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Hôpital : le budget de Bayrou insuffisant face au « quotidien dévasté » des soignants

Après le week-end de mobilisation pour l’hôpital public à Guingamp, c’est au tour des soignants de Montpellier de se mettre en grève illimitée depuis mercredi 5 février. Pendant ce temps, le gouvernement Bayrou communique sur un milliard d’euros supplémentaire pour les hôpitaux dans son projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2025. Insuffisant pour répondre au délitement général, rétorquent les soignants mobilisés.

La seconde partie du PLFSS a été passée en force par un 49.3 mercredi 5 février au soir. Lundi déjà, la première partie du budget avait été validée également par un déclenchement du 49.3. Ce budget avait provoqué, en décembre, la chute du gouvernement Barnier via le vote d’une motion de censure. Pour éviter la reproduction du même scénario, le gouvernement Bayrou a fait plusieurs concessions notamment au Parti Socialiste sur le plan de la santé. En particulier : l’augmentation d’un milliard d’euros de l’enveloppe budgétaire pour les hôpitaux.

Le gouvernement a, depuis, largement communiqué sur le sujet. L’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie, déterminé par le PLFSS) a été rehaussé à 3,3 %. Contre 2,8 % prévu initialement. Dont un milliard d’euros supplémentaires pour sa branche hospitalière. Les crédits supplémentaires représentent « l’équivalent du recrutement de 15 000 soignants », précise Matignon aux Échos.

Or, sur le terrain, cette nouvelle est loin de paraître suffisante aux acteurs de la santé mobilisés. « C’est une annonce de pure communication. Cela fait un milliard de plus : mais rappelons que rien que le budget du CHU de Bordeaux est de 1,3 milliards et qu’il y a 32 CHU en France. Un milliard, c’est 0,4 % du budget des hôpitaux », relativise immédiatement Laurent Laporte, secrétaire général de l’UFMICT-CGT, qui regroupe les médecins, psychologues, ingénieurs, cadres et techniciens des établissements de santé.

Surtout, ce milliard pèse peu face au déficit des hôpitaux qui s’amplifie d’année en année (près de 3,5 milliards en 2024). D’abord, il y a l’inflation, qui pèse dans toutes les dimensions des hôpitaux : achat de matériel, coût des traitements, maintenance des locaux… La Fédération hospitalière de France estime le sous-financement cumulé de l’inflation à 1,3 milliard. « Même les employeurs du secteur revendiquent au minimum 6 % d’augmentation pour passer l’année sans fermer de lits, pouvoir payer les factures énergétiques, des fournisseurs dans des délais raisonnables, et avoir surtout un début de politique dynamique pour fidéliser les agents et embaucher ceux qui nous manquent pour réouvrir des lits qui nous manquent cruellement », rappelait le syndicat FO personnels des services de santé, dans un communiqué fin janvier.

Ensuite, les hôpitaux sont déjà sommés d’éponger le déficit de la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents collectivités locales, à laquelle sont rattachés les fonctionnaires hospitaliers. Celle-ci atteint un déficit de près de 3,8 milliards fin 2024. Idem pour les primes liées au Ségur de la santé ou la revalorisation des heures de nuit. Des revalorisations « certes attendues et certes nécessaires, mais qui, hélas, n’ont pas été compensées ni financées dans leur intégralité », souligne Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France au micro de France Info. Là encore, les administrations des hôpitaux sont sommées de les éponger. Le milliard supplémentaire se réduit donc à peau de chagrin.

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D’autant que le fléchage de ce crédit supplémentaire reste sujet à interrogations. « Les échos que nous avons du ministère de la Santé, c’est que cet argent ne servirait pas qu’à l’hôpital public, mais qu’il pourrait aussi être fléché vers le privé voire le privé lucratif », alerte Laurent Laporte. « La santé continue d’être marchandisée », le tout dans le cadre d’un PLFSS « extrêmement austéritaire », estime le syndicaliste.

