Des blocages pour soutenir les éboueurs de Paris et gagner « la guerre d’usure »

 

Alors que les éboueurs ont interrompu leur grève, de nombreuses personnes veulent continuer à peser sur le secteur stratégique des déchets. Grâce à des actions de blocage, les militants espèrent gagner une « guerre d’usure ».

 

Bras dessus, bras dessous, une quarantaine de personnes tentent de résister aux violentes secousses des policiers. Ce mardi 4 avril, rendez-vous a été donné au garage des camions-bennes des éboueurs de la ville de Paris. L’objectif est d’entraver la collecte de déchets du jour.

Si les salariés du secteur ne participent pas aux actions de blocage, ils bénéficient du soutien de nombreuses personnes, se relayant sur différents lieux stratégiques. Syndiqués, membre d’associations écologistes ou simples citoyens, ils ont un objectif commun : participer au blocage d’un secteur jugé stratégique.

 

La Police assure le service de déblocage

 

« On est là depuis 5 h 30 en soutien aux grévistes », explique Cyril. Jusque-là, une bonne ambiance régnait de l’avis de ce militant du collectif Dernière Rénovation. Quatre heures plus tard, l’atmosphère s’est tendue. Une quinzaine de policiers tentent désormais de débloquer l’accès au dépôt. Plusieurs personnes sont projetées à terre. L’une d’entre elle est tirée sur plusieurs mètres au sol. « Arrêtez, arrêtez, lâchez-moi ! » crie une femme âgée extirpée du groupe par un policier. Dans son regard, se mêlent peur et détermination.

Soudain, un policier empoigne un militant par les deux bouts de son écharpe. En serrant le bout de tissu autour de son cou, le policier le force à s’éloigner du reste des autres personnes. Pendant plus d’une dizaine de secondes, il l’arrache au reste du groupe en l’étranglant, malgré les cris de protestation des manifestants révoltés. « Son écharpe, son écharpe », prévient pourtant un homme.

Quelques minutes plus tard, aspergé de lacrymogène, le groupe de militants est finalement contraint de reculer. Une quinzaine de camions sort du dépôt pour aller ramasser les ordures. « C’est une action très réussie, se réjouit néanmoins quelques minutes plus tard Cyril. Il était 9 h 40 quand les premiers camions sont sortis, au lieu de 5 h 30 ! Si les camions ne sortent pas avant 8 h, le ramassage est ruiné ». Coincés dans les embouteillages, les camions-bennes ne pourront pas ramasser beaucoup de déchets, d’autant plus que leurs conducteurs ont déjà passé une bonne partie de leur journée de travail, immobilisés au dépôt.

 

Peser sur l’économie

 

Le 27 mars, la CGT FTDNEEA, qui représente les éboueurs, a officiellement suspendu la grève. Après 20 jours de mobilisation, les difficultés financières se sont fait sentir. « Nous n’avons presque plus de grévistes », admettait le syndicat. Mettre en pause la grève, pour éventuellement mieux la relancer après avoir assuré sa sécurité financière : la démarche n’est pas dénuée de sens. Mais les effets sont directement visibles. Quelques jours plus tard, la municipalité a réussi à ramasser l’intégralité du surplus de déchets laissés sur les trottoirs. De quoi décevoir beaucoup de ceux qui voyaient dans la filière des déchets un secteur stratégique.

À quelques mètres du garage, Yasmina et Bruno tiennent un second blocage devant l’incinérateur de déchets. Moins soumis aux assauts des policiers, le site n’en est pas moins stratégique. Les déchets collectés dans la capitale, et dans 80 autres communes, sont en effet brûlés dans l’un des trois incinérateurs de la petite couronne francilienne. Bloquer ces sites a donc forcément un impact sur la collecte en obligeant les éboueurs à trouver un autre lieu pour vider leurs déchets.

