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Projet de loi « plein emploi » : les 15 heures d’activité concerneront potentiellement tous les demandeurs d’emploi


 

Les députés et sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, ont inscrit dans le projet de loi « plein emploi » l’obligation de suivre « au moins quinze heures » d’activité. Pas seulement pour les bénéficiaires du RSA : pour tous les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail, après étude de leur situation. La version du texte adoptée, si elle reste soumise à validation lors d’un second passage en novembre au Sénat et à l’Assemblée nationale, fait pour le moment la part belle aux revendications de la droite parlementaire. Rapports de Force en fait la synthèse. 

 

Réunis en commission mixte paritaire lundi 23 octobre, les députés et sénateurs se sont accordés sur une nouvelle version du projet de loi plein emploi, qui consacre la création de France Travail. Le nouveau texte conforte la mesure la plus décriée : il prévoit, via son article 2, un minimum de 15 heures d’activités hebdomadaires pour toute personne « inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi auprès de l’opérateur France Travail », après étude de sa situation individuelle.

C’est un point majeur, pas toujours clair pour le grand public : ces heures d’activités ne concernent pas uniquement les bénéficiaires du RSA (désormais inscrits à France Travail), jusqu’ici au cœur du débat. Ceux-ci verront bel et bien le versement de leur allocation conditionnée au respect de ces heures d’activités. « Le gouvernement a insisté sur les bénéficiaires du RSA,  les plus fragiles. Mais la formulation dans le texte de loi est suffisamment floue pour englober l’ensemble des personnes privées d’emploi », confirme Yoan Piktoroff, délégué syndical CGT à Pôle Emploi Ile-de-France.

Le fait d’imposer des heures d’activités « concernera potentiellement tous les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail, qu’ils soient bénéficiaires d’une allocation ou pas », abonde Franck Rohou, du SNU-FSU Pôle Emploi. « Contrat engagement jeune, allocataires ou pas de l’assurance-chômage, de tous les minimas sociaux, et même allocataires adultes handicapés », liste, entre autres exemples, Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT.

Nuançons cependant : la possibilité d’un élargissement de la mesure est ouverte en théorie. Mais dans la pratique, elle est difficilement applicable. Les agences Pôle Emploi et les conseils départementaux manquaient déjà d’effectifs et de moyens pour mener les expérimentations de 15 heures d’activités pour les seuls allocataires du RSA.

 

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Selon une étude de la fondation Jean Jaurès (proche du Parti Socialiste), organiser et contrôler le respect de 15h à 20h d’activités hebdomadaires coûterait non moins de 10 milliards d’euros. Or, le budget prévu par Olivier Dussopt pour mettre en place sa réforme (financée avec l’argent de l’Unédic, donc des chômeurs) est chiffré entre 2,2 et 2,7 milliards d’euros sur 3 ans. Dans ce contexte, les décrets d’application du projet de loi viendront sans doute préciser le champ d’application.

 

Les 15 heures d’activité deviennent un minimum du projet de loi « plein emploi »… sans plafond maximal 

 

En s’inscrivant à France Travail, tout demandeur d’emploi signe un contrat d’engagement. Le caractère « réciproque » des engagements, obtenu par  les oppositions de gauche à l’Assemblée nationale, n’existe plus dans le texte issu de la CMP. Ce contrat d’engagement inclut un plan d’action, lequel précisera « le niveau d’intensité de l’accompagnement requis, auquel correspond une durée hebdomadaire d’activité du demandeur d’emploi d’au moins quinze heures », expose l’article 2 du projet de loi.

Ce « au moins » est important : avant le passage en CMP, le texte prévoyait une durée hebdomadaire d’activité du demandeur d’emploi « de quinze heures ». En somme : les 15 heures sont devenues un minimum… Et le texte issu de la CMP ne donne aucun plafond d’heures maximal.

