Théo Roumier

L’animation en grève : « Là où l’on se regroupe le plus, c’est dans la précarité »

Ces 14 et 15 décembre, le secteur de l’animation mène une grève nationale à un niveau de mobilisation rarement atteint auparavant. Des rassemblements ont lieu dans toute la France. Alors que les animateurs travaillent auprès de publics et d’employeurs très divers, dans le public autant que dans le privé, tous revendiquent, au niveau national, une même sortie de la précarité. 

 

L’animation ? Un secteur regroupant des salariés travaillant dans le périscolaire, les Ehpad, ou encore les séjours de vacances ; employés par des fédérations associatives, des collectivités, ou encore par l’Éducation nationale… « Là où l’on se regroupe le plus, c’est dans la précarité » résume Dimitri, directeur de structure d’un accueil périscolaire, et membre du collectif France Animation en Lutte. Le recours aux contrats précaires (CDD, vacation dans la fonction publique…) est massif. Sans compter une particularité du secteur : le CEE (contrat d’engagement éducatif), qui prévoit une rémunération journalière minimum de 23,06 euros brut, et l’absence de toute cotisation sociale. Son usage est courant dans les centres de loisirs, les colonies de vacances…  « Dans le secteur, il y a tout un régime de contrats dérogatoires au droit du travail, utilisés parfois de manière détournée », résume Samuel Delor, référent FERC (Fédération de l’éducation de la recherche et de la culture) CGT, dans le Rhône.

La fin de ces contrats précaires, la titularisation et la CDIsation des salariés est une des revendications prioritaires de la grève nationale organisée ce 14 et 15 décembre. Depuis plusieurs mois, les animateurs s’unissent autour de leurs problématiques communes. « 40% des animateurs travaillant dans la fonction publique sont non titulaires. Là où, dans la fonction publique tous secteurs confondus, on est à 20 %. C’est un métier décrié », explique Vincent, salarié du service animation d’une petite ville, syndiqué à la CNT. Dans sa structure, un préavis de grève local a été déposé en même temps que le national, pour demander la fin des contrats précaires. 

L’autre axe de revendication prioritaire est la revalorisation salariale ; et l’amélioration des conditions de travail. « On est les bouche-trous de service. Il y a des gens qui font des heures de ménage et des heures d’animation, sous un même contrat », expose Dimitri. À Toulouse, où il exerce, « on a des contrats de douze à quatorze heures par semaine. Les amplitudes horaires sont énormes, de 7h30 à 18h30, avec plein de coupures – pas assez longues cependant pour avoir un deuxième emploi ». Lui-même, lorsqu’il était animateur, a connu ce système. « J’étais à 27 heures semaine, et j’étais un zombie. Les coupures créent une fatigue autant mentale que physique. En plus, c’est un métier prenant, qui demande d’être à l’écoute… »

 

« Faire le lien entre les gens isolés »

 

Une première grève nationale a eu lieu le 19 novembre. Mais elle n’avait été initiée que par une section de la CGT, et concernait surtout le secteur public. La grève du 14 et 15 décembre est portée, cette fois, par une intersyndicale (CGT, Sud, CNT, FSU), ainsi que par le collectif France Animation en Lutte. Elle regroupe à la fois le public et le privé. « On a des villes où 80 % des accueils vont être fermés » relève Samuel Delor. « Maintenant, on aimerait bien que les enseignants bougent avec nous », glisse Dimitri. 

Le collectif France Animation en Lutte joue un rôle central dans la mobilisation du secteur depuis un an. Dimitri a co-créé le collectif Toulouse Animation, il y a près de deux ans. Le collectif national est né ensuite, grâce aux convergences entre ces mouvements locaux. « Ça marchait bien un peu partout, donc on a essayé de faire le lien entre les gens isolés dans les campagnes, ou même dans les villes où les syndicats ne les représentent pas toujours bien », retrace-t-il. Désormais, le collectif France Animation en Lutte, très présent sur les réseaux sociaux, constitue « un espace de convergences qui a beaucoup aidé à construire ce lien intersyndical » selon Samuel Delor.

Jusqu’ici, les salariés de l’animation souffraient d’un manque de représentation. « Aucun syndicat n’est centré sur l’animation, on est noyé dans un tas de métiers », constate Dimitri. La création du collectif national part d’un constat : « on ne savait même pas à qui s’adresser lorsque l’on rencontrait un problème avec son employeur ». Aujourd’hui, ses administrateurs reçoivent de nombreux témoignages, y compris de situations de maltraitance éducative, et travaille avec des syndicats pour tenter d’y répondre.

