Des nuées de sauterelles et les eaux de la Seine transformées en sang. Ce sont les 10 plaies d’Égypte que promet François Bayrou, si son plan d’économies de 43,8 milliards n’est pas mis en œuvre. Depuis la mi-juillet, il enchaîne les formules choc : 5000 euros de dette supplémentaire par seconde, le surendettement du pays, le pronostic vital de l’État engagé qui laisserait planer l’hypothèse d’une prise de contrôle par le FMI. Mais qu’en est-il réellement ? La dette est-elle réellement insoutenable ? Le pays est-il vraiment au bord du précipice ?
Depuis la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre l’an dernier, la question de la dette est au cœur du débat public. Dès octobre 2024, le locataire de Matignon présentait un plan d’économies de 60 milliards d’euros pour le budget 2025. Censuré en fin d’année, Michel Barnier a été remplacé par François Bayrou. Et son plan d’austérité de 60 milliards remplacé par un budget, adopté par 49-3 à l’Assemblée nationale, prévoyant 50 milliards d’euros de redressement des comptes publics.
Pour le budget 2026, François Bayrou remet le couvert, annonce 43,8 milliards d’économies et des coupes à venir chaque année jusqu’à 2029. Objectif : réduire le déficit budgétaire pour qu’il atteigne 2,8 % dans quatre ans. Si les jours du Premier ministre sont comptés, le débat sur la dette publique lui survivra. D’où la nécessité d’apporter quelques éléments de repère pour éclairer ce débat.
Dramatisez, dramatisez, il en restera toujours quelque chose
Qui a déclaré « Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite sur le plan financier » ? Non, ce n’est pas François Bayrou à l’occasion d’une de ses nombreuses interventions sur la dette cet été. Il s’agit de François Fillon en 2007. Il était alors Premier ministre et s’apprêtait à proposer un plan d’économie de 6 à 7 milliards d’euros quelques mois plus tard. Toujours dans le registre des formules choc, Dominique De Villepin écrivait en 2012, dans son livre programme pour les élections présidentielles, que « chaque enfant naît aujourd’hui avec une dette théorique de 30 000 euros qu’il aura à rembourser pour le compte de l’État au cours de sa vie ». Il proposait donc de travailler plus en mettant fin aux 35 heures en plus d’instaurer l’inégalitaire TVA sociale.
Les citations alarmistes à propos des comptes publics sont bien trop nombreuses pour être toutes rapportées ici. Toujours est-il que François Bayrou et les membres de son gouvernement n’ont pas dérogé à cette tradition qui consiste à noircir le tableau pour justifier des mesures extrêmement impopulaires. Ainsi, le ministre de l’économie, Éric Lombard, a déclaré qu’il ne pouvait pas « affirmer que le risque d’une intervention de l’institution internationale n’existe pas », même si l’hypothèse d’une intervention du FMI est écartée par l’ensemble des économistes. Mais ici, il s’agit plus de susciter la peur que d’éclaircir la compréhension des débats sur la dette et les finances publiques.
L’État n’est pas un ménage
En plus d’agiter le spectre d’une intervention du FMI, le gouvernement, et son Premier ministre en tête, n’ont eu de cesse de comparer l’endettement de l’État à celui des ménages surendettés. Un contresens pour Éric Heyer, directeur de département à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à l’unisson des économistes qui se sont exprimés sur ce sujet.
L’économiste de l’OFCE rappelle dans une interview au journal 20 minutes que « l’État est immortel, contrairement à un ménage », et qu’il possède donc « l’éternité pour rembourser, pouvant emprunter pendant des siècles ». Dans la pratique, les États remboursent rarement leurs dettes. Ils la font rouler. C’est-à-dire qu’ils émettent des titres d’emprunt qui servent à rembourser d’autres titres d’emprunt arrivant à échéance. Ce que ne peuvent pas faire les ménages. De plus, ces derniers ne peuvent pas augmenter leurs revenus de la même façon que les États, en augmentant les impôts par exemple.
La dette est plus pour nous que pour nos enfants
Lors de sa conférence de presse du 25 août, le Premier ministre a joué sur la corde sensible en expliquant qu’il ne voulait pas « laisser un monde écrasé de dettes » à nos enfants. Un argument maintes fois répété par les membres du socle commun mais qui n’a que l’apparence du bon sens. En réalité, les dettes d’aujourd’hui ne seront pas obligatoirement les dettes des générations futures.
La moyenne des titres émis à moyen et long terme est de 9 ans et 8 mois en ce mois de juillet 2025, selon l’Agence France Trésor, organisme chargé de lever la dette française auprès des investisseurs. La proportion des titres émis ayant une durée égale ou supérieure à 30 ans est en réalité faible (entre 10 et 15 % selon les années). Cela signifie que se sont surtout les générations d’aujourd’hui, et non celles de demain, qui en sont comptables.
Des dettes, mais aussi du patrimoine
Si l’argument d’une dette léguée à nos enfants est trompeur, c’est aussi un mensonge par omission. En effet, si l’on souhaite s’aventurer sur le terrain d’un legs pour les générations futures, à propos de la situation financière de l’État, on ne peut se contenter du passif. Car en face des dettes, il y a des actifs. Une partie des dettes étant constituée par des nécessités d’investissement, les générations futures bénéficieront d’écoles, d’hôpitaux, de structures énergétiques, de transport, etc. De plus, l’État est propriétaire d’un bâti important et détient des parts dans un certain nombre d’entreprises.
