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Les fonctionnaires lancent une bataille contre l’austérité, malgré un gouvernement au bord de la chute

Les fonctions publiques territoriales, d’État et hospitalière seront en grève ce jeudi, dans un contexte de censure du gouvernement Barnier. D’abord pensée comme une contre-offensive face aux mesures anti-fonctionnaires, la mobilisation devient une bataille de fond contre la politique d’austérité, qui sera probablement reconduite par le futur gouvernement.

Les fonctionnaires s’apprêtent à livrer bataille alors que le Premier ministre Michel Barnier pourrait chuter ce mercredi 4 décembre. Deux motions de censure (déposées par le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement national) frappent en effet ce gouvernement porteur du budget contre lequel ils se mobilisent. Un budget fortement austéritaire, visant une réduction de 40 milliards d’euros de dépenses publiques.

En cas d’adoption d’une motion de censure le 4 décembre, la grève prévue le lendemain, préparée depuis le mois de novembre par quasiment toutes les organisations syndicales de la fonction publique (CGT, FSU, CFDT, Solidaires, FA-FP, UNSA, CFE-CGC), à l’exception de FO, pourrait ne plus trouver de réceptacle à sa colère. « Ce ne serait pas évident de faire grève contre un gouvernement qui a été démis la veille. Il est aussi possible que la censure nous fasse perdre en visibilité médiatique », imagine Benoit Teste, secrétaire général de la FSU.

« Mais cela pourrait aussi donner un rebond à notre mobilisation. Notre position c’est de rappeler que, dans l’instabilité actuelle, alors que le dialogue a lieu entre la droite et l’extrême droite, il faut peser pour mettre la question sociale au centre », contrebalance le responsable syndical.

Malgré la période instable, la mobilisation sera forte dans la fonction publique ce 5 décembre. Dans les écoles, les déclarations d’intention de grève sont déposées depuis lundi soir et les chiffres sont très hauts : 65% d’enseignants grévistes dans le 1er degré annonce le Snuipp-FSU, premier syndicat de la profession.

Les universités sont également mobilisées. Et ce de manière inédite avec un mouvement initié par les présidences des universités qui s’opposent aux coupes budgétaires. Ce 3 décembres, certaines, comme l’université de Lille, ont été fermées. Le SNUEP-FSU appelle les présidences à « annuler [les cours] et les considérer comme faits pour les titulaires, les contractuel·les et les vacataires », ce 5 décembre, ce qui permettrait aux employés de rejoindre en nombre les rangs des manifestations.

L’intensité de la mobilisation dans la fonction publique territoriale, victime d’un plan social XXL, va varier en intensité selon les territoires. Au conseil départemental de Haute-Garonne, où une suppression de 500 postes a été annoncée, une grève reconductible est déjà en cours depuis le 14 novembre. « Il y a eu des mouvements dans plusieurs endroits : parc technique, cantines, maisons de la santé… », complète Raphaël Croset de la CGT Conseil départemental 31. Le 26 novembre, 2000 à 3000 agents (sur 7000) ont également manifesté dans les rues de Toulouse. « Dans ce contexte, on pense que la mobilisation du 5 décembre sera suivie », ajoute le cégétiste. Des assemblées générales et des manifestations d’agents territoriaux ont également eu lieu au Mans et à Nantes.

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Dans la fonction publique hospitalière, difficile d’y voir clair sur le niveau de mobilisation de jeudi : ceux qui se déclarent grévistes sont généralement assignés par leur direction, c’est-à-dire mis en demeure de rester au poste. « Les collègues à l’hôpital sont en mode survie, face à leurs conditions de travail. Donc pour une seule journée de grève comme le 5, avec de la perte de salaire pour peu de résultats, il ne faut pas s’attendre à ce que beaucoup rejoignent la manifestation », confie Laurent Laporte, secrétaire général de l’UFMICT-CGT, qui regroupe les médecins, psychologues, ingénieurs, cadres et techniciens des établissements de santé. Cependant, « les collègues restent motivés malgré le 49.3 et ces motions de censure pour démontrer que les mesures du PLF ne sont pas entendables. Et qu’elles auraient un impact énorme sur eux », expose Sylvie Bardies, infirmière de métier, membre du bureau fédéral de la CGT santé action sociale.

La réaction des fonctionnaires se veut à la hauteur de l’offensive lancée par le ministre de la fonction publique, Guillaume Kasbarian. Depuis fin octobre, celui-ci soutient un amendement au PLF (projet de loi de finances) imposant le passage à trois jours de carence au lieu d’un en cas d’arrêt maladie. Mais aussi la baisse du taux d’indemnisation de 100% à 90% du salaire, dans les trois premiers mois d’arrêt – sauf dans certains cas comme les maladies graves ou arrêts liés à une grossesse. Pour une aide-soignante (fonctionnaire de catégorie B, échelon 6), cela reviendrait à une perte de 228 euros pour trois jours de carence ; et de 433 euros pour un mois d’arrêt, a calculé la CGT.

