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Casino : « Comment un groupe de 125 ans peut couler comme ça ? ». Un mois décisif pour ses 20 000 salariés

 

Après que les nouveaux dirigeants milliardaires du groupe Casino ont confirmé la revente des magasins le 7 décembre, l’intersyndicale menant la mobilisation des salariés tente d’agir vite, pour limiter la casse. Le 19 décembre, les dirigeants lui présenteront les offres des repreneurs. La justice vient d’octroyer un délai prolongé de deux mois maximum pour organiser la reprise. 

 

Tout va aller vite, très vite, pour décider de l’avenir des salariés Casino. Le consortium qui a repris la tête du groupe, dirigé par le milliardaire tchèque Daniel Křetínský (influent dans les secteurs de l’énergie, de la presse et de l’édition) aux côtés du français Marc Ladreit de Lacharrière et du fonds britannique Attestor, a confirmé la revente à la découpe des magasins, au nom de l’endettement du groupe à hauteur de 6 milliards d’euros.

« Ceci engendrera forcément une casse sociale sans précédent (…) ainsi que des dégradations des conditions de travail dans les magasins. Pour les gérants, l’ensemble du parc sera franchisé », expose l’intersyndicale (FO, CGT, CFDT, UNSA, CFE-CGC) dans un communiqué. Sont concernés 18 000 salariés dans les magasins du groupe (marques Casino, Géant, Monoprix, Franprix, Leader Price), 2 500 dans les entrepôts et 4 000 dans les deux sièges de l’entreprise, évaluent les syndicats.

 

« Les salariés vont perdre leurs accords, alors que ce sont déjà des smicards »

 

« On va avoir des entrepôts fermés. Le siège de Saint-Étienne va être démantelé », précise Jean Pastor, délégué syndical CGT et porte-parole de l’intersyndicale. Les dirigeants du groupe ont assuré que le siège serait conservé, mais l’intersyndicale a du mal à y croire. Quant aux magasins qui seront repris, « les salariés vont perdre leurs accords d’entreprise ou de groupe. Alors que ce sont déjà des smicards, sur lesquels la moindre baisse des quelques avantages obtenus aura des impacts monumentaux », ajoute-t-il.

Les semaines à venir vont déterminer la façon dont ces supermarchés et hypermarchés seront découpés et repris. Lundi 11 décembre, une prolongation de la procédure de sauvegarde accélérée du groupe a été actée par le tribunal de commerce de Paris. Ce type de procédure est ouvert à la demande de l’entreprise rencontrant des difficultés financières, pour soutenir sa restructuration. La période initiale de deux mois est renouvelable une fois : la décision du tribunal permet donc à Casino de disposer de deux mois supplémentaires pour fixer les modalités avec les repreneurs.

Cette procédure, « qui diminuera de manière conséquente la dette du Groupe », couplée aux « ventes massives de magasins, feront de Monsieur Kretinsky l’unique grand gagnant de l’opération », décrypte l’intersyndicale dans un communiqué ce mardi 12 décembre.

 

Un mois pour faire pression sur Casino : nouvelle manifestation à Saint-Étienne dimanche

 

Dans une semaine pile, mardi 19 décembre, la direction du groupe recevra l’intersyndicale pour faire le point sur les offres des potentiels repreneurs reçues. « Toutes les enseignes intéressées, que ce soit pour racheter partiellement ou totalement les magasins, vont nous être présentées. Après, on ne nous dira rien sur les orientations et préférences… » explique Jean Pastor.

Ces orientations devront leur être communiquées au maximum le 11 janvier. Autrement dit : le mois à venir est décisif pour faire pression. L’intersyndicale ne s’y trompe pas. Ce mardi, les délégués syndicaux sont réunis pour affiner ensemble la stratégie de lutte. Un préavis de grève court du 5 au 31 décembre.

Le 5 décembre, pas moins d’un millier de salariés du groupe Casino ont manifesté à Saint-Étienne, devant le siège du groupe ; ainsi qu’en région parisienne. Ce dimanche 17 décembre, une nouvelle manifestation est prévue à Saint-Étienne. Une manière de peser avant l’importante réunion du 19. « Il s’agit de montrer la force de l’intersyndicale, le fait que beaucoup de salariés refusent la vente », soutient Jean Pastor. Avant de promettre : « là, ce sont les actions sympathiques, qui ne coûtent pas cher à Casino… Mais on envisage d’autres formes d’actions derrière ».

En parallèle, l’intersyndicale tente d’être entendue au plus haut niveau de l’État. Rassemblés devant l’Élysée lundi 11 décembre, les représentants syndicaux se sont vus confirmer la possibilité d’un rendez-vous avec Emmanuel Macron, via son directeur de cabinet. Mais sans date fixée, pour le moment. Les syndicats comptent bien tout faire pour obtenir l’entrevue : « si on ne fait pas de bruit, il ne nous arrivera rien », résume le délégué syndical CGT.

 

« Deux financiers qui jouent au poker menteur, avec les salariés au milieu »

 

« L’État a laissé faire pendant des années Jean-Charles Naouri [ex-PDG de Casino, qui avait déjà revendu Moulinex endetté, ndlr], dont on voyait bien que son endettement allait droit dans le mur… Et pourtant il avait crédit ouvert dans les banques », a rappelé le député François Ruffin (LFI). Estimant que « l’État a une dette morale envers les salariés », il demande une intervention « pour que cette revente ne serve pas juste aux nouveaux financiers à faire du bénéfice sur le dos des salariés ».

 

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Fin juillet 2023, le groupe Casino avait présenté son plan de restructuration – comprenant la prise de contrôle, qui sera effective début 2024, du consortium dirigé par Křetínský. La revente totale des magasins n’y figurait pas. Dans une lettre aux salariés, Jean-Charles Naouri évoquait la piste de l’entrée « d’un ou de plusieurs nouveaux investisseurs », mais garantissait être « très vigilant » quant au maintien des emplois.

Pas de quoi étouffer toutes les craintes d’une vente à la découpe, mais tout de même : « on était un peu dans le déni. On se disait : un groupe de 125 ans, comment ça peut couler comme ça ? On avait un peu envie de croire le PDG », retrace Jean Pastor. « Mais il a sacrifié les salariés, avec des mensonges. Tout cela est le résultat de mauvais choix stratégiques ».

C’est à l’occasion d’une réunion entre l’intersyndicale et les nouveaux dirigeants, le 7 décembre, que la vente à la découpe des supermarchés et hypermarchés a été confirmée officiellement. « Le consortium a fait quelques circonvolutions d’abord. Mais comme cela fait un certain temps qu’ils nous disent que l’on coûte trop cher, que l’on est plus bons à rien, on leur a dit : allez-y, on peut tout entendre… Ils nous ont alors lâché que les magasins étaient à vendre », raconte Jean Pastor. « On le vit très mal, tout ça. Ce sont deux financiers qui jouent au poker menteur, avec les salariés au milieu. »