Face à l’augmentation des prix de l’énergie, du carburant et de l’alimentaire, les grèves pour des augmentations de salaires se multiplient comme une traînée de poudre dans les entreprises. Depuis la rentrée 2021, ces conflits sociaux vont en s’intensifiant, allant jusqu’à toucher des secteurs entiers, comme dans le transport. Au point de devenir un mot d’ordre inter-professionnel ?
Au sein de la SNCF, une nouvelle date de mobilisation pour les salaires est posée : ce sera le mercredi 6 juillet, partout en France, annoncent la CGT, Sud Rail et la CFDT. « Confrontés à une inflation croissante et à l’absence d’augmentation générale depuis 2014, les cheminots subissent un recul net et fort de leur pouvoir d’achat », rappellent les organisations syndicales dans leur communiqué commun. Elles demandent des mesures de rattrapage salarial pour absorber l’inflation, un report systématique de la hausse du SMIC sur l’ensemble de la grille, et une augmentation générale des salaires. Une demande de concertation immédiate sur ces questions avait été émise par ces syndicats, aux côtés de l’UNSA. Mais la direction « a refusé de recevoir les OS dans le cadre de cette démarche, en renvoyant les échanges à des réunions bilatérales en cours », selon elles.
Comme à la SNCF, toutes les grèves en cours dans les entreprises autour des salaires mentionnent l’inflation. Celle-ci devrait s’accélérer encore pour atteindre un taux de 6,8% en septembre, selon l’INSEE. L’augmentation des prix du carburant, de l’énergie et des produits de première nécessité devient difficilement soutenable pour des franges entières de travailleurs.
Depuis la rentrée de septembre 2021, des actions se multiplient donc pour dénoncer les salaires qui ne suivent pas. « On a un niveau de conflictualité sur les salaires jamais atteint auparavant » observe Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT. En charge de la question des salaires depuis une dizaine d’années, il assure : « je n’ai jamais vu ça, sur une période aussi longue ».
Ces luttes émergent dans des entreprises avec un fort écho dans leurs secteurs respectifs. Très souvent, la demande d’une augmentation de 300 euros sur le salaire mensuel revient dans les revendications. C’est le cas dans l’aéronautique, avec les deux sites de la commune de Figeac (Lot) : une grève illimitée au sein de Ratier ; et des débrayages réguliers chez Figeac Aéro. Ou encore, dans la commerce : une cinquantaine de grévistes ont débrayé au Chronodrive de Basso Cambo à Toulouse le 25 juin, revendiquant des augmentations salariales pour les travailleurs souvent jeunes et précaires de ce secteur. Un appel national a été lancé aux autres Chronodrive pour une nouvelle journée de grève le 9 juillet.
Vers des grèves pour les salaires sectorielles ?
SNCF, commerces, chimie, métallurgie, aéronautique, agro-alimentaire, territoriaux… Une multitude de secteurs sont donc concernés par ces grèves autour des salaires depuis la fin 2021. Quelques évolutions sont à noter, pour comprendre la séquence actuelle de ce printemps 2022. D’abord, « les revendications ne sont plus forcément catégorielles. Il y a l’idée qu’il faut augmenter les salaires de tout le monde, de l’ouvrier au cadre en passant par le technicien. Et ça, c’est de plus en plus fort depuis septembre », analyse Boris Plazzi, à partir des recensements effectués par la coordination des luttes de la CGT.
Ensuite, les grèves sortent parfois des enceintes des entreprises pour s’ancrer dans des secteurs entiers. « C’est un phénomène un peu nouveau, mais encore assez marginal », temporise Boris Plazzi. « Faire converger des luttes au sein des filières, cela demande du temps », ajoute-t-il. Certains exemples récents témoignent de cette tendance, même timide.
Dans l’énergie, par exemple. D’abord, il y a eu cette grève chez Total le 24 juin, inédite parce qu’elle regroupait tous les syndicats CGT de toutes les filiales françaises de la multinationale. « En 20 ans je n’avais jamais vu ça. Nous voulons envoyer un signal fort dans les filiales et même au-delà : dans la sous-traitance », assurait Benjamin Tange, délégué syndical central CGT à la Raffinerie des Flandres, à Rapports de Force. À partir de ce mardi 28 juin, la Fédération des mines et de l’énergie (FNME) CGT lance une nouvelle journée de grève dans l’ensemble du secteur, à peine un mois après une première mobilisation unitaire.
