Gabriel Attal

Gabriel Attal : les six thèmes sur lesquels il faudra se battre

« Ne pas avoir peur des mécontentements », avait préconisé Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier. Pour son discours de politique générale, ce mardi 30 janvier, Gabriel Attal a répondu à la commande. Dix minutes pour ne rien dire, dix minutes d’autosatisfaction, puis une heure d’annonces plus ou moins précises et de nombreuses réformes saignantes à venir, prononcées avec des accents réactionnaires. Sur le travail, le chômage, la justice des mineurs, la fonction publique, l’école… Rapports de force vous liste les six thèmes sur lesquels il faudra se battre.

 

 

1 : Réforme du travail, du SMIC et des accords de branche

 

C’était une petite musique sur laquelle Sophie Binet avait déjà alerté. Interrogée ce 30 janvier sur RTL, elle dénonçait un double discours du gouvernement. « On a d’un côté le gouvernement qui nous dit qu’il est dans le dialogue, et de l’autre des députés et des économistes proches du pouvoir qui nous disent qu’il faut désindexer le SMIC de l’inflation et supprimer les accords de branche », explique la secrétaire générale de la CGT.

Désindexer le SMIC de l’inflation ? Une mesure qui serait catastrophique pour les classes populaires alors que c’est justement cette indexation qui leur a permis d’encaisser tant bien que mal le choc de l’inflation depuis le début de la guerre en Ukraine.

Mais l’indexation du SMIC seul, et non de la totalité des salaires, comme le revendiquent Solidaires et la CGT, a eu pour effet un tassement des grilles salariales. Les salaires auparavant au-dessus du SMIC s’en sont rapprochés. Dans de nombreuses branches professionnelles, les grilles salariales ont même commencé en-dessous du SMIC. Or, si ces salaires n’augmentent pas, pour le Premier ministre, ce n’est pas la faute d’une quelconque mauvaise volonté patronale… Mais du SMIC lui-même.

« Nous devons faire évoluer un système qui nous a conduits, depuis des décennies, à concentrer nos aides, nos exonérations, au niveau du SMIC », a déclaré le Premier ministre. Et Gabriel Attal de démontrer, chiffres à l’appui, que les cotisations sociales pèsent, selon lui, trop lourd sur les augmentations de salaire au-dessus du SMIC. Cette réforme pourrait être engagée en même temps que le prochain projet de loi de finances.

Vise-t-il l’indexation du SMIC sur l’inflation ? Les allègements de cotisations patronales concernant les patrons qui emploient spécifiquement des salariés dont les salaires se rapprochent du SMIC ? Difficile à savoir. Mais vue la tonalité générale du discours de Gabriel Attal, on peut douter que la réforme du SMIC soit réellement en faveur des travailleurs.

Concernant la deuxième inquiétude de Sophie Binet, à savoir l’attaque contre les accords de branche, généralement plus protecteurs que les accords d’entreprises, on peut d’ores et déjà s’alarmer. Gabriel Attal annonce qu’il engagera une nouvelle étape de la réforme du droit du travail après l’été. Dans le cadre de celle-ci, il souhaite « permettre [aux TPE/PME] de négocier certaines règles directement, entreprise par entreprise ». C’est-à-dire amoindrir encore davantage les contre-pouvoirs en entreprise.

 

2 : Casse du RSA et de l’ASS

 

Sans surprise, Gabriel Attal annonce la généralisation de l’expérimentation gouvernementale sur le RSA, jusqu’alors testée dans 18 départements. D’ici le 1er janvier 2025, le RSA sera conditionné à 15h d’activité partout en France.

Rappelons que cette obligation pourrait ne pas concerner seulement les chômeurs, mais potentiellement tous les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail, qu’ils soient bénéficiaires d’une allocation ou pas. Les titulaires d’un contrat d’engagement jeune, de tous les minimas sociaux, et même les allocataires adultes handicapés, seraient touchés, nous expliquaient des syndicalistes dans un article précédent.

