Les manifestations du 23 mars marquent-elles un tournant ? En tout cas, si l’exécutif espérait un essoufflement, c’est l’exact inverse qui s’est produit. La mobilisation retrouve ses plus hauts niveaux depuis le 19 janvier. Avec un grand changement : l’ambiance est bien plus déterminée et revendicative.
« Il se passe quelque chose aujourd’hui. On a des débrayages partout. Dans la territoriale, des agents se mettent en grève dans des villages, même quand il n’y a pas de présence syndicale » explique, tout sourire, un syndicaliste CGT, peu enclin à l’optimisme habituellement. Il n’est que 10 h 30, la manifestation de Montpellier ne s’est pas encore élancée et n’est pas impressionnante pour l’heure. Mais une heure plus tard, les cortèges se sont épaissis et le défilé s’étend à perte de vue. La préfecture annoncera 18 000 manifestants, trois fois plus que le 15 mars, date de la dernière journée de grève interprofessionnelle, qui avait connu un tassement du nombre de participants. La CGT annoncera finalement 45 000 personnes. Plus que le 7 mars.
Mais au-delà des chiffres, ce qui tranche avec les manifestations précédents c’est le ton. La tension est perceptible, comme elle l’est habituellement quand un mouvement de grève s’ancre. Mais il est vrai que depuis la dernière journée de grève le 15 mars, il y a eu un 49-3, une motion de censure rejetée à neuf voix près et le discours lunaire d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, les cortèges de boîtes en rangs serrés sont plus fournis et plus combatifs. Celui des cheminots et des énergéticiens en grève reconductible depuis deux semaines a doublé, voire triplé. Et tout au long de la manifestation, de très nombreux jeunes sont venus renforcer les troupes. Même ambiance à Marseille où le journal La Marseillaise relate une « ambiance bouillonnante » dans le cortège des gaziers et électriciens.
« C’est une ambiance qui a totalement changé », nous confirme une militante de la CGT à la ville de Paris au cœur de la manifestation parisienne. « Il y a beaucoup de banderoles de grévistes, plus de slogans et moins de sono avec leurs musiques ».
La masse est de retour
« Le chiffre de 50 000 manifestants circule, ce qui en ferait la plus grosse manifestation. C’était très dynamique avec plus de détermination », assure un syndicaliste enseignant à Clermont-Ferrand. Le 15 mars, les syndicats avaient comptabilisé 12 000 personnes contre 6500 pour la police qui aujourd’hui double ses chiffres.
Le nombre de participants est impressionnant de nouveau dans plusieurs villes moyennes. La presse locale fait état de 40 000 personnes à Nantes, 30 000 dans les rues de Brest, 20 000 dans celles d’Avignon ou encore 18 000 dans celles de Pau. À Paris, la CGT annonce 800 000 manifestants, soit le plus haut chiffre atteint depuis le 19 janvier.
À Rennes, Force ouvrière communique sur 35 000 participants, à Bordeaux l’intersyndicale avance le chiffre de 110 000, quand la CGT parle de 55 000 à Grenoble comme à Lyon. Si les comptes de la police sont nettement inférieurs, partout, les éléments donnés montrent une mobilisation en très nette hausse. Au moins le double du 15 mars, où le ministère de l’Intérieur avait livré le nombre de 480 000 en fin de journée.
Des manifestations qui débouchent sur des actions ou des affrontements
A Amiens, l’intersyndicale a imaginé que la manifestation puisse apporter du soutien à l’action de blocage du du jour. Depuis 4 heure du matin, des syndicalistes bloquent plusieurs rond-points de la zone industrielle nord, où se trouve un certain nombre de grandes entreprises : Dunlop, Procter Gamble… La manifestation du jour, qui réunit 20 000 manifestants selon la presse locale, doit justement terminer son parcours sur cette zone industrielle, même si elle est loin du centre-ville. L’initiative permettra peut-être que le blocage dure plus des 48 heures prévues ?
À Vannes, en fin de manifestation, les quatre voies entre Quimper à Nantes ont été bloquées. Même chose à Pontivy et Ploërmel en Bretagne. A Annecy, le cortège s’est coupé en deux : la moitié du défilé est partie interrompre la circulation sur la rocade. Des blocages post-manifs reproduit à Laval, à Pont-Audemer ou à Morlaix où les voies de chemin de fer ont été envahies.
À Sète, dans l’Hérault, avant la manifestation, des lycéens ont bloqué leur établissement comme dans de nombreuses communes. L’arrestation de l’un d’entre eux a produit un va-et-vient inédit dans cette petite ville : un premier rassemblement d’une centaine de jeunes devant le commissariat, puis un départ vers la manifestation matinale de l’intersyndicale, avant un retour vers le commissariat avec 400 manifestants. L’après manifestation s’est conclue par une nouvelle tentative de blocage du dépôt pétrolier de Frontignan situé à proximité.
En plus des actions de fin des manifestations, des heurts avec la police ont éclaté dans plusieurs villes, notamment à Rennes qui avait déjà connu des confrontations la veille, lors de la manifestation des marins-pêcheurs. Des affrontements ont également eu lieu en fin ou en cours de manifestation à Nantes, à Lyon, à Bordeaux, à Lorient et dans une partie de la manifestation parisienne.
Photo : Ricardo Parreira
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