Nous continuons notre série d’articles sur la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. Aujourd’hui, nous décryptons pour vous les principes et les éléments déjà connus du système à points, même si le gouvernement entretient le flou sur de nombreux sujets et que la présentation, puis le vote d’un texte de loi, sont renvoyés à plus tard : après les élections municipales de 2020.
« Un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous », martèlent les membres du gouvernement depuis près de deux ans. Au-delà d’une formule vendeuse prenant les apparences de l’égalité, que cache ce slogan ? Regardons cela ensemble.
À partir de 2025, peut-être plus tard, le gouvernement cherchant à désamorcer l’explosivité de sa réforme, les annuités et les trimestres actuels seront remplacés par des points. En clair, la partie du salaire brut correspondant à vos cotisations retraite sur votre fiche de paye sera convertie en points. L’apparente bonne nouvelle, c’est que vous n’avez plus besoin de 150 h de travail minimum payées au SMIC pour valider un trimestre. Chaque multiple de 10 € de cotisations vous fera engranger 1 point. Mais ne vous réjouissez pas trop vite, quelques heures de travail de-ci de-là ne généreront pas un montant important de cotisation, donc de points, et finalement de pension.
Au moment du départ en retraite, les points accumulés tout au long de votre carrière sont convertis en un montant de pension. À ce jour, le rapport Delevoye fixe la « valeur de service » du point à 0,55 €. Cela signifie que 10 € cotisés ouvrent droit à 0,55 € de pension. Dans l’exemple d’une personne ayant effectué 100 heures de baby-sitting au SMIC, cité dans le document de l’ex-Haut commissaire aux retraites, et qui contrairement au système actuel se verrait ouvrir des droits, cela représente 14 € de pension par an. Soit 1,16 € par mois. Passons maintenant aux vraies mauvaises nouvelles.
Des calculs plus défavorables
Le taux de cotisation passerait à 28,12 % pour tous, part employeur et salarié confondue. Pour certains régimes indépendants excédentaires c’est une très forte augmentation, et donc une baisse des revenus. Mais pour les fonctionnaires, le gouvernement imagine intégrer les primes dans le calcul des retraites. Cela, pour compenser des salaires plus faibles que dans le privé. Ainsi, des primes, non chargées en cotisation aujourd’hui, pourraient être amputées de 28,12 % pour donner un coup de pouce à leurs retraites. Avec pour résultat de réduire leurs payes