L’aérien, exemple symptomatique
Dans les transports, également, cette tendance à une lutte sectorielle pour les salaires est claire. Ce lundi 27 juin, les routiers ont fait parler d’eux, dans une grève portée par une intersyndicale (FO, CGT, CFDT, CFTC et CGC). « L’ensemble de la branche transport et logistique est smicardisée, ça ne peut pas continuer comme ça » martelait Patrice Clos, de FO Transport, à nos confrères de France Info.
L’aérien, enfin, est peut-être l’exemple le plus symptomatique. RyanAir, EasyJet, et d’autres compagnies low cost sont parcourues par des grèves autour des salaires (et d’autres problématiques comme le manque de personnel) dans plusieurs pays d’Europe, dont la France. À l’aéroport de Roissy, après une grève le 9 juin, les syndicats annoncent une nouvelle journée de mobilisation le 1er juillet. Toujours autour d’une hausse de 300 euros des salaires, et toujours en intersyndicale. « Chez Roissy, les salariés des entreprises sous-traitantes sont très nombreux à se mettre en grève aux côtés des salariés des donneurs d’ordre. C’est intéressant et nouveau », insiste Boris Plazzi.
135 branches non-conformes au SMIC
L’aérien, les transports, mais aussi les commerces, sont des secteurs « où les minimas de branche sont sous le SMIC. Donc ce n’est pas par hasard que ces grèves se multiplient », décrypte Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT.
Prenons le cas des routiers : les négociations annuelles obligatoires (NAO) d’octobre 2021 avaient débouché sur une revalorisation des grilles salariales de 6 %. Or, les revalorisations successives du SMIC indexé sur l’inflation – quatre fois entre 2021 et 2022 -, ont, depuis, fait passer les minima en dessous de celui-ci.
À ce jour, la CFDT recense 135 branches non-conformes au SMIC. « C’est particulièrement élevé », commente Luc Mathieu. Parmi les accords de branche étudiés par son syndicat, « seulement une trentaine contiennent des clauses de revoyure ». Ce qui repousse donc, pour tous les autres, d’éventuelles augmentations aux prochaines NAO.
Le gouvernement a présenté les contours d’un projet de loi sur le pouvoir d’achat. Les organisations syndicales ont reçu les documents vendredi dernier, et sont en train de les étudier de près. « Ces mesures vont dans le bon sens. La question c’est : est-ce que le curseur est au bon niveau ? Est-ce que ce sera suffisant ? » juge avec prudence Luc Mathieu. Le gouvernement recense, lui, 120 branches avec des non-conformités au SMIC. Parmi les mesures annoncées, l’article 5 présente « la fusion administrative des branches » comme une réponse à étudier face à ce problème. Le texte sera présenté en Conseil des ministres le 6 juillet.
Une rentrée sous le signe de la conflictualité
Au vu de la conjoncture socio-économique, « la situation va être de plus en plus conflictuelle dans les entreprises », prédit Luc Mathieu. D’autres secteurs, plus propices à se faire entendre à la rentrée que durant l’été, pourraient se mettre en mouvement en septembre.
De quoi faire monter en puissance les journées interprofessionnelles ? Pas si certain. « Là où ça se mobilise vraiment, c’est dans les entreprises. Très proche des travailleurs, très concret. Je ne pense pas que ces grèves porteront davantage des journées interprofessionnelles un peu fourre-tout », juge Luc Mathieu.
« À la rentrée, on va essayer de planter un grand mouvement de mobilisation, en intersyndicale, pour faire converger les luttes actuelles et celles à venir autour des salaires » défend de son côté Boris Plazzi. Le tout en continuant de structurer les grèves à la base, au sein même des entreprises. Car lui aussi estime qu’il faut « partir des préoccupations quotidiennes des salariés, si on veut construire un mouvement profond et ancré dans le pays ».
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