Une chasuble Sud Énergie sur le dos, ils ont tous les deux décidé de se mettre en grève. Mais convaincus que leur arrêt de travail n’aura qu’un faible impact sur l’économie, ils ont souhaité aider les salariés d’un secteur clé. « C’est une guerre d’usure. Toutes les actions qui peuvent contribuer à bloquer le pays ou à montrer son mécontentement sont bonnes à prendre. L’objectif est que ça coûte de l’argent aux patrons des entreprises pour qu’ils demandent à Macron de retirer sa réforme », explique Yasmina.

Si Suez, qui gère l’incinérateur, s’est montrée discrète sur l’impact financier de ces actions, tous les militants l’assurent : l’entreprise est en train de perdre de l’argent. Faute de déchets qui rentrent sur le site, les cheminées fonctionnent a minima. Or, une telle installation a normalement pour but de transformer les ordures en chaleur ou en électricité, qui sont ensuite revendues. L’entreprise perd donc l’une de ses sources majeures de profit, tout en devant payer les salariés réquisitionnés. De quoi motiver Yasmina, qui se dit déterminé à poursuivre la lutte : « c’est un mouvement historique », assure-t-elle.

 

Solidarité entre bloqueurs et salariés

 

Au fil des actions de blocage, des liens de solidarité commencent à se créer. « En terme humain, on se soude [après une action], souligne Cyril, de Dernière Rénovation. Ce n’est pas trois lacrymos qui vont nous empêcher de revenir. Dès que je vais rentrer chez moi, je vais travailler à ramener plus de monde ». Si ces initiatives viennent palier un mouvement de grève faiblissant, elles n’ont pas vocation à totalement le remplacer. Admettant que la sociologie de son collectif diffère fortement de celle des grévistes de la filière déchet, Cyril prône la modestie.

« On s’est rendu aux AG. On est restés à l’écoute, pour voir ce qu’il se passe. J’ai énormément de sympathie pour eux, mais je ne connais pas du tout le syndicalisme », concède-t-il tout en mettant en avant le potentiel de son organisation. « On a des centaines de personnes qui sont formées à la désobéissance civile et qui sont prêtes à aller en garde-à-vue pour la lutte ».

 

Logistique du blocage

 

Devant le portail du site, un camion est à l’arrêt, ne sachant pas s’il peut rentrer ou non. À côté des cheminées, un chantier est en cours. Si les camions amenant des déchets et ceux amenant des matériaux pour le chantier doivent emprunter le même chemin, il a été décidé de ne bloquer que les premiers. Plusieurs personnes demandent alors au conducteur ce qu’il transporte. « Du bois », répond-il avant de tendre aux militants une feuille décrivant sa cargaison. Mais certains s’interrogent sur la sincérité de l’homme. N’y aurait-il pas en réalité des déchets dans la benne ? Pour prouver sa bonne foi, le conducteur autorise une inspection du contenu de son camion. Vérification faite, l’homme disait la vérité. « On s’est déjà fait avoir par le passé. Mais on commence à s’améliorer niveau organisation ! », explique Sylvain, adhérent de la CGT Chômeurs et Précaires, et membre du PRCF.

Au sein du petit groupe, certaines personnes se sont particulièrement impliquées. Kader court sans cesse d’un endroit à l’autre, sollicités par de multiples personnes. Membre de l’union locale CGT de Vitry-sur-Seine, il est devenu une figure importante du mouvement, en coordonnant le blocage et en assurant la liaison avec les salariés des incinérateurs. « Ils viennent nous faire des petits comptes-rendus », explique-t-il. Après quelques brèves minutes de discussion, le militant s’impatiente. « C’est bon, là ? Vous n’avez plus d’autres questions ? », interroge-t-il avant de se diriger de nouveau vers le portail de l’incinérateur, appelé par une autre urgence.

Ce 4 avril, deux des trois incinérateurs et plusieurs garages étaient bloqués. La veille, la CGT FTDNEEA a déposé un nouveau préavis de grève, à partir du 13 avril. Difficile de savoir si les agents seront massivement mobilisés ou non. Mais dans son communiqué, le syndicat appuie les actions entreprises par les militants en appelant à « se mobiliser dès […] mardi 4 avril sur des actions de blocage et de reprise en main de l’outil de travail ».