Près de 300 intellectuels, syndicalistes et enseignants ont signé une tribune demandant l’arrêt des poursuites contre le syndicat Sud Éducation de Seine-Saint-Denis. Mardi 21 novembre, le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer avait annoncé devant l’Assemblée nationale son intention de porter plainte contre le syndicat pour l’emploi du terme « racisme d’État » dans un de ses stages de formation.
Cinq jours après l’annonce par le ministre de l’Éducation de son intention de porter plainte, les membres du syndicat Sud Éducation 93 n’ont aucune nouvelle sur les suites données à l’intervention de Jean-Michel Blanquer dans l’hémicycle. Le syndicat enseignant y a été pointé du doigt par le ministre de l’Éducation pour l’usage du terme “racisme d’État” et pour avoir programmé deux stages sur neuf en non-mixité sur la question du racisme. De son côté, Sud Éducation 93 a publié un communiqué dans lequel il assume et revendique l’usage de cette dénomination pour qualifier les discriminations racistes.
« Dans le secteur de l’éducation, le racisme d’État est par exemple à l’œuvre lorsque la scolarité des enfants roms est interrompue par l’expulsion de leurs bidonvilles, ou lorsque des mères voilées sont interdites de sorties scolaires », argumente le syndicat de Seine-Saint-Denis. Vendredi, les syndicalistes dionysiens ont reçu l’appui de 300 universitaires, syndicalistes, chercheurs, enseignants et militants. Nous reproduisons ici leur tribune.
«Au croisement des répressions», en soutien à Sud Éducation 93
« Nous en avons assez des tergiversations et des atermoiements de tous ces “responsables’’ élus par nous qui nous déclarent “irresponsables’’ (…). Nous en avons assez du racisme d’État qu’ils autorisent. » Pierre Bourdieu, Contre-feux, 1998
Reprenant les inepties propagées par la fachosphère, c’est un ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a attaqué publiquement et devant la représentation nationale le syndicat SUD Éducation 93 pour son stage de formation syndicale « Au croisement des oppressions : où en est-on de l’antiracisme à l’école ? »
Nous sommes pour tout dire supéfait.es de cette atteinte grave aux libertés syndicales comme de la tournure que prend le débat public, virant à la stigmatisation avec beaucoup d’amalgames, d’approximations, voire de mensonges. Cette médiatisation a des conséquences pour les militant.es de ce syndicat qui subissent depuis plusieurs jours menaces, injures, calomnies émanant de l’extrême droite. Et il est inacceptable qu’un ministre légitime cette entreprise.
Avant toute chose, il faut rappeler l’évidence : oui ce stage de formation syndicale est bien un stage antiraciste, visant à combattre les discriminations raciales.
Alors, on peut avoir des réserves sur la pertinence des méthodes employées par SUD Éducation 93 dans ce stage, dont celle qui fait couler beaucoup d’encre, les ateliers en non-mixité. Nous pouvons même, après tout, être en désaccord et en débattre. Mais il y a des impostures agitées par les détracteurs de SUD Éducation 93 que nous ne pouvons accepter.
Les deux ateliers non mixtes (sur neuf) constituent une partie seulement du programme du stage, dont une grande part se déroule en plénière, mixte. Il ne s’agit donc absolument pas d’un stage « interdit aux blancs » comme plusieurs médias ont cru pouvoir l’affirmer.
Ces ateliers restent organisés dans un but : déconstruire des mécanismes d’oppressions avec pour finalité de mieux comprendre le racisme pour mieux le combattre aujourd’hui.
Comme l’a expérimenté le mouvement féministe avec intérêt, l’intention de la méthode de non-mixité est bien de chercher à faire avancer l’égalité… celle-là même qui s’inscrit aux frontons de nos mairies sans se traduire dans les faits pour des millions de nos concitoyen.nes. Et c’est cela qui devrait être la préoccupation des pouvoirs publics.
Mais, c’est à l’opposé de cette préoccupation que Jean-Michel Blanquer a annoncé vouloir attaquer en diffamation le syndicat SUD Éducation 93 pour l’usage des mots « racisme d’État ».
Nous demandons au ministre : faudra-t-il demain mettre au pilon l’abondante littérature scientifique qui utilise cette expression et en analyse les déclinaisons, malheureusement bien concrètes ? Faudra-t-il demain bannir des écrits et travaux de Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou d’autres les pages qui l’évoquent ?
Nous ne pouvons pas non plus accepter la répression antisyndicale et sa judiciarisation croissante, impulsée par le sommet de l’État. Au moment où Jean-Michel Blanquer attaque le syndicat SUD Éducation, Muriel Pénicaud met à pied une inspectrice du travail également membre de SUD et sanctionne deux militants de la CGT.
Le cas présent nous amène bien « au croisement des répressions » : surfant sur les paniques identitaires, le ministre de l’Éducation nationale s’aligne sur le calendrier dicté par l’extrême droite pour chercher à disqualifier le mouvement social et faire diversion face aux contestations.
Nous exigeons que toutes les poursuites à l’égard de SUD Éducation 93 soient immédiatement abandonnées.
Parmi les premiers signataires :
Verveine Angeli, secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires
Jean-Christophe Angaut, maître de conférences de philosophie à l’ENS de Lyon
Paola Bacchetta, professeur, University of California, Berkeley
Bally Bagayoko, maire-adjoint de Saint-Denis
Sébastien Banse, journaliste au Journal de Saint-Denis
Ludivine Bantigny, historienne, Université de Rouen
Fatima Benomar, militante féministe
Olivier Besancenot, porte-parole du NPA
Eric Beynel, porte-parole national de l’Union syndicale Solidaires
Alain Bihr, professeur honoraire de sociologie
Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature
Martine Boudet, professeure agrégée de Lettres modernes, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France
Florence Bouillon, maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris 8 ;
Sami Bouri, enseignant de sciences économiques et sociales, co-fondateur-organisateur de “L’œuvre de Pierre Bourdieu en pratiques”
Olivier Chaïbi, agrégé d’histoire-géographie, docteur en histoire
Grégory Chambat, enseignant, syndicaliste, collectif Questions de classe(s)
Annick Coupé, membre du Bureau d’Attac
Philippe Corcuff, maître de conférences en science politique
Marielle Debos, maîtresse de conférences en science politique, Université Paris Nanterre
Laurence De Cock, historienne
Christine Delphy, sociologue
Jules Falquet, sociologue, Université Paris Diderot
Mireille Fanon-Mendès-France, pour la Fondation Frantz-Fanon
Sonia Fayman, sociologue, membre de l’Union juive française pour la Paix
Sophie Fesdjian, enseignante, chercheuse, anthropologue
Jean-Jacques Gandini, avocat honoraire
Sybille Gollac, sociologue, chercheuse au CNRS
Liliana Gonzalez, psychanalyste
Fabrice Guilbaud, maître de Conférences en sociologie, UPJV Amiens, secrétaire de section Snesup-FSU
Boualem Hamadache, secrétaire général SUD Conseil départemental de Seine-Saint-Denis
Claire Hancock, professeure de géographie, Université Paris-Est Créteil
Samuel Hayat, historien, chercheur au CNRS
Razmig Keucheyan, sociologue
Pierre Khalfa, économiste, militant altermondialiste
Rose-Marie Lagrave, sociologue, directrice d’études EHESS
Christian Leblanc, membre du Bureau national du SYNPTAC-CGT
Christian Mahieux, Cahiers Les Utopiques, syndicaliste Solidaires
Pascal Maillard, universitaire, SNESUP-FSU
Jean-Claude Mamet, co-animateur du blog « Syndicollectif »
Sarah Mazouz, sociologue, chargée de recherche au CNRS
Madjid Messaoudene, élue de Saint-Denis en charge de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits
Olivier Noël, sociologue, Université Paul Valéry-Montpellier
Sylvie Nony, chercheuse, militante FSU
Gaël Pasquier, maître de conférences en sociologie
Jean-François Pélissier, porte-parole national d’Ensemble
Irène Pereira, sociologue ;
Thierry Perennes, UL CGT Guingamp
Philippe Poutou, ancien candidat du NPA à l’élection présidentielle ;
Raphaël Pradeau, porte-parole d’ATTAC France ;
Sandra Regol, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts
Juliette Rennes, sociologue, EHESS
Jean-Louis Rotter, Fédération SUD Santé Sociaux
Théo Roumier, Cahiers Les Utopiques, syndicaliste Solidaires
Patrick Silberstein, éditions Syllepse
Patrick Simon, démographe, INED
François Spinner, revue N’autre école, collectif Questions de classe(s)
Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature
Romain Telliez, maître de conférences (histoire), Université Paris-Sorbonne
Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC France
Mathieu Uhel, université de Caen
Jérôme Valluy, professeur de science politique, Université Panthéon-Sorbonne
Marie-Christine Vergiat, députée européenne
Boris Vigneault, secrétaire général de la CGT Caisse des Dépôts
Olivier Vinay, élu Émancipation au Bureau national de la FSU
Voir la liste complète des signataires
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.