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Le secteur de l’animation se met (à son tour) en lutte


 

Grèves, collectifs, manifestations… Depuis plusieurs mois, des animateurs s’organisent pour dénoncer leurs conditions de travail. Si la crise sanitaire a servi de détonateur, la souffrance et la précarité durent, elles, depuis de longues années.

 

« Je suis animatrice périscolaire en élémentaire et maternelle, ou plutôt devrais-je dire éducatrice, psychologue, médiatrice, infirmière, gendarme ? Tout ça pour 390 € par mois, 430 € quand je fais un gros mois ». C’est un des nombreux messages que reçoit Toulouse animation en lutte, un collectif qui existe depuis deux ans. Ce témoignage résume les conditions de travail que partagent grand nombre d’animateurs et animatrices.

« Il y a beaucoup de monde dans l’animation à Toulouse, et on s’est demandé pourquoi personne ne nous défendait alors qu’on faisait tourner la boutique » explique Dimitri, ancien animateur devenu directeur d’un CLAE (centre de loisirs associé à l’école) et membre de Toulouse animation en lutte. « Ça a toujours été très dur de mobiliser les animateurs, mais, depuis le mois de mai 2020, ils se rendent compte que leurs conditions de travail s’empirent ». Et la mobilisation commence à prendre.

 

CDD, temps partiels et SMIC horaire

 

Début février, Maddy, animatrice jeunesse en Loire-Atlantique voit une publication de Toulouse animation en lutte. Cette dernière explique aux parents les raisons de la mobilisation des animateurs, à l’occasion de la grève nationale et interprofessionnelle du 4 février 2021. Maddy propose de transformer la lettre en pétition pour la reconnaissance du métier d’animateur enfance-jeunesse. L’appel prend et la pétition grimpe à plus de 20 000 signataires. Un collectif s’organise, réunit aujourd’hui autour du groupe Facebook France animation en lutte, que l’animatrice co-administre.

« L’ambition est de rassembler tous les animateurs enfance, jeunesse, mais aussi ceux des EPHAD, tous ceux qui font du lien » liste Maddy. « Il y a des mouvements un peu partout, mais ils restent invisibles, alors que partout, ce sont les mêmes ressentis, les mêmes revendications et les mêmes souffrances ». Contrats précaires, forte amplitude horaire, temps partiels, faible rémunération et absence d’évolution sont le lot quotidien des animateurs. Ce sont eux qui prennent en charge tous les temps dits périscolaires : le matin avec l’école, les temps de cantine ou encore l’accueil après l’école.

« J’ai commencé en tant qu’animateur avec 19 h par semaine » partage Dimitri. « Je me suis rendu compte que c’était à peu près la norme. Les plus gros contrats, c’est 24 ou 27 h par semaine, en commençant à 7 h 30 tous les matins, et en terminant à 19 h 30. Alors certes, il y a la prime de coupure dans le privé, mais elle se compte en centimes ».

La formation est également une revendication importante des animateurs. « Les animateurs sont embauchés sur la base d’un BAFA ou d’un BAFD, parfois d’un contrat d’engagement éducatif », précise Maddy. « Ce ne sont pas des diplômes professionnels. Et c’est une aubaine pour les employeurs : nos métiers ne sont pas reconnus par le répertoire national des certifications professionnelles, ce qui leur permet de nous rémunérer au ras des pâquerettes, sans évolution de carrière ». Il existe, pourtant, quelques diplômes professionnalisants. « Mais ils sont très onéreux, 4000 à 5000 € pour un BPJEPS ou un DPJEPS, et donc plus difficiles d’accès » complète Axel.

 

« Jamais, on ne parle du secteur de l’animation »

 

Au-delà des questions de contrats et rémunérations, qui diffèrent en fonction des communes et des statuts, c’est le manque de reconnaissance professionnelle qui fédère la mobilisation du secteur. « On voit souvent l’animateur jouer avec les enfants, mais il y a un but derrière, et ça, personne ne le voit » détaille Axel, animateur de loisirs à Rennes et délégué syndical SUD CT 35. « Les parents sont étonnés quand on leur raconte ce qu’on fait avec leurs enfants. C’est la preuve d’une méconnaissance de notre travail. Les enfants ne sont pas juste surveillés, ils apprennent encore après le temps de classe. Mais jamais, on ne parle du secteur de l’animation ».

Pour preuve, depuis un an de crise sanitaire, et malgré leur rôle dans la vie des familles et des écoles, les animateurs n’ont jamais été ni mentionnés ni pris en compte. « Quand il y a eu le coronavirus et la fermeture des écoles, l’animation a été la grande absente dans le débat politique, et ça a réveillé la lutte » retrace Odette, animatrice et membre de Toulouse animation en lutte. « Au quotidien, c’est comme si on était des pions, tous les protocoles sont pensés pour les enseignants, mais pas pour l’animation. On doit toujours se débrouiller pour les mettre en place. C’est épuisant ».

La fermeture des écoles, le 31 mars dernier, a mis au chômage de nombreux animateurs, des CDD ont été annulés, des vacataires remerciés, sans proposition de chômage partiel. « Tout le monde souffre de la situation », confie Odette, animatrice à Toulouse. « Avec l’épuisement des animateurs, même les enfants en pâtissent. Les gens qui ont des compétences quittent l’animation, parce que ça ne les fait pas vivre. Il y a donc un turn-over énorme, on recrute à tour de bras, et même auprès des parents, ça n’a pas une bonne image ».

 

Un secteur à reconstruire

 

Comment passer d’emplois précaires, sans évolution possible, à un véritable statut de professionnels de l’animation ? C’est toute la problématique qui se pose au secteur. « Toute la branche professionnelle est à repenser et à reconstruire, et ça doit passer par l’offre de formation », propose de son côté Maddy. « On a cette image de clowns, qui sont là pour amuser les enfants, mais nos métiers ont changé : on
accompagne des jeunes en mal-être, on gère des budgets et une comptabilité, on a développé une vraie connaissance des enfants. Nous sommes à mi-chemin entre les animateurs et les éducateurs ».

L’enjeu est de trouver un statut qui permette des emplois pérennes et à temps plein, pour éviter les coupures. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui, on a besoin de beaucoup de monde le midi et pendant les vacances scolaires, mais beaucoup moins ou pas du tout en dehors », précise Axel. « Mais on a besoin d’animateur pour faire du sport, des activités culturelles, encadrer les enfants, animer dans la rue… Il faut pérenniser ces postes d’animateurs et créer de nouvelles missions pour ce soit possible ». Une des options serait de créer un statut à part entière, tout en laissant de la place aux étudiants à qui ces temps partiels conviennent. « Ça permettrait à la direction de travailler avec des équipes fixes et de mettre en place de vrais projets », réagit Dimitri.

Mais, qu’il s’agisse des municipalités ou de fédérations d’éducation populaire comme Léo Lagrange ou les Francas, certains sont sceptiques sur la volonté de faire évoluer le secteur. « Est-ce qu’ils ne font pas exprès de garder cette précarité ? » s’interroge Odette. « Cela évite que les salariés revendiquent des choses. Le turn-over fait leur intérêt. Mais, le pendant de ça, c’est que les personnes compétentes finissent par quitter l’animation, car ça ne fait pas vivre ». Pour Odette, cette année sera justement la dernière, faute d’évolutions de son métier.