« Avec cette version, techniquement, un demandeur d’emploi peut désormais faire trente-cinq heures d’activité pour toucher le RSA, c’est ça la réalité », s’inquiète le député Hadrien Clouet (LFI) auprès du Monde. Pour le député et rapporteur de la CMP Paul Christophe (Horizons), l’absence de plafond se justifie dans la mesure où « des allocataires peuvent avoir des formations qui dépassent les quinze heures : cela n’aurait aucun sens de les limiter ».

De quoi seront composées ces 15 heures ? Le texte issu de la CMP évoque « des actions de formation, d’accompagnement et d’appui ». Après le passage en CMP, le flou demeure dans le texte. Le gouvernement avait listé, lors des débats, ses intentions : « des actions de remobilisation par le sport ou la culture, de démarches d’accès aux droits, d’ateliers collectifs de technique de recherche d’emploi (…), de démarches en autonomie, d’immersions professionnelles en entreprise, de formation d’adaptation au poste, de formation qualifiante, de contrats aidés ou d’emploi en insertion par l’activité économique ».

 

L’isolement social n’est plus un critère pour échapper aux 15 heures d’activité

 

Une « participation active » – sans que cette notion soit davantage précisée dans le texte issu de la CMP – à ces heures d’activité est désormais exigée, sous peine de sanctions. « Si l’on voit ce que recouvre la participation, on peut s’interroger sur le sens du caractère actif ou inactif de celle-ci. Cela n’a pas d’autre signification, à mes yeux, que d’inscrire dans la loi un précédent à caractère discrétionnaire en matière de gestion des publics », soulignait le député Hadrien Clouet lors des discussions en CMP.

La durée hebdomadaire peut être minorée en fonction de certaines situations individuelles. « Les personnes rencontrant des difficultés particulières et avérées, en raison de leur état de santé, de leur handicap » ou les parents isolés « sans solution de garde pour un enfant de moins de 12 ans » ne sont pas soumis à cette obligation de 15 heures.

Mais la CMP a supprimé la prise en compte d’un motif important : l’« isolement social » des allocataires, qui existait jusqu’ici dans le texte. « Il y a une logique globale derrière tout cela : on va demander aux gens, à ceux considérés comme “oisifs” par ce gouvernement, de justifier de leur non-activité et de leur emploi du temps. Avec une surveillance accrue », commente Yoan Piktoroff.

 

France Travail n’a plus à vérifier la légalité des offres d’emploi

 

Par ailleurs, la rédaction adoptée par la CMP supprime l’obligation, pour France Travail, de vérifier la légalité des offres d’emploi publiées sur son site, fait remarquer Alternatives Économiques. L’Assemblée nationale avait pourtant voté à l’unanimité en faveur de cette obligation faite au service public de l’emploi « de contrôler la légalité des offres d’emploi qu’il collecte et publie » , comme on pouvait le lire dans la version du texte après son premier passage au Sénat puis à l’Assemblée nationale.

 

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Une autre nouveauté discrète, mais importante, concerne le comité national pour l’emploi. Celui-ci regroupe des acteurs de l’emploi et de l’insertion, des représentants d’employeurs et de salariés, et il est présidé par le ministre du Travail. Ses missions sont, entre autres : évaluer les moyens alloués au réseau de l’emploi, piloter la coordination de ses membres, mais aussi définir les critères d’orientation.

Or, la CMP prévoit qu’« en l’absence de définition des critères d’orientation », ceux-ci seront « définis par arrêté conjoint des ministres chargés de l’emploi et des solidarités » (article 4). Autrement dit : « Olivier Dussopt pourra décider tout seul les critères d’orientation des chômeurs si les membres du comité national ne s’accordent pas », s’est inquiété le député Hadrien Clouet sur ses réseaux sociaux.

La version issue de la CMP doit désormais être validée par un dernier passage à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le vote des sénateurs a été fixé au 9 novembre. La date n’est pas encore fixée du côté des députés.