Autre attaque des plus sournoises : la suppression pure et simple de l’ASS (allocation de solidarité spécifique). C’est que le nouveau Premier ministre se targue de vouloir combattre les « trappes à inactivité » :

« Je pense notamment à l’allocation de solidarité spécifique, qui prolonge l’indemnisation du chômage et qui permet, sans travailler, de valider des trimestres de retraite. Or la retraite doit toujours rester le fruit du travail. Je proposerai sa suppression. »

Un coup bas contre des allocataires pour la plupart âgés de plus de cinquante ans, chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits et qui disposent bien souvent de ce que les salariés de France Travail nomment « des freins à l’emploi » : parmi eux, des personnes handicapées non bénéficiaires de l’AAH. Ces allocataires sont actuellement plus de 300 000, avec des revenus toujours en deçà du SMIC. Ils basculeraient directement au RSA, avance Gabriel Attal : ce qui les empêcherait de valider des trimestres pour leur retraite, contrairement à ce que permettait l’ASS.

 

3 : « Réarmement civique » (ou dressage de la jeunesse ?)

 

Pour l’école comme pour le reste, un mot d’ordre : « réarmer ». Lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, juste avant son départ, Gabriel Attal avait annoncé un ensemble de mesures regroupées sous le nom de « choc des savoirs ». Parmi elles : la modification des programmes, ou encore le fait de redonner aux enseignants – non plus aux familles – le dernier mot sur les redoublements. Mais aussi : la mise en place de groupes de niveaux en français et en mathématiques, tout au long du collège.

Ces groupes de niveaux seront mis en place « dès cette année dans nos collèges », affirme aujourd’hui le Premier ministre. « En 6ème, être tout de suite catégorisé comme n’étant pas un bon élève, c’est une ségrégation supplémentaire. L’entre-soi, ça ne donne jamais rien de bon », estimait Caroline Marchand, co-secrétaire du SNUIPP-FSU en Seine-Saint-Denis, auprès de Rapports de Force. Gabriel Attal, lui, défend une volonté d’« assumer que tout le monde n’avance pas au même rythme ».

« Réarmer » l’école passe aussi, pour le Premier ministre, par le déploiement de l’uniforme. Une expérimentation est en cours : si elle s’avère « concluante, nous généraliserons à la rentrée 2026 », soutient-il, s’inscrivant dans l’horizon donné par Emmanuel Macron mi-janvier. À la rentrée 2026 également, le gouvernement vise la généralisation du SNU (Service national universel). Pourtant, une série de rapports parlementaires et enquêtes journalistiques, notamment de nos confrères de Politis, n’ont eu de cesse de pointer les dysfonctionnements et dérives du SNU.

« Réussir le réarmement civique, c’est au cœur de mon gouvernement (…) Ce respect s’apprend à l’école, mais s’apprend aussi dans les familles », martèle Gabriel Attal. Le Premier ministre tisse un trait d’union entre école, foyer parental et… Justice des mineurs. « À la moindre entorse à notre pacte républicain, il doit y avoir des sanctions fermes », expose-t-il.

Mais que signifie l’« entorse au pacte républicain » ? Pas plus de précision pour le moment, si ce n’est que le Premier ministre y met au centre la question de la laïcité. Dans les établissements scolaires, une « révision de l’échelle des sanctions » est annoncée. Gabriel Attal fait ensuite le lien avec les révoltes suite à la mort de Nahel. Il annonce la création de « travaux d’intérêt éducatifs » pour les mineurs de moins de 16 ans. Mais aussi des propositions de placement en internat pour tout jeune « sur la mauvaise pente ».

 

4 : Au lieu d’une revalorisation des salaires, des primes « au mérite »

 

Louant l’action gouvernementale sur le plan de l’éducation, le Premier ministre a défendu une « réforme majeure du lycée professionnelle ». Promise pour le mois de mars, ce texte est pourtant vivement combattu par les syndicats du secteur. Pour preuve, son rejet unanime lors du dernier Conseil supérieur de l’éducation. Le Premier ministre a également mis en avant l’ « augmentation du salaire des enseignants la plus forte depuis 30 ans ». Derrière cette communication, la réalité est bien en-deça des promesses. Les revalorisations sont essentiellement des primes : le Pacte enseignant permet des revenus supplémentaires, non soumis aux cotisations sociales, et conditionnés à la réalisation de missions basées sur du volontariat. Sur le terrain, nombre d’enseignants ne peuvent ou ne veulent pas s’en saisir. Seule réponse apportée aujourd’hui aux critiques : « nous évaluerons le Pacte enseignant et si des mesures s’imposent, nous les prendront », évoque Gabriel Attal.

