Cette semaine, le budget entame son parcours parlementaire. La partie recettes du projet de loi de finances est examinée en commission des finances de l’Assemblée nationale depuis ce lundi, avant d’arriver en séance publique vendredi après-midi. Quant au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, son examen commencera jeudi en commission des affaires sociales, avant les débats en séance dès le 4 novembre. Rapports de force pointe au moins dix dispositions très défavorables aux plus modestes qui écornent le narratif du gouvernement sur des efforts partagés par tous.
La semaine dernière, Sébastien Lecornu a évité la censure à 18 voix près, ce qui lui permet de présenter son projet de budget cette semaine. Une prolongation de son bail à Matignon qu’il doit à une concession : la suspension de la réforme des retraites jusqu’au 1er janvier 2028. Un sursis temporaire de quelques mois en contrepartie d’un budget socialement ultraviolent pour les uns. Un premier pas vers un possible enterrement de la réforme en 2027 pour d’autres.
Mais que signifie cette suspension ? Concrètement, l’augmentation d’un trimestre par an de l’âge légal de départ à la retraite, prévu initialement jusqu’à 2030, s’interrompt cette année. Et ce, jusqu’au 31 décembre 2027 inclus. La borne d’âge reste donc à 62 ans et 9 mois jusqu’à cette date. De la même façon, le nombre de trimestre requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein restera à 170 trimestre – au lieu de 172 – durant la même période.
Depuis plusieurs jours, le débat s’enflamme autour du véhicule législatif permettant de suspendre l’allongement de l’âge de départ à la retraite. A ce stade, l’exécutif a fait connaître sa préférence : un amendement dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS). Un PLFSS qui comme le projet de loi de finances (PLF) comprend de nombreuses mesures très antisociales, avec 17 milliards d’euros de baisse des dépenses.
Pour l’hôpital, le pire budget depuis 15 ans
L’hôpital est à l’os, dénoncent les soignants luttes après luttes. Avec le budget 2026, l’hôpital pourrait même perdre un os. Le gouvernement prévoit dans son PLFSS de tailler dans le plafond des dépenses que les établissements de santé pourront réaliser.
L’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) n’augmenterait que de 2,1 % en 2026. Même moins : 1,6 %, une fois déduite la hausse des cotisations employeurs de retraite. Soit une baisse des moyens, puisque le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et l’inflation font grimper les dépenses de santé d’environ 4 % chaque année. Toute augmentation inférieure implique donc des économies sur la santé. Ainsi, les fédérations hospitalières s’alarment d’un budget qui « met en danger l’accès aux soins » et dénoncent une absence de financement qui correspond à « l’équivalent de 20 000 postes d’infirmiers qui ne pourront pas être pourvus ».
En plus des économies inscrites dans l’ONDAM, l’ensemble des coupes réalisées sur l’assurance maladie atteindrait 7,1 milliards dans le budget Lecornu. Plus que dans celui présenté par François Bayrou : 5,5 milliards d’euros.
Frais médicaux : le doublement du reste à charge
Le PLFSS prévoit le doublement des franchises médicales et de la participation forfaitaire. Concrètement, cela signifie une augmentation du reste à charge pour les patients. En première ligne : les plus fragiles, âgés ou nécessitant des soins réguliers du fait de maladies longue durée. S’il vous restait 3 euros à payer pour une boîte de médicaments remboursée par la Sécurité Sociale en pharmacie, votre reste à charge s’élèvera désormais à 6 euros. Même logique de doublement pour les actes paramédicaux et pour le transport sanitaire.
Concernant la participation forfaitaire : elle s’élève actuellement à 2 euros après tout rendez-vous avec votre médecin, une radio ou une analyse biologique, dans la limite de 50 euros par an. Si la mesure passe, cette participation s’élèverait à 4 euros dans la limite – également rehaussée par le PLFSS – de 100 euros par an. Le plafond des reste à charge, toute prestation comprise, est de 350 euros.
