chauffeurs traite d'être humain

Chauffeurs zimbabwéens en grève : la CFDT dénonce une « traite d’êtres humains »

Fin janvier, une dizaine de routiers originaires du Zimbabwe, employés par une entreprise slovaque, ont cessé net le travail. Dénonçant des conditions de travail indignes et des paies versées à moitié, ils ont stationné plusieurs jours sur diverses aires d’autoroute européennes. En France, la FGTE-CFDT dénonce une « traite d’êtres humains », mais aussi une « concurrence déloyale ».

« On reçoit beaucoup de commentaires réactionnaires. On nous reproche de défendre des salariés qui, soi-disant, voleraient le travail des Français. » Ce 11 février, lors de la conférence de presse organisée par la FGTE-CFDT, Patrick Blaise, son secrétaire général, fait part de son désarroi. « Mais nous ne faisons que soutenir un collègue victime d’une traite d’êtres humains et qui n’y est pour rien ! », souligne le syndicaliste de la première organisation syndicale du secteur, par ailleurs mise en cause dans une enquête interne de la confédération CFDT.

Un des collègues en question, c’est Brighton. Depuis une dizaine de jours, ce chauffeur poids lourd d’origine zimbabwéenne est logé à Rungis par le syndicat. Il a été récupéré directement dans son véhicule alors qu’il s’était mis en grève fin janvier, s’arrêtant net sur une aire de l’autoroute A1. En cause : des conditions de travail qui s’affranchissent de tout cadre légal et un salaire d’environ 700€ mensuel, au lieu des 1500€ promis par son employeur, l’entreprise slovaque Global Transport, sous-traitant du Groupe Hegelmann, multinationale allemande du transport. Dormant dans son poids-lourd, il a enchaîné les livraisons depuis le 5 octobre partout en Europe, sans prendre le repos obligatoire et sans rentrer dans le pays où il est employé. « C’est ce qu’on appelle du cabotage intempestif. Alors qu’il aurait dû rentrer en Slovaquie tous les 7 jours, Brighton a sillonné l’Europe pendant 4 mois », explique Kamal El Jaouhari, responsable du transport routier de marchandise à la FGTE-CFDT.

« Et quand il s’est mis en grève, on lui a envoyé des hommes de main en guise de représailles », s’indigne Patrick Blaise. Dans la nuit du 29 au 30 janvier, Brighton a reçu la visite de 4 hommes « venus lui prendre de force la carte qui lui sert à payer l’essence, le coupe-batterie qui permettait de faire démarrer le véhicule, et la remorque qu’il transportait », raconte Le Monde. Ils se seraient présentés comme des employés de Global Transport. « Je me sens mieux et en sécurité désormais, pendant des jours j’ai vécu dans la crainte », souffle, en anglais, le chauffeur routier. Contacté, le groupe Hegelmann ne nous a pas répondu à cette heure. 

Brighton n’est pas le seul à avoir subi la pression musclée de son employeur. « Nous sommes en contact avec deux autres conducteurs zimbabwéens, employés par Global Transport, qui étaient exactement dans la même situation que lui. Un dans le Lot et l’autre à Alençon. On essaie de les faire embaucher en France ou en Espagne grâce à notre réseau syndical », explique Kamal El Jaouhari. En plus des 3 chauffeurs pris en charge par le syndicat en France, une dizaine d’autres, également originaires du Zimbabwe et employés par la même entreprise, ont coupé leurs moteurs sur des aires d’autoroute un peu partout en Europe fin janvier après avoir découvert que leur salaire n’était toujours pas totalement versé. Dans la foulée, Global Transport a rappelé une cinquantaine de conducteurs en Slovaquie, soutient la FGTE-CFDT. Brighton, qui reçoit des nouvelles par un canal WhatsApp regroupant les chauffeurs recrutés au Zimbabwe, précise : « grévistes ou non grévistes, on a tous été licenciés ».

Le syndicat dénonce un système de sous-traitance permettant d’employer des chauffeurs extra-européens sous-payés. « Les clients passent par des bourses de fret en ligne et vendent leurs contrats aux entreprises les moins chères. Or pour casser les prix, ces dernières ne respectent pas la loi, ce qui représente une concurrence déloyale pour nos entreprises françaises », explique Roberto Parrillo, ex-président de la Fédération européenne des travailleurs du transport, présent à la conférence de presse.

La législation européenne oblige les entreprises de transport à rémunérer les salariés, y compris extra-européens, au salaire en vigueur dans le pays où est implanté l’entreprise qui les emploie. Les salariés zimbabwéens de Global Transport devraient donc être payés au salaire slovaque, soit environ 1500€ par mois. 

« Sauf que ces entreprises se débrouillent pour ne pas payer leurs salariés comme il faut. C’est comme cela qu’elles concurrencent déloyalement les TPE et PME françaises », assure  Patrick Blaise. Brighton raconte alors comment il a été approché, au Zimbabwe, par un recruteur de Global Transport. Ce dernier lui a avancé son billet d’avion à 700$ pour la Slovaquie, où il a été formé et a reçu les papiers adéquats. « Mais depuis qu’il travaille pour eux, on ne lui verse jamais un salaire plein. On lui dit toujours qu’il doit rembourser son billet d’avion ou ses frais administratifs. C’est comme ça que ces travailleurs extra-communautaires sont tenus », affirme Roberto Parillo. « Être payé 700€ par mois pour passer sa vie dans son camion, c’est de la traite d’être humain », appuie Patrick Blaise. Le syndicat annonce vouloir porter une action en justice au niveau européen sans préciser de date.

En fin de conférence de presse, rappelant les « commentaires réactionnaires », reçus par le syndicat, Patrick Blaise se permet une précision : « La dimension, disons, humanitaire de notre action est importante. Mais ce qu’on fait là, c’est surtout défendre nos TPE et PME françaises. Le cabotage intempestif se généralise et accroît la concurrence déloyale ». Le syndicat milite pour l’augmentation des contrôles de la DREAL permettant de vérifier les conditions de travail des chauffeurs et donc d’empêcher le cabotage intempestif.

Photo : Patrick Blaise et Yves Boré de la FGTE-CFDT sont venus en aide à Brighton sur l’aire d’autoroute où il était coincé. Crédit photo FGTE-CFDT.