutiles : quand vous touchez 2200€ de salaire net mensuel, vous êtes sur un poste à forte valeur ajoutée, pas un profil en concurrence avec les pays à bas coût. Dans ce cas, ce n’est pas l’exonération de quelques centaines d’euros de cotisation qui détermine votre embauche. Cette simple mesure ferait économiser entre 15 et 20 milliards d’euros sur les 80 milliards que coûte la totalité des exonérations de cotisation. Pour celles qui concernent les salaires entre 1 et 1,6 fois le SMIC, on dit : sortons de l’opacité. D’abord en mettant le montant des exonérations en euros et non plus en pourcentage. Cela permet d’avoir une vision claire de la manière dont elles sont réparties. Savoir qui touche combien. Cela permet de ne plus agir au doigt mouillé, comme c’est le cas actuellement. On revendique également une surcotisation des entreprises à forte valeur ajoutée », détaille Thomas Vacheron de la CGT.

 

Des mesures qui s’ajoutent évidemment à la revendication principale de la CGT en matière salariale : l’indexation de la totalité des salaires sur l’inflation, et non plus du seul SMIC.