Le ministre promet 1,2 milliard d’économies avec ces mesures. « Kasbarian méconnaît la fonction publique de manière grave ! », s’insurge Laurent Laporte de l’UFMICT-CGT. « Nous avons des équipes géniales qui font des horaires déraisonnables. Les personnels viennent déjà travailler malades et quand ils s’arrêtent, c’est pour longtemps, parce qu’ils sont à bout ». Le ministre avait justifié sa mesure en pointant un absentéisme grandissant chez les fonctionnaires – une affirmation remise en questions par des chiffres récents – , et la nécessité de s’aligner sur le privé. Or, dans le privé, 70% des employés n’ont aucun jour de carence, grâce à leurs accords d’entreprise ou de branche. « On nous fait passer pour des imbéciles, des fainéants : il n’y a rien de pire pour nous démoraliser encore un peu plus. Les infirmières sont déjà épuisées, en burn-out ; et maintenant les cadres aussi sont touchés », décrit Laurent Laporte. « C’est à cause du travail que l’on est malade ! Les conditions de travail sont tellement dégradées que l’on finit par ne plus en pouvoir », abonde Sylvie Bardies de la CGT santé action sociale.

Les autres mesures qui ont fait bondir les syndicats touchent aux salaires et au pouvoir d’achat. Le PLF prévoit le gel du point d’indice des fonctionnaires. Mais aussi la non-reconduction cette année, et pour la première fois, de la prime Gipa (garantie individuelle pouvoir d’achat). Celle-ci permettait depuis 2008 de maintenir à niveau la rémunération des fonctionnaires face à l’inflation. Sans compter les autres coupes annoncées, notamment les 4000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale prévues au budget 2025.

« Même si le gouvernement Barnier tombe, les projets d’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique et la réduction de l’indemnisation de la maladie risquent de redevenir rapidement d’actualité », anticipe Solidaires Fonction publique, dans un communiqué du 3 décembre. Le syndicat rappelle que cette mesure visant à stigmatiser les fonctionnaires est « une véritable marotte du Sénat qui tente de l’imposer tous les ans ». De plus, la mesure pourrait revenir sur le devant de la scène au plus vite, un budget devant être voté avant le 31 décembre 2024.

Pour préparer les suites, l’ensemble des syndicats ayant appelé à la grève du 5 décembre a prévu de se réunir le soir même. « À la FSU, nous souhaitions embrayer rapidement avec une journée de grève la semaine suivante. Mais cela dépendra de la situation politique et du positionnement des autres syndicats. Toutes n’auront pas de mandat le 5 décembre au soir pour appeler à un nouvelle journée rapidement. Même quand on réussit une grève, ce n’est pas si simple de proposer des suites. Il ne faut pas qu’on se plante », indique Benoît Teste de la FSU.

Des mobilisations locales de longue durée vont aussi, quel que soit le scénario, se poursuivre. Dans plusieurs hôpitaux par exemple, des grèves sont déjà en cours et se poursuivront au-delà du 5. « À Clermont-Ferrand, il y a des services tournants avec beaucoup de grévistes depuis un mois », détaille Sylvie Bardies. « À Brest mais aussi ailleurs, des services d’urgences sont aussi mobilisés depuis de longues semaines ». Mais comment maintenir la mobilisation face à l’épuisement des équipes ? « On ne cesse de réfléchir à de nouvelles modalités d’actions », confie Laurent Laporte. « On voudrait entraîner une vraie mobilisation citoyenne, d’autant que la santé est la première préoccupation des Français. »

Et si le gouvernement chute, les syndicats y verront l’occasion de faire entendre d’autres revendications. « Le mouvement s’est construit face aux mesures terribles à l’encontre des fonctionnaires, certes. Mais si ces mesures tombent, alors ce sera l’occasion d’ouvrir des négociations pour faire face aux insuffisances en termes de rémunération qui paupérisent les agents de la fonction publique », soutient Gilles Gadier, secrétaire fédéral des services de public et des services de santé chez Force Ouvrière. En cavalier seul, le syndicat a décidé d’embrayer en appelant à trois jours de grève du 10 au 12 décembre. L’initiative aura lieu en même temps que l’appel à la grève reconductible lancé par les syndicats de cheminots (CFDT, UNSA, CGT, SUD-Rail).

Maïa Courtois et Guillaume Bernard