Les malades de longue durée dans le viseur
Les personnes souffrant d’une affection longue durée (ALD) sont particulièrement visées par diverses mesures du budget. En plus de la hausse des médicaments et prises en charge médicale, ces profils pourraient devenir imposables. Jusqu’ici, les indemnités journalières versées pour une ALD étaient exonérées d’impôt, pour toutes les personnes relevant de la liste des 30 affections (ALD 30) établie par le ministère de la Santé. Les cancers ou encore le diabète de type 1 et 2 y figurent. Or, le PLFSS vise à supprimer ces exonérations.
Pour rappel, l’augmentation des maladies chroniques fait que de plus en plus de personnes bénéficient de ce dispositif ALD : le gouvernement estime que 26% de la population pourrait y avoir droit en 2035. Malgré ce besoin grandissant, c’est bien le choix politique de peser financièrement sur ces citoyens parmi les plus fragiles qui est fait par le gouvernement Lecornu II.
Gel des prestations sociales et des pensions retraites en 2026
Conformément à la volonté initiale de l’ex-Premier ministre François Bayrou, Sébastien Lecornu présente un budget avec une « année blanche » pour les prestations sociales (allocations familiales, RSA, prime d’activité, APL…) et pensions retraites. Les montants de ces prestations et pensions seront donc gelés en 2026, et non pas indexés sur l’inflation comme c’est le cas chaque année pour éviter tout décrochage. Les pensions retraites subiront même une sous-indexation de 0,4% entre 2027 et 2030, a précisé Bercy.
Pourtant, depuis les premières velléités de François Bayrou, près de 80 associations dans le champ de la précarité regroupées dans le collectif ALERTE n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme face à ces « mesures injustes, qui ciblent les plus faibles, ceux pour qui chaque euro compte en fin de mois » alors que le taux de pauvreté en France est à son plus haut niveau depuis 30 ans. Elles appellent à « un budget de justice et d’investissement social », à l’inverse de ce qui est aujourd’hui présenté aux parlementaires.
Plus de 3 000 postes de fonctionnaires supprimés
Pas moins de 3 119 postes de fonctionnaires en moins en 2026. C’est ce que prévoit le budget Lecornu. Les principales coupes seront effectuées dans les opérateurs et agences de l’Etat, qu’il est devenu de bon ton de trouver « superflus » à droite. L’ADEME, l’Agence de l’eau et les nombreuses autres agences, assurent pourtant des missions d’expertise concernant l’écologie ou les politiques publiques qui sont loin d’être inutiles. Elles seront pourtant amputées de 1735 fonctionnaires. Le reste des réductions de poste se fera au sein des caisses de sécurité sociale.
Du côté de l’Education nationale, le ministre annonce 5 440 postes d’enseignants créés, quand le SNES-FSU affiche un besoin à auteur de 9 000. Dans le même temps, 4 018 postes sont supprimés. Une opération qui ne permet en rien d’améliorer le système scolaire et les conditions de travail des enseignants.
Logement : les HLM, les étudiants étrangers et la rénovation énergétique sacrifiés
Alors que le budget 2025 restait plutôt protecteur, les moyens du logement social sont aujourd’hui de nouveau attaqués. Une baisse de 900 millions d’euros (de 23,1 à 22,2 milliards) de l’enveloppe dédiée au logement social est prévue dans le PLF 2026. Avec des mesures restrictives touchant aux APL, à la rénovation énergétique, ou encore au désengagement de l’État du Fonds national d’aide à la pierre – déjà sévèrement menacé dans son existence. « Alors que la crise du logement n’a jamais été aussi forte, le budget proposé est catastrophique et va renforcer les effets de cette crise, dans l’hexagone comme en Outre-mer », juge Emmanuelle Cosse, la présidente de l’Union sociale pour l’Habitat représentant les organismes HLM aujourd’hui lourdement ponctionnés.
Entre autres mesures, les aides MaPrimeRénov’ seront « recentrées sur les logements prioritaires » l’an prochain tandis que l’Agence nationale de l’habitat (Anah) qui distribue ces subventions verrait sa dotation baisser de 500 millions d’euros. Quant aux APL (gelés en 2026 comme les autres prestations), celles-ci pourraient être définitivement enlevées aux étudiants étrangers non-boursiers. Pourtant, ces derniers sont souvent précaires mais exclus du système de bourse du fait des nombreuses contraintes administratives. « Ce n’était pas déjà suffisant de leur imposer, à travers le plan Bienvenue en France, des frais d’inscription jusqu’à 16 fois plus élevés que ceux de leurs homologues européens ? », s’indigne le syndicat L’Union étudiante auprès du Monde.
