Exclusion des sans-papiers, violences policières : « c’est lié »

 

Les collectifs de travailleurs sans-papiers ont manifesté dans plusieurs villes françaises ce samedi 20 juin, en s’inscrivant dans la lignée des rassemblements contre le racisme qui se sont multipliées ces dernières semaines.

 

« Si on parle de racisme systémique, il ne faut pas seulement déboulonner les statues du passé, mais aussi tout un système raciste et colonial ». C’est en faisant le lien avec les manifestations de ces dernières semaines contre les violences policières et la mémoire peu interrogée de l’histoire coloniale qu’une nouvelle « Marche des solidarités » a été organisée par les collectifs de sans-papiers à travers la France.

« Les combats sont liés », explique Kante Fussany à Paris, originaire du Mali, qui a participé aux manifestations organisées par le comité Adama le 2 et 13 juin. Cette organisation réclame justice pour Adama Traoré, un jeune homme noir décédé suite à une interpellation en juillet 2016. Pour sa sœur Assa Traoré, Adama est mort parce qu’il était noir. Kante réclame, lui aussi, d’être traité de manière égale, peu importe ses origines ou la couleur de peau : « On est dans un pays d’égalité, des droits de l’Homme. Nous sommes tous là et on veut l’égalité. »

 

Cortège des livreurs Freechti lors de la manifestation des travailleurs sans-papier à Paris le 20/06/2020 – Crédit : D.R

 

La régularisation du statut de tous les travailleurs sans-papiers est une première étape fondamentale pour l’égalité, selon les manifestants lors de cette journée mondiale des réfugiés. « On attend que le gouvernement fasse une loi qui facilite la régularisation », abonde Bakari Frame, lui aussi originaire du Mali.

 

« La plus grosse manif pour la régularisation des sans-papiers depuis 2009 »

 

Après une première manifestation le 30 mai, ils étaient 25 000 selon les organisateurs à demander la régularisation ce samedi à Paris, 1500 à Lyon selon le syndicat Solidaires, avec des rassemblements également à Marseille, Rennes, Orléans, Lille, Rennes, Toulouse, Grenoble, Montpellier, Strasbourg et Nantes.

À Paris, la manifestation s’est déroulée dans le calme entre Nation et Stalingrad, bien que les participants ont été régulièrement bloqués par les CRS. Le premier blocage a eu lieu devant le cimetière Père Lachaise, justement pour empêcher la convergence avec la marche en mémoire de Lamine Dieng, ce Franco-Sénégalais de 25 ans mort le 17 juin 2007 suite à une interpellation. Environ 1000 personnes se sont rassemblées place de la République à Paris, puis ont entamé une marche vers le quartier de Ménilmontant, où Lamine Dieng est décédé. Les organisateurs de la manifestation pour la régularisation des travailleurs sans-papiers avaient prévu « une jonction avec celle de commémoration à Lamine Dieng », mais les CRS ont empêché cette union. Afin de maintenir les luttes séparées ?

 

 

Malgré des blocages répétés, les manifestants ont poursuivi leur route tranquillement sous l’applaudissement de passants et en compagnie des syndicats Solidaires et CGT, des associations Ligue des droits de l’Homme, La Cimade et Droit au Logement, et de manifestants du PCF, NPA, EELV ou encore LFI. Selon le député LFI Éric Coquerel, c’était « la plus grosse manif pour la régularisation des sans-papiers depuis 2009 ». Avant de poursuivre sur Twitter : « Il est temps de reconnaître leur apport au pays, eux qui ont été au « front » dans des métiers indispensables pendant le confinement. »

 

« Frichti nous a exploité pendant le confinement »

 

Les personnes sans-papiers interrogées à Paris ont tous souligné l’épreuve du confinement. Ceux qui étaient enfermés dans les centres de rétention (CRA) – malgré la fermeture des frontières et donc l’impossibilité d’être expulsé – l’étaient souvent dans des conditions sanitaires déplorables. En dehors des CRA, sans papiers ils ne pouvaient bénéficier du chômage partiel et étaient souvent obligés de travailler malgré les risques. Livreur « de bonheur » (ou plutôt de plats préparés) chez Frichti, Keita Ibrahim s’indigne : « Nous avons travaillé pendant le confinement, Frichti nous a exploité ! Il faudrait que nous soyons en règle. » Il n’a plus de revenus depuis que l’entreprise a privé d’emploi tous les sans-papiers, après une enquête de Libération sur leurs conditions de travail.

Bakari a, lui aussi, dû travailler pendant le confinement. Il vit en France depuis six ans et travaille depuis 2016 pour le même patron dans la manutention, mais il n’a toujours pas été régularisé. Même problème pour Diakite. « J’ai travaillé pendant 4 ans au marché de Rungis (au sud de Paris), sans fiche de paie, détaille-t-il. Maintenant je travaille au noir dans le bâtiment, et c’est la même chose : le patron ne donne pas de fiche de paie. » Les fiches de paie sont essentielles afin d’être régularisé par le travail.

Lors de l’arrivée à Stalingrad et sous le pont de cette station parisienne de métro, quelques CRS sont à la traîne. Devant la foule qui arrive, ils prennent la fuite en courant pour rejoindre leurs collègues, sous les rires et applaudissements ravis des manifestants. Pendant quelques secondes, le rapport de force est inversé.