Il y a dix ans, après que la formule choc de « chaque bébé né avec une dette de 30 000 euros » ait été utilisée par le personnel politique, France 5 et France-TV produisaient la websérie Ça va pas la dette. Dans le premier épisode, elle chiffrait à 45 000 euros la part du patrimoine des administrations publiques pour chaque Français à placer en face des 30 000 euros de dette par habitant. Fin 2023, le patrimoine net des administrations publiques, c’est-à-dire les actifs moins les dettes, s’élevait à 786 milliards d’euros, selon les données de l’Insee.
Un problème de recettes plutôt que de dépenses
En plus d’une dette qui atteint 3 345 milliards d’euros (114 % du PIB) à la fin du premier trimestre de cette année, le déficit budgétaire s’est creusé au cours des dernières années. Avec son budget adopté en début d’année, le gouvernement tablait sur un déficit contenu à 5,4% du PIB en 2025. Et souhaite ramener celui-ci en dessous de la barre des 3 % en 2029. Dans le viseur de ses mesures : d’abord et principalement les dépenses publiques, accusées de creuser le déficit.
Pourtant, celles-ci n’ont pas réellement augmenté depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, en proportion de la richesse produite en une année (le PIB). Selon les données de l’Insee, elles représentaient 57,7 % du PIB en 2017. En 2024 : 57,3 %. Elles se sont même contractées de 0,4 point. En revanche, les recettes ont nettement baissé pendant ses huit années de pouvoir. En 2017, elles représentaient 54,3 % du PIB, contre 51,4 % en 2024 (-2,9 points). Or, 2,9 points de PIB représentent près de 85 milliards d’euros. Soit plus de la moitié du déficit de l’État cette année-là.
L’augmentation des déficits budgétaires est donc inséparable de la politique dite de l’offre du président de la République. Elle a favorisé les entreprises et les hauts patrimoines en expliquant que leur prospérité ruissèlerait sur l’ensemble de la société. Cette politique s’est traduite notamment par la suppression de l’ISF, la baisse de l’impôt sur les sociétés et sur la production. Ainsi que par des aides diverses aux entreprises (subventions, exonérations ou allègements de cotisations sociales ou d’impôts) que le Sénat a chiffré à 211 milliards par an.
Une charge de la dette insoutenable ?
La charge de la dette. Quésaco ? C’est tout simplement l’ensemble des dépenses consacrées au paiement des intérêts de la dette. Son augmentation est soit imputable à une dette qui augmente, soit à des taux d’intérêt qui montent. Où aux deux facteurs à la fois. Évidemment, une augmentation de la charge de la dette rend les remboursements de la dette plus difficiles et pèse sur les budgets de l’État. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui, puisque le volume de la dette de l’État augmente en même temps que les taux d’intérêt remontent, après des années de taux de crédits particulièrement bas.
Cela valide-t-il pour autant les discours catastrophiques de François Bayrou ? Pas entièrement. Certes les intérêts de la dette dépassent les 50 milliards en volume en 2025, mais là encore, rapportés au PIB, ils restent inférieurs à 2 % de celui-ci. Une proportion similaire à il y a dix ans. Et même moindre que dans les années 90 ou les années 2000.
Il ne s’agit pas pour autant de dire qu’il n’y a aucun risque, dans la mesure où les dettes sont contractées sur les marchés financiers. Évidemment, ceux-ci peuvent spéculer sur la dette des États et provoquer un emballement des taux d’intérêt applicables aux titres à venir. Pire, l’irrationalité qui les caractérise peut précipiter des crises, puisque la confiance des créanciers détermine le niveau des taux d’intérêt, bien plus que la solidité économique réelle d’un pays.
L’austérité ou le chaos ?
François Bayrou n’a eu de cesse de le répéter depuis la mi-juillet : sans son plan d’économies de 43,8 milliards d’euros, la France s’enfoncera dans le chaos. Même menacé par sa propre demande de confiance devant l’Assemblée nationale ce lundi, il persiste à assurer qu’il n’y a pas d’alternative. Ce n’est pas ce que pense le Parti socialiste qui se dit prêt à gouverner et a présenté la semaine dernière une proposition de budget prévoyant 21,7 milliards d’euros de réduction des déficits. Celle-ci prévoit 14 milliards de baisse des dépenses et 27 milliards de recettes nouvelles, dont la taxe Zucman, un prélèvement de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. Les écologistes ont également proposé un « plan de sortie de crise » assez proche de celui des socialistes.
Mais les groupes parlementaires ne sont pas les seuls à avoir des propositions alternatives. Huit syndicats de salariés pointent comme cause des déficits budgétaires un problème de recettes. Par conséquent, ils réclament des « dispositifs qui taxent les gros patrimoines et les très hauts revenus, contraignent le versement des dividendes et conditionnent fortement les aides aux entreprises » pour un autre partage des richesses. De leur côté, cinq économistes membres de l’association Attac ont rédigé une tribune parue dans Le Monde appelant de leurs vœux «la sortie de la dette publique de l’emprise des marchés ». Pour y parvenir ils proposent de créer « un pôle bancaire public » qui « garantira la stabilité du financement ».
Avec la chute quasi certaine de François Bayrou lundi, des mouvements sociaux programmés au mois de septembre et les projets de loi de finances qui s’annoncent au parlement, les débats autour de la dette, des déficits budgétaires et des mesures politiques pour y remédier sont loin d’être clos.
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