Les plans sociaux XXL vont continuer dans les collectivités et l’associatif
Les coupes budgétaires portant sur le financement des collectivités territoriales seront moins élevées que celles prévues par le budget Bayrou… mais de très peu. Alors que l’ex-premier ministre souhaitait une coupe de 5,3 Md d’euros, elle sera finalement de 4,6 Md. De son côté, le CFL (Comité des Finances Locales), un organisme parlementaire destiné à défendre les intérêts financiers des collectivités territoriales, estime que 8 Md d’euros seront ponctionnés. En effet, certaines coupes inscrites au projet de budget ne sont pas prises en compte par le gouvernement dans son calcul. Pourtant, elles affecteront bel et bien le fonctionnement des collectivités.
Parmi elles, le CFL cite la réduction des crédits du fonds vert (500 millions d’euros) et la baisse des moyens alloués aux agences de l’eau (90 millions d’euros) et à l’Agence nationale de l’habitat (700 millions d’euros). Elle prend aussi en compte la hausse de trois points (1,4 Md d’euros) des cotisations dues par les employeurs territoriaux au régime de retraites des fonctionnaires territoriaux (la CNRACL). Une augmentation du « coût » des fonctionnaires qui pourrait inciter les collectivités à recruter encore davantage de contractuels, qui eux, ne cotisent pas à la CNRACL.
Comme lors du budget Barnier, ces coupes budgétaires devraient avoir pour conséquence la poursuites des plans sociaux XXL dans le monde de la culture, de l’associatif, du soin… et des bataille sociales permettant d’y résister.
De nouveaux foyers modestes imposables
Le PLF 2026 ne prévoit pas de revalorisation du niveau des tranches de l’impôt sur le revenu. Le niveau de revenu requis pour payer des impôts restera le même que l’année précédente. Des personnes dont les revenus ont augmenté en 2025, et qui n’étaient pas imposables jusqu’à présent, pourraient être redevables de ce prélèvement. Pourtant, ils ne bénéficient pas forcement d’une hausse de leur niveau de vie, du fait de l’inflation. Selon le ministère de l’Economie, ce gel du barème devrait provoquer notamment l’imposition de 200 000 nouveaux entrants.
De plus, le barême de la CSG (Contribution Sociale Généralisée), un impôt qui participe au financement de la sécurité sociale à la place des cotisations, verra également son barème gelé. Il est prélevé sur les revenus d’activité (salaire, revenus des indépendants, etc.) mais aussi les pensions de retraite ou encore les indemnités chômage. Additionnée avec le gel du barème de l’’impôt sur le revenu, la mesure devrait ramener 2,2 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de l’Etat.
Mesquinerie raciste
C’est une mesure qui rapportera seulement 160 millions d’euros. Mais qui permet de donner des gages à l’extrême droite. Le budget 2026 prévoit d’augmenter les taxes payées par les étrangers lors de leurs démarches administratives, soit environ 1 million de personnes. Au lieu de s’acquitter d’une taxe de 225 euros pour une demande de carte de séjour (ou son renouvellement), la facture passe à 350 euros (taxe et droit de timbre additionnés). Le visa de régularisation augmentera également de 50%, passant de 200 euros à 300 euros. Enfin, pour demander la nationalité, on multiplie quasiment le coût par cinq : de 55 euros à 255 euros. Le gouvernement prévoit, en outre, de créer une taxe de 40 euros pour les demandes d’échange d’un permis de conduire étranger contre un permis français.
Suppression d’abattements fiscaux pour les familles
Le gouvernement veut également supprimer la réduction d’impôts pour les frais de scolarité, accordée aux familles imposables – pas nécessairement aisées. Ces dernières bénéficient de 61 euros de réduction d’impôt pour chaque enfant au collège, 153 euros au lycée et 183 euros dans l’enseignement supérieur. Le gouvernement entend ainsi économiser 240 millions d’euros.
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