De son côté, si la Fédération hospitalière de France « salue » la nouvelle, elle « reste vigilante », insiste son président, Arnaud Robinet. Ce milliard d’euros « doit aller réellement aux soins », en particulier les secteurs les plus en difficulté dont la pédiatrie, la médecine, l’obstétrique, la psychiatrie ou encore les soins palliatifs, a-t-il soutenu lors d’une conférence de presse fin janvier, rapportée par l’AFP.

Depuis ce mercredi, 86 % des soignants du CHU de Montpellier se sont déclarés grévistes. Il manque a minima trois postes d’infirmier.es et trois postes d’aides soignant.es dans cet hôpital. « On se retrouve à s’écharper avec nos directions, alors que le problème est national, politique : le budget de fonctionnement accordé par l’Ondam n’est pas à la hauteur », tranche Laurent Brun, secrétaire du syndicat Force Ouvrière du CHU de Montpellier. « Chaque année, on nous demande de restructurer, de faire plus d’activités avec moins de moyens ».

Deux mobilisations avaient également eu lieu en 2018 puis 2019, suite auxquelles la direction du CHU avait augmenté les effectifs de soignants. « De nouveau, nous sommes arrivés au bout du bout. Les besoins démographiques augmentent, le vieillissement de la population aussi, et chaque année nous avons 4 000 à 5 000 passages en plus à gérer », décrit Laurent Brun.

Une manifestation a eu lieu mercredi devant les urgences du CHU. La grève se poursuit en cette fin de semaine, avec des réflexions en cours sur la manière de la rendre visible auprès des habitants et patients alentours.

Le week-end dernier, samedi 1er février, une manifestation à Guingamp pour défendre les hôpitaux publics et maternités de proximité en Bretagne avait, pour sa part réuni près de 2 000 personnes. À l’appel du collectif Initiative Urgence Armor Santé Yec’hed Mat, la manifestation a été appuyée par Sud Santé Sociaux et des comités de défense d’hôpitaux locaux. Les organisateurs espéraient « unir la population et les élus dans un mouvement fort pour la défense de l’hôpital public, à l’heure où les hôpitaux notamment de Centre-Bretagne voient leurs services se restreindre, leurs urgences régulées, les personnels médicaux débordés, et les patients de moins en moins bien pris en soin ».

Reste que, parmi les 2 000 personnes, se trouvaient essentiellement « des syndicalistes, des gens encartés dans des partis de gauche, ou déjà engagés dans la défense des hôpitaux et maternités de proximité. Mais pratiquement personne parmi les personnels de santé non syndiqués ou non engagés dans des associations. On peine aussi à toucher le grand public », retrace Laurent Laporte de l’UFMICT-CGT. « Je crois qu’on est dans une période où, dans une société de moins en moins démocratique, les gens ont peur. Peur de tomber malades, de bouger pour se mobiliser ; et qu’ils sont tétanisés par tout ce qu’il se passe », soupire-t-il.

Pourtant, la santé est régulièrement présentée comme la première préoccupation des Français.es. Et les forces syndicales ou collectifs de soignants tentent de faire de la pédagogie sur ce qui déstructure l’hôpital public aujourd’hui. « Partout, on bricole. Je reviens du centre hospitalier du Havre : au moins une dizaine de lits ont été installés dans un couloir, avec des paravents pour que vous ne voyiez pas la tête de votre voisin tandis que les gens qui passent dans le couloir, eux, vous voient là, débraillés… Sans toilettes, sans douches… Et l’hôpital facture les chambres ! », témoigne le syndicaliste, ancien infirmier devenu cadre de santé, notamment en psychiatrie.

Il s’agit donc de continuer à tirer la sonnette d’alarme pour le grand public. Malgré le « fatalisme » que ce professionnel constate chez ses pairs. Malgré, aussi, l’absence de remise en question des conditions de travail chez de nombreux jeunes soignants, qui n’ont pas d’autre référentiel en tête que ce « quotidien dévasté ». « L’anormalité devient la norme », alerte Laurent Laporte. « On trie les patients. Nos grands-parents patientent des heures et des heures dans les salles d’attente des urgences. Mais comment peut-on accepter ça ? »