Comment justifier une nouvelle réforme du chômage, quand quatre ont déjà été menées depuis 2018 pour raboter méthodiquement les droits des demandeurs d’emploi ? Par exemple, en laissant planer la suspicion sur des chômeurs qui profiteraient du « système », comme le fait Gabriel Attal, avec sa formule « le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité ». Décryptage d’un élément de langage volontairement trompeur.
Trois messages mensongers en trois minutes. C’est la prouesse à laquelle s’est livré Gabriel Attal dans un discours prononcé dans les locaux de l’entreprise Numalliance, à l’occasion de son déplacement dans les Vosges vendredi 1er mars. A propos de l’assurance chômage, qu’il entend encore réformer, le Premier ministre assure se faire le porte-parole de l’opinion : « que nous disent aujourd’hui les Français ? D’abord qu’ils veulent que le travail paye mieux et toujours plus que l’inactivité ». Puis il poursuit en invoquant encore ses compatriotes qui ne comprendraient pas qu’avec un taux de chômage à 7 %, des entreprises n’arrivent pas à recruter. Pour conclure par une dernière vérité alternative « ce n’est jamais aux chômeurs ou aux bénéficiaires du RSA que l’on s’attaque, mais à un système ». Trois assertions fausses, ou du moins trompeuses.
Non, le travail ne paye pas moins que le chômage
L’élément de langage d’un travail qui doit payer plus que l’inactivité est répété à l’envi par le Premier ministre depuis son discours de politique générale, prononcé le 30 janvier dernier. Et il ne vise pas les détenteurs de capitaux et les dividendes qui leur sont versés sans justifier d’une activité, mais les demandeurs d’emploi et leurs indemnités. Pourtant, avant la réforme de 2021, leurs montants n’étaient en moyenne que de 1130 euros net pour les hommes et 890 euros net pour les femmes, selon les données de l’Insee. Depuis, les allocations de remplacement du salaire ont baissé pour passer en dessous de la barre des 1000 euros en moyenne : 982 euros net au premier trimestre 2023, selon les indicateurs de l’Unedic. Des chiffres qui écornent le message gouvernemental à propos d’une inactivité soi-disant plus rémunératrice que le travail. D’autant que, selon les mêmes indicateurs de l’Unedic de début 2023, seulement 40 % des demandeurs d’emploi sont indemnisés.
« C’est un mensonge perpétré et répété des dizaines de fois », s’agace Denis Gravouil, à propos de la formule de Gabriel Attal. Pour le négociateur CGT du dossier de l’assurance chômage, c’est une aberration : « il est inscrit dans la loi que l’indemnisation ne peut pas dépasser 75 % de l’ancien salaire. Il n’existe donc pas, par construction légale, de chômeurs qui peuvent gagner plus au chômage qu’en étant au travail ». D’ailleurs, de ce fait, « certains demandeurs d’emploi ne peuvent pas bénéficier de la revalorisation des allocations chômage qui ont lieu chaque fin juin », car elle leur ferait dépasser les 75 % de leur ancien salaire, explique le syndicaliste.
L’obsession du gouvernement pour inciter à la reprise d’emploi, qu’il souhaite obtenir en baissant les droits des chômeurs, produit des effets inverses à ceux imaginés. « Il y a des gens pour qui travailler fait baisser leur allocation chômage depuis la réforme du salaire journalier de référence (SJR). Quelqu’un qui a le malheur de faire une journée de baby-sitting, espacée d’une grosse mission d’intérim de six mois, est perdant par rapport à quelqu’un qui n’a fait que la longue mission », continue le syndicaliste. En effet, depuis octobre 2021, les périodes non travaillées sont prises en compte dans le calcul des allocations. Conséquence : une baisse des indemnités pour les personnes alternant les périodes de travail et les périodes de chômage.
L’idée d’un chômage qui payerait mieux que le travail n’est qu’une fable pour Michael Zemmour. « Pour les bénéficiaires des minima sociaux, la synthèse d’une étude de France stratégie dit qu’il y a toujours un gain à la reprise d’emploi, même à temps très partiel, du fait de la prime d’activité. Par contre reprendre un emploi ne permet pas toujours de sortir de la pauvreté », rappelle l’économiste. Et qu’en est-il pour les chômeurs ? « Comme c’est un taux de remplacement sur le salaire, on perd toujours en sortant de l’emploi », tranche Michael Zemmour. A moins que « le gouvernement joue sur les mots en disant qu’un cadre au chômage gagne plus au chômage que s’il prenait un emploi au SMIC à mi-temps. Si c’est ça que le Premier ministre a en tête, il faudrait l’expliciter ». Des questions que nous avons posées au cabinet du Premier ministre. En vain. Malgré nos nombreuses relances, les services de Matignon n’ont pas souhaité nous expliquer sur quelle réalité repose la formule favorite de Gabriel Attal.
Mensonges en série
Profitant d’un écart abyssal entre la réalité du chômage et sa perception par l’opinion, les différents gouvernements d’Emmanuel Macron se sont permis de dire à peu près n’importe quoi sur l’assurance chômage depuis 2018. Et Gabriel Attal ne fait pas exception. Après l’assertion selon laquelle l’inactivité pourrait payer plus que le travail, le Premier ministre a recyclé l’argument utilisé abondamment fin 2022, pour réduire la durée d’indemnisation. A savoir qu’il est anormal que les entreprises peinent à recruter, alors que le taux de chômage reste de 7 %. En sous-texte : les chômeurs ne veulent pas travailler.
« Les difficultés de recrutement des entreprises, c’est un volant autour de 300 000 emplois non pourvus à un moment donné », rappelle Denis Gravouil, chiffres de France travail à l’appui. Une goutte d’eau sur les plus de 30 millions d’emplois salariés et non salariés en France. Et un volume qui est loin de représenter une solution pour les 6 millions d’inscrits à Pôle emploi et les quelque 2 millions de bénéficiaires du RSA. Pourtant, le gouvernement n’a de cesse de souligner le phénomène, en taisant ses causes. Outre que certains recrutements prennent plusieurs mois et sont donc comptabilisés non pourvus à un instant T, nombre d’emplois ne trouvent pas preneur par manque de personnes qualifiées pour les occuper. Les questions cruciales de formation, les difficultés de mobilités et de logements sont donc en tête des freins à l’embauche. A cela s’ajoutent les emplois de piètre qualité : contrats courts, à temps partiel, avec des horaires fractionnés et mal rémunérés dans certains secteurs. « Être payé au SMIC dans les stations balnéaires, alors que cela coûte un SMIC de se loger, évidemment des gens n’y vont pas ! », met en évidence Denis Gravouil.
Dernier mensonge du Premier ministre lors de son déplacement dans les Vosges : « ce n’est jamais aux chômeurs ou aux bénéficiaires du RSA que l’on s’attaque, mais à un système ». Des propos assez orwelliens. « Quand les mesures annoncées sont la suppression de l’ASS et la réduction de la couverture chômage, c’est au système qui vous couvre qu’il s’en prend », rétablit Michael Zemmour. Avec pour résultat concret « d’appauvrir les gens qui sont hors de l’emploi et de rendre la situation hors emploi insupportable », explique l’économiste. Pour lui, « quand on dit qu’il faut inciter à l’emploi et qu’on ne joue pas sur la rémunération du travail, cela veut dire qu’il faut augmenter la pénalité à ne pas travailler ».
Mais Gabriel Attal n’a pas l’exclusivité des mensonges sur l’assurance chômage. Élisabeth Borne et Muriel Pénicaud l’ont précédé dans l’art de la filouterie. Fin 2022, le gouvernement vendait la contracyclicité de l’assurance chômage, en promettant « quand ça va mieux, on durcit les règles, quand ça va moins bien sur le front de l’emploi, on protège davantage ». Finalement, il n’est resté que la baisse de la durée d’indemnisation quand le chômage baisse. Aujourd’hui, en pleine crise de perte de mémoire, alors que la situation se dégrade, l’exécutif veut durcir les règles au lieu de la promesse de les adoucir. En remontant un peu plus loin encore, lors de la première réforme du chômage en 2019, le gouvernement expliquait que l’objectif était de réduire les contrats courts sur-utilisés par les entreprises. Sans grand effet, à en croire l’évaluation provisoire de la réforme par l’Unedic en date du mois dernier.
Finalement, le seul moment d’honnêteté nous aura été involontairement livré par Muriel Pénicaud, le jour de la présentation de son projet de réforme en 2019, avec un superbe lapsus. « C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité », avant de se reprendre en rectifiant « contre la précarité ».
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