 

Une grève pour gagner la reconnaissance du métier de l’animation

 

Le besoin de formation est prégnant. « On demande des diplômes professionnalisants. Beaucoup de gens ne devraient pas être encadrants » lâche Dimitri. Le directeur de structure est en première ligne sur les recrutements. Dans sa structure comme ailleurs, il devient de plus en plus difficile de trouver des candidats aux postes. « Un animateur vient de me dire qu’il ne continuait pas parce qu’il n’est pas assez bien payé. C’est un contrat à 12h par semaine : je vais galérer à trouver un remplaçant…» témoigne-t-il. Cette année en particulier, « recruter a été compliqué pour tout le monde. À force, les gens ne veulent plus venir. En même temps, pourquoi viendraient-ils ? Ils sont payés 300 euros par mois, ne sont pas valorisés…»

En octobre, la secrétaire d’État à la jeunesse et à l’engagement Sarah El Haïry a proposé d’abaisser le plafond d’âge du BAFA (de 17 à 16 ans), et d’offrir 200 euros d’aide au passage de ce diplôme. Une courte réponse « aux problématiques des employeurs, de main d’oeuvre. Mais pas du tout aux bien-être des salariés », balaie Vincent. Surtout, « cela revient à considérer l’animation comme un job étudiant, et pas comme un vrai métier avec toutes les responsabilités et la professionnalisation qu’il y a derrière », fulmine Samuel Delor. 

 

« On a pas envie de faire garderie ! »

 

Au manque de masse salariale s’ajoute un taux d’encadrement modifié en 2016 dans le périscolaire. Les grévistes souhaitent revenir sur cette réforme. Elle permet le passage d’un animateur pour 14 enfants de moins de six ans (au lieu d’un pour 10), et d’un animateur pour 18 enfants de plus de six ans (au lieu d’un pour 14), dans le cadre d’un projet éducatif territorial (PEdT).

« On a pas envie de faire garderie ! » fustige Dimitri. Et encore, il s’agit d’un minimum légal. Dans les faits, vu la précarité des contrats, « les gens ne restent jamais, et il y a beaucoup d’absents. 60 à 70% du temps, on est à plus d’un pour 18 si un PEdt est appliqué ». D’autant que « régulièrement, dans les structures, ils comptent du personnel qui ne font pas de l’animation dans le taux d’encadrement », dénonce Samuel Delor. Par exemple, des agents de la mairie présents ponctuellement. « L’idée, c’est qu’il y a tant d’adultes dans la structure, donc ça fait office d’encadrement… C’est dangereux pour les gamins, et méprisant pour les salariés. »

La question de fond est celle des financements publics. « Dans le public comme le privé, les budgets de fonctionnement ne couvrent pas ce qu’il faudrait comme masse salariale », synthétise le syndicaliste de la CGT. Du côté des employeurs privés, la logique de concurrence domine de plus en plus. « Celle-ci n’est possible que parce qu’il n’y a pas de budgets publics suffisants », rappelle Samuel Delor. Les délégations de service public se font en direction des fédérations les plus installées du secteur, comme Léo Lagrange, « qui sont les moins-disantes au niveau social », souligne-t-il.

 

Au-delà de la grève nationale de l’animation, la nécessité d’un rapport de forces local

 

Le fait que le secteur se mobilise fortement depuis un an, et en particulier ces derniers mois, s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le contexte sanitaire. « Nos protocoles sont basés sur l’Éducation nationale. Sauf que nous, pendant quinze jours à la rentrée, on avait pas reçu nos protocoles », souligne Vincent. Du côté des animateurs employés par les collectivités, il y a aussi la réforme des 1607 heures. « Notre travail nous permettait d’avoir des dérogations, en raison de nos horaires décalées, des grandes amplitudes horaires… La mobilisation a aussi pris de l’ampleur là-dessus ». En somme, l’état du secteur est celui d’un « ras-le-bol général », observe l’animateur. 

Mais les freins à la mobilisation demeurent nombreux. Il s’agit d’un secteur précaire, en majorité occupé par des femmes. La diversité des publics et des employeurs, du public au privé, multiplie les différences de situations professionnelles. Enfin, les animateurs sont très peu syndiqués : « moins de 0,5 % le sont », rappelle Samuel Delor. « Mais on progresse, de jour en jour. La difficulté, c’est que l’on a des trous dans la raquette. Des endroits où il n’y a pas de cadre syndical pour aider ceux qui se mobilisent, organiser la colère…» Partout, croit-il, il y a pourtant un fort potentiel. « C’est un milieu sensible à l’éducation populaire, plein de ressources, y compris dans l’organisation collective » conclut-il.

Si la mobilisation de ces 14 et 15 décembre porte ses fruits, et que le gouvernement avance de nouvelles propositions, le chemin restera encore long. « Localement, ça ne pourra que s’imposer au cas par cas », rappelle Vincent – en négociant à chaque fois avec les municipalités, les fédérations d’employeurs… En complément des revendications nationales communes, « il faut absolument un rapport de forces sur le terrain ».