6 de Pasteur enseignants TA Montreuil

Avec les 6 de Pasteur, « nous assistons au musellement des enseignants »



Le tribunal administratif  de Montreuil vient de valider les mutations imposées de six enseignants de l’école élémentaire Pasteur, à Saint-Denis, classée REP +. La veille, lors d’un rassemblement devant le tribunal administratif de Montreuil, leurs soutiens avaient dénoncé une  « mise au pas » préoccupante, témoignant de l’influence de l’extrême-droite. Et alerté sur la multiplication à craindre de ce type de procédures.

 

Le tribunal administratif de Montreuil vient de rejeter la requête en référé de six enseignants de l’école Pasteur, à Saint-Denis (93). Ceux-ci s’élevaient contre leurs mutations imposées par la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale du 93, et le recteur de Créteil. Le 22 avril, les surnommés « 6 de Pasteur » avaient reçu un mail leur indiquant leur mutation vers d’autres établissements du département. Et ce, dès le lundi de la rentrée scolaire, le 9 mai.

Ce jour-là, leur avocat, Arié Alimi avait admis qu’il y avait « peu de chances de gagner » cette procédure en référé, difficile à mener. Une petite centaine de personnes étaient alors rassemblées devant le tribunal administratif de Montreuil. Parmi eux, les six enseignants (cinq femmes et un homme) n’ont pas souhaité prendre la parole. Tous présentaient des visages tendus, fatigués ; sans doute concentrés, aussi, sur l’audience qui allait s’ouvrir.

 

« La liberté d’enseignement est entravée. La liberté syndicale est entravée »

 

Tout est parti d’une situation conflictuelle avec l’ancienne directrice de l’école Pasteur, restée en poste jusqu’en janvier 2022, avec laquelle les dysfonctionnements se sont multipliés. L’équipe de 19 enseignants avait réalisé des dizaines de signalements auprès de leur autorité administrative, avant d’exercer chacun leur droit de retrait pour danger grave et imminent.

Une enquête administrative avait alors été déclenchée, comme le veut la loi. Elle a été menée par le rectorat de l’académie de Créteil. Or, selon les enseignants et leurs soutiens, cette enquête était à charge. Elle a conclu à des mutations d’office, qui devaient être effectives ce lundi 9 mai. « Nous assistons au musellement et à la mise au pas du corps enseignant », affirme Marie-Hélène Plard, secrétaire départementale du SNUIPP-FSU. Dans un article de Mediapart, elle expliquait que l’école Pasteur était déjà « dans le viseur de l’administration parce qu’elle refuse à appliquer bêtement les directives de Blanquer, notamment les évaluations nationales au CP ».

Pour Arié Alimi, avocat des enseignants, plusieurs libertés fondamentales sont piétinées par ces procédures de mutations. « La liberté d’enseignement est entravée. La liberté syndicale est entravée », martèle-t-il au micro, devant la petite foule rassemblée le 9 mai. Les mutations sont vécues comme des « sanctions, que l’on peut qualifier de personnelles, à orientation politique et idéologique », ajoute-t-il.

 

« L’extrême-droite hors de nos écoles ! »

 

L’avocat des enseignants demande à ce que ne soient pas diffusés leurs noms et leurs photos. Ces derniers craignent, entre autres, d’être identifiés par des militants d’extrême-droite. Et pour cause : un article de la revue Incorrecte, intitulée « Gauchisme à l’école, le niveau monte », a mis le feu aux poudres. L’article fustige l’école publique française « gangrénée par le syndicalisme d’extrême-gauche ». Il reprend le témoignage d’une certaine « Héloïse », que toute l’équipe pédagogique identifie comme l’ancienne directrice. Dans l’enquête de Mediapart, César Landron, secrétaire départemental du SNUDI-FO et porte-parole de la directrice en question, confirme qu’elle s’est bien entretenue avec ce média.

Dans une vidéo publiée par l’Incorrect, l’auteur de l’article explique que « Sud Education 93, ce sont les blacks blocs de l’enseignement », et prend la défense des réformes de Jean-Michel Blanquer. « On a laissé l’école publique être tenue par des terroristes », lâche-t-il encore, avant que n’apparaisse un montage d’images au ralenti de manifestants tenant des fumigènes.

« L’administration s’est appuyée sur les propos diffamatoires de la presse d’extrême-droite », explique Marie-Hélène Plard SNUIPP-FSU. Dans les dossiers de l’enquête administrative, elle « en reprend même les éléments de langage », affirme-t-elle également. Elle cite un passage, à titre d’exemple : « le système en auto-gestion qui s’est installé peu à peu a conduit l’école Pasteur à ne plus être une école de la République ».

« Il y a une collusion insupportable avec l’extrême-droite. Avec la presse d’extrême-droite la plus groupusculaire, la plus véhémente… », abonde Jules Siran de Sud Éducation. « L’extrême droite, hors de nos écoles ! », lance-t-il à la foule. Sollicitée pour en savoir plus sur son positionnement et sur ce qui est reproché aux enseignants, le rectorat de Créteil n’a pas encore donné suite à nos demandes.

« La politisation de cette affaire n’est pas le fait des enseignants, mais celui de cette directrice », conclut de son côté Arié Alimi. « C’est aussi une lutte contre le fascisme dont il est question ».

 

À Pasteur, « on a vu nos enfants comme rarement on les avait vus : fiers d’eux-mêmes »

 

Depuis que l’ancienne directrice est partie en janvier, tous assurent que l’équilibre est en train d’être retrouvé. L’annonce de la mutation, tombée en avril, a donc provoqué une onde de choc. Depuis lors, de nombreux parents d’élèves, et les élèves eux-mêmes, se mobilisent pour faire part de leur colère et de leur incompréhension.

Mounir, père dont les enfants fréquentent cette école classée REP+ depuis huit ans, est l’un des plus actifs dans le soutien à l’équipe pédagogique. « Grâce aux projets mis en place par ces enseignants, on a vu nos enfants comme rarement on les avait vus : fiers d’eux-mêmes. Ils étaient valorisés, mis en situation d’intelligence…» « C’est vrai ! C’est vrai ! » s’enthousiasme une mère depuis l’arrière de la foule.

Malgré leurs demandes, jamais les parents d’élèves de l’école Pasteur n’ont été reçus par l’administration. « Quel intérêt est défendu aujourd’hui ? En tout cas, pas le nôtre », tranche Mounir. Cette histoire « concerne aussi l’intérêt supérieur des enfants, qui vont souffrir du départ violent des enseignants », estime Arié Alimi. Plusieurs d’entre eux sont d’ailleurs venus au rassemblement. Collés à leurs parents, ils écoutent sagement les prises de parole. Certains portent même un tee-shirt affichant leur soutien aux « 6 de Pasteur ».

Marie, une mère d’élève, déplore ainsi la destruction d’un lien de confiance fort de plusieurs années entre l’école et le quartier. Aujourd’hui, « nos enfants vont mal », souffle-t-elle. « Entre ceux qui n’ont pas dormi de la nuit, et ceux qui nous disent : “on en a parlé entre copains, si on a un remplaçant, on ne travaillera plus !“…»

 

Un avant-goût des cinq années à venir

 

C’est aussi un enjeu de qualité des services publics pour les populations précarisées qui se pose. « L’intérêt de l’école publique pour nos quartiers populaires, ce sont ces enseignants qui le portent. Ils font du bien à ce quartier ! », insiste Mounir. Les députés de la Seine-Saint-Denis Éric Coquerel et Sabine Rubin (LFI), ainsi que Stéphane Peu (PCF), sont présents pour porter ce message.

« On ne connaît pas encore le nom de notre nouveau ministre, si tant est qu’il change – et on l’espère. Mais on connaît déjà les premières victimes de la répression anti-syndicale, et c’est les 6 de Pasteur », insiste Jules Siran, de Sud Éducation. À ses yeux, cette lutte doit devenir un « emblème » contre les attaques du corps enseignant et des syndiqués.

Si ces répressions ne sont pas nouvelles, on assiste selon lui à une « brutalité qui prend une nouvelle forme institutionnelle ». À savoir, la mutation d’office. La mutation d’office, créée par la loi de transformation de la vie publique de 2019, s’exécute sans passage par des commissions paritaires. Depuis lors, « on est dans le fait du prince. L’arbitraire le plus complet », prévient-il.

« C’est le symbole des cinq années passées, et des cinq années à venir » conclut Michaël Marcilloux, co-secrétaire général de la CGT éduc’action. « Ce qui se passe à Pasteur pourrait se multiplier dans d’autres écoles et d’autres départements », abonde Guislaine David, co-secrétaire générale de la SNUipp-FSU.

 

Crédits photos : Sud Education