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Le gouvernement tente de détourner la colère populaire vers les pauvres et les immigrés


Totalement décrédibiliser auprès d’une grande majorité de la population, Emmanuel Macron veut tourner la page de la réforme des retraites rapidement. Pour ce faire, son gouvernement n’hésite pas à user de basse politique : réorienter la colère sociale, dont il est responsable, vers des « responsables » de substitution. À savoir : les bénéficiaires des minimas sociaux et les immigrés.

 

Diviser pour mieux régner. Une pratique vieille comme le pouvoir et une des portes de sortie de crise que le gouvernement tente grossièrement d’emprunter aujourd’hui. Quitte à alimenter les discours les plus nauséabonds et à ouvrir un nouveau boulevard au Rassemblement national. « Nos compatriotes en ont ras-le-bol de la fraude […] ils ont aucune envie de voir que des personnes peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit. Ce n’est pas fait pour ça le modèle social » a déclaré Bruno Le Maire, ce matin sur BFMTV.

Comment comprendre cette déclaration autrement que par une volonté de désigner des boucs émissaires, ici les immigrés, à une colère populaire suscitée par la politique menée par le gouvernement. Car, si tenté que les Français aient comme première préoccupation, ou comme première explication de leurs déboires, la fraude, le ministre de l’Économie pointe du doigt la moins onéreuse de celle-ci. En effet, jusqu’à preuve du contraire, le Maghreb n’est pas une destination de l’évasion ou de la fraude fiscale. Et la fraude sociale, dont les montants ne se dirigent pas principalement vers l’étranger, coûte dix fois moins cher aux finances publiques que les fraudes de riches.

 

Pour la fraude aussi, ce sont les riches qui coûtent cher

 

Selon des chiffres recueillis auprès de la Cour des comptes et de Solidaires Finances publiques, dont le journal Alternatives économique se faisait l’écho, la totalité de la fraude sociale détectée (famille, maladie, retraites, emploi) s’élève à un peu moins d’un milliard d’euros. En face, la fraude fiscale grimpe à 13,7 milliards. Et l’écart est encore plus important si l’on regarde la fraude estimée. Celle-ci grimperait à 2,3 milliards pour la fraude sociale, mais entre 80 et 100 milliards pour la fraude fiscale. Sans compter la fraude aux cotisations sociales qui relève des employeurs, dont l’estimation est comprise entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros. Et ici, nous ne comptons pas les exonérations et allégements en faveur des entreprises qui s’élevaient à 74,9 milliards en 2022.

Malgré une fraude importante des plus riches et des entreprises, le gouvernement veut monter en épingle celle marginale et « gagne petit » des pauvres ou des immigrés. Et ce, pour faire oublier que le gouvernement vient de voler deux ans de vie à l’ensemble des salariés et fonctionnaires avec sa réforme des retraites. Car les propos de Bruno Le Maire n’ont rien d’une initiative personnelle. Au contraire, ils résonnent comme une ligne directrice pour le pouvoir pour imposer de nouveaux sujets de débat.

 

Le gouvernement oppose les pauvres entre eux

 

Au même moment que l’interview du ministre de l’Économie sur BFMTV, Gabriel Attal, distillait un autre fiel dans la matinale de France Inter en pointant les bénéficiaires du RSA. « J’ai entendu des Français me dire, vous nous demandez de travailler un peu plus longtemps pour payer le système de retraite, mais si tout le monde travaillait, ça réglerait une partie du problème », déclarait le ministre des Comptes publics. Mêmes arguments, ce matin encore, dans la bouche de Gérald Darmanin sur LCI. Le ministre de l’Intérieur oppose ceux qui travaillent et les bénéficiaires des minimas sociaux, puis tranche : « s’ils ne souhaitent pas reprendre le chemin du travail, il est normal que nous ayons des sanctions envers eux ».

Une façon d’installer dans l’opinion la décision du gouvernement de supprimer leur maigre 607 euros d’allocation de solidarité aux bénéficiaires du RSA, s’ils ne se conforment pas à une reprise d’activité de 15 à 20 heures par semaine. Et ainsi de désigner comme responsables des maux du pays, les plus fragiles. Le tout, en taisant une autre réalité qui ne rentre pas dans le storytelling gouvernemental qui voudrait voir des pauvres profiteurs du système : le taux de non-recours aux prestations sociales. Celui-ci représente, par exemple, 34 % des foyers éligibles au RSA chaque trimestre.

Tous ces éléments de langages, distillés ce matin, trouvent leur inspiration dans l’allocution et le cap donné par Emmanuel Macron hier soir, afin tourner la page des retraites. Dans celle-ci, le chef de l’État a remis en selle le sujet de l’immigration, pourtant abandonné fin mars. Il a assuré vouloir « renforcer le contrôle de l’immigration illégale », même si la ficelle est un peu grosse. Comme si cela ne suffisait pas, il a expliqué que des « annonces fortes » interviendraient en mai sur la délinquance et la fraude sociale et fiscale. En attendant, le Rassemblement national se frotte les mains et regarde 2027 avec confiance.

 

Photo : capture d’écran matinale de BFMTV