Dans la même logique que ce Pacte récompensant ceux qui peuvent travailler plus – et aggravant, par là même, les inégalités femmes-hommes -, le Premier Ministre annonce une revalorisation des fonctionnaires « en intégrant le mérite et l’effort à la rémunération ». Un projet de loi sur le sujet va être déposé « au second semestre de cette année ». En outre, une réforme de la formation initiale des enseignants est annoncée « d’ici mars », sans plus de précision sur ses contours.

Pour les AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap), en lutte ces dernières années pour un statut et un salaire dignes, le Premier ministre n’a annoncé qu’une seule mesure. À savoir, la prise en charge par l’État, en lieu et place des collectivités locales, de la pause déjeuner. Ce temps du midi se heurte souvent à des problématiques de financement, avec pour conséquence des élèves non accompagnés. Toujours rien, en revanche, sur l’accès de ces personnels scolaires ultra-précaires à un véritable statut ou à un temps complet.

 

5 : Congé de naissance : un retour rapide au travail pour les femmes

 

De l’art d’enlever des droits en faisant mine d’en octroyer ! Cela résume assez bien l’annonce faite par Emmanuel Macron le 16 janvier dernier et confirmé par Gabriel Attal. À compter de 2025, le congé de naissance remplacera le congé parental. Il se cumulerait avec les congés de maternité (16 semaines) et de paternité (28 jours), mais sera mieux rémunéré que le congé parental : un pourcentage du salaire (non défini à ce jour), avec un maximum de 1800 euros pour les plus haut revenus, au lieu de la prestation sociale de 429 euros par mois pour le congé parental.

Un meilleur revenu, donc. Mais une durée drastiquement réduite. Au lieu de pouvoir bénéficier de trois ans de congés dès le deuxième enfant, avec les congés maternité et paternité, les parents se verront limités à un congé de naissance n’excédant pas six mois en tout. Avancée dans le cadre de ce qu’Emmanuel Macron a appelé « le réarmement démographique », cette annonce pourrait bien cacher une mesure d’économie budgétaire, avec une telle réduction de durée, et selon le pourcentage choisi du salaire maintenu.

En réalité, la mesure est en phase avec l’obsession du « travailler plus » du chef de l’État. L’argument utilisé par ce dernier, selon lequel le congé parental « éloigne beaucoup de femmes du marché du travail » en rendant difficile leur retour tient mal. De fait, les employeurs ont l’obligation de réintégrer à leur poste les parents qui le prennent – dans la très grande majorité, les femmes. Des négociations doivent s’ouvrir avec les syndicats et l’Union nationale des associations familiales en vue du prochain Projet de loi de finances de la Sécurité sociale à l’automne prochain.

 

6 : Le logement social attaqué

 

Face à la crise du logement, Gabriel Attal promet un « choc d’offre » guidé par un credo : « simplifier les normes ». Annonce phare du gouvernement : la remise en cause de la loi SRU. Celle-ci impose aux communes un quota à respecter de 25 % de logements sociaux, à l’horizon 2025 puis au-delà, sous peine d’amendes financières. Or, le Premier ministre souhaite intégrer dans ce calcul des 25 % les logements intermédiaires. Ceux-ci sont destinés à la classe moyenne en zone tendue dont les revenus sont trop élevés pour le parc social. Un assouplissement des règles, au détriment des plus précaires.

« Nous allons donner la main au maire pour les premières attributions dans les logements sociaux », promet aussi Gabriel Attal. Mauvaise nouvelle pour les ménages DALO relogés par la préfecture ; ou même pour les demandeurs qui n’habitent pas dans la commune. « Pour les maires qui refusent d’accueillir des pauvres et des mal-logés, cela leur permettra d’éviter des attributions aux ménages prioritaires, d’appliquer la préférence communale et de respecter la loi SRU en faisant du logement non-social pour les cadres, dit “intermédiaire” », résume Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Ces annonces tombent l’avant-veille des 70 ans de l’appel contre le mal-logement de 1954 lancé par l’abbé Pierre qui, à la fin de sa vie, a âprement défendu le respect de la loi SRU.

 

Guillaume Bernard, Maïa Courtois, Stéphane Ortega