La loi Pacte 2, qui pourrait être présentée d’ici l’été 2024, devrait modifier les seuils qui obligent à la mise en place de CSE. Les entreprises dont les effectifs sont compris entre 50 et 250 employés pourraient globalement s’en passer. Or, environ 30% du salariat évolue dans ce type de structure et perdrait donc de nombreux droits.
Réduire encore les droits des salariés ? C’est l’objectif à peine masqué de la future loi Pacte 2, qui sera présentée par le gouvernement d’ici l’été 2024. Sous couvert de « simplification », le ministre de l’économie souhaite une fois encore s’en prendre au code du travail. Et pour avoir une idée de ce que pourrait contenir la loi, il faut lire le rapport parlementaire « Rendre des heures aux Français », publié le 15 février 2024. Il pourrait bien servir de modèle à la future loi Pacte 2.
Lors d’un article précédent, nous avions déjà passé en revue une des premières attaques d’envergure envisagées par le rapport : la réduction des délais de prescription aux prud’hommes en cas de licenciement. Intéressons-nous désormais à une deuxième proposition antisociale : le rehaussement des seuils sociaux pour les entreprises. Ces derniers fixent de nouvelles obligations aux établissements lorsqu’ils dépassent un certain niveau d’effectif. Parmi elles, la mise en place de CSE (conseil social et économique) censés porter la voix et défendre les intérêts des salariés.
Le rapport envisage d’alléger les obligations des trois principaux seuils (11-50-250 salariés) en les « translatant d’un niveau ». A titre d’exemple : les obligations sociales qui s’appliquent aux entreprises entre 11 et 50 salariés, ne s’appliqueront plus qu’à celles qui comptent entre 50 et 250, et ainsi de suite pour les seuils suivants.
Avec Pacte 2, 30% du salariat sans CSE ?
Une des conséquences les plus concrètes et les plus dangereuses de cette mesure concerne les PME (petites et moyennes entreprises, qui comptent entre 50 et 250 salariés). Si elles sont aujourd’hui contraintes de créer des CSE (conseil social et économique) avec personnalité juridique et consultations obligatoires, les auteurs du rapport souhaitent les en exempter. Seules les entreprises de plus de 250 salariés seraient désormais soumises à cette obligation.
Ainsi, environ 30% du salariat – chiffre correspondant à la part des employés de PME – perdrait leur droit à être informé et consulté sur leurs conditions de travail, la stratégie de leur entreprise et leur situation financière. Leurs CSE seraient privés de subvention de fonctionnement, de capacité à former les représentants des salariés, ou encore possibilité d’avoir recours à une expertise. La justification des parlementaires ? « La mesure allègerait la charge administrative des TPE et PME et soutiendrait, in fine, l’emploi et la croissance de ces entreprises ».
Le CSE, chambre d’enregistrement au service du patron ?
« Je suis totalement hostile à la modification de ces seuils. Mais on ne va pas se raconter d’histoires. De nombreuses entreprises, n’ont pas de CSE, même quand c’est obligatoire, ou ont des CSE qui ne font pas usage de leurs prérogatives », soutient Fiodor Rilov, avocat en droit social.
De fait, en 2020, 58,6% des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole, ne disposaient pas d’instance représentative du personnel (IRP), selon la DARES. Ce chiffre se réduit largement lorsque les structures dépassent 50 salariés, et tombe à 14,6%. Un résultat en trompe-l’œil toutefois, puisqu’il comprend les entreprises de plus de 250 salariés, qui disposent pratiquement toutes d’IRP.
« Les IRP ont été mises en place pour que les représentants du personnel puissent être armés pour vérifier et contredire la parole patronale et c’est une bonne chose. Mais actuellement, la loi Pacte 2 ne pourrait être que le moyen d’entériner une situation de fait : la globale inefficacité des CSE dans la défense des salariés. Pour qu’un CSE puisse être utile, il faut qu’il y ait déjà une situation de lutte dans l’entreprise. Si cette configuration est en place, les pouvoirs reconnus aux CSE peuvent être extrêmement utiles aux salariés. Dans le cas d’un plan de licenciement par exemple, on peut avoir accès à des documents et des expertises qui peuvent discréditer la communication patronale », détaille Fiodor Rilov.
Nuire au développement syndical
Clément a été syndicaliste CGT et membre du CSE de Mécachrome à Toulouse, une entreprise sous-traitante qui fabrique notamment des mâts réacteurs pour Airbus, pendant plusieurs années. Il partage globalement l’avis de Fiodor Rilov. « Tout ce qui s’obtient en CSE, se gagne en dehors. Même si on est les meilleurs pour négocier, une direction ne lâche rien sans rapport de force », soutient-il. Il se souvient des différents profils de directeurs qu’il a vu défiler à sa table. « Le premier était un dirigeant à l’ancienne. Plutôt dans la surenchère virile avec les élus du personnel. Il connaissait bien sa boutique. Du genre à nous dire “allez-y, on va vous compter“, quand on le menaçait de débrayer. Le deuxième directeur que j’ai connu, c’était l’inverse. Il nous endormait et nous inondait sous les chiffres », explique Clément.
Mecachrome Toulouse : 11 jours de grève « dans un secteur où il ne se passe rien depuis 40 ans »
En mai 2022, une grève d’ampleur a eu lieu chez les ouvriers de production de Mécachrome pour l’augmentation des salaires. « On a enchaîné les débrayages sur plus d’un mois à raison de 2-3 jours par semaine. Le taux de gréviste variait entre 100% et 80%. A partir de ce moment-là on a quitté les réunions. Le CSE c’est le débouché d’une lutte, c’est là où tu négocies le chèque à la fin », détaille le syndicaliste. La lutte ne permet finalement pas de grandes avancées salariales. « Mais elle a permis la constitution d’un section CGT combative chez Mecachrome », nuance Clément. S’il refuse d’y voir un outil suffisant pour mettre contester une décision patronale, voire imposer celle des salariés, l’ancien ouvrier aéronautique souligne qu’un CSE reste un lieu où s’illustrer pour un syndicaliste. « C’est là qu’on mène la politique du carreau cassé. Et ça a son utilité auprès des collègues », conclut-il.
Avec la loi Pacte 2, la disparition des CSE dans les PME pourrait ainsi avoir une autre conséquence moins attendue : elle pourrait tout simplement nuire au développement syndical. Rappelons que seules 9,3 % des entreprises déclarent la présence d’au moins un délégué syndical en 2020.
Crédit photo : Serge D’ignazio
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