La bataille des retraites a été particulièrement intense dans le secteur de l’énergie. Ses salariés ont été en première ligne des grèves, mais aussi des actions avec des « mises en sobriété énergétique » d’infrastructures économiques ou de préfectures. Depuis, les plaintes et les convocations au commissariat pleuvent.
« Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi » a été l’un des chants du mouvement social contre la réforme des retraites. Scandé par les énergéticiens sur les piquets de grève et dans les manifestations, il a même été entonné à la tribune du congrès confédéral de la CGT par sa nouvelle secrétaire générale, Sophie Binet, fin mars. Mais ce n’était pas qu’une chanson pour se donner du courage : paroles et actes sont allés de pair.
Lors du déplacement d’Emmanuel Macron à Ganges (Hérault), quatre jours après la promulgation de la loi le 14 avril, le collège Louise Michel, où il était venu rencontrer des élèves et des enseignants, a été plongé dans le noir par les énergéticiens en lutte. Enedis a déposé une plainte, comme elle l’a fait à chaque « mise en sobriété énergétique » – nom donné par la fédération CGT Mines et énergie (FNME-CGT) aux coupures de courant ciblées. Une enquête avait été annoncée par le préfet de l’Hérault.
Au total, « Enedis a déposé 400 plaintes pour reprise en main de l’outil de travail », explique Laurence Casasreales. Dans le viseur de l’entreprise, les coupures de courant bien sûr, mais aussi des actions plus anodines, assure cette responsable CGT Mines et énergie. Par exemple, des clefs enlevées ou des pneus dégonflés pour immobiliser les véhicules ou des cartes SIM de compteurs Linky désactivées afin d’empêcher les coupures d’énergie aux usagers en difficulté.
La nouvelle stratégie d’Enedis
« Il y a toujours eu des plaintes contre X et des convocations des secrétaires généraux des syndicats, concède Laurence Casasreales, mais jamais autant ». La FNME-CGT dénombre 90 convocations au commissariat depuis le début du mouvement des retraites. Bien plus que lors de précédentes mobilisations. Mais il est vrai que le nombre d’actions menées par les énergéticiens en grève a été particulièrement important depuis janvier.
Si les militants de la CGT énergie sont habitués aux plaintes pendant ou après les mouvements sociaux, cette bataille des retraites présente cependant quelques nouveautés. « Avant, l’entreprise lançait des procédures internes en vue d’un licenciement et des plaintes en externe. Aujourd’hui, Enedis a une nouvelle stratégie. Elle ne lance pas de procédures internes pour éviter de mettre le feu dans la boîte, mais tout en externe. Évidemment, s’il y a des condamnations, elle lancera ensuite plus facilement des procédures de licenciement », analyse Laurence Casasreales.
Mais ce n’est pas la seule nouveauté, assure la responsable CGT, qui évoque un système de délation : « nous avons des directions qui vont au commissariat porter plainte contre X, puis y retournent quelques jours plus tard pour donner des listes de noms. C’est ce qui s’est passé à Marseille où une demi douzaine d’agents ont vu débarquer la police à leur domicile à 6 h du matin. Ils ont été menottés, embarqués, puis placés en garde à vue, pour être ensuite relâchés, pour la majorité d’entre eux. Mais trois sont poursuivis en correctionnelle, dont le secrétaire général du syndicat ». Autre motif d’inquiétude pour la CGT, « dans certaines régions, les services du procureur ont demandé à Enedis l’intégralité des coordonnées des agents susceptibles d’intervenir sur le réseau. Avec celles-ci, la police procède à des bornages des téléphones pour incriminer des agents ».
Des procès à venir
En plus des trois militants CGT de Marseille qui passeront en procès le 15 septembre, deux autres syndicalistes CGT, dont le secrétaire général du syndicat, sont convoqués au tribunal de Bordeaux le 21 novembre. Ils ont eux aussi été arrêtés à leur domicile à 6 h du matin, comme trois de leurs camarades girondins pour lesquels aucune poursuite n’a été retenue. En cause : une coupure d’électricité visant la gare de Bordeaux début avril. Pour ces deux affaires à l’automne, la CGT Mines et énergie prévoit des mobilisations interprofessionnelles importantes. Mais d’ici là, d’autres procès sont à craindre pour les énergéticiens, imagine Laurence Casasreales, au vu du nombre total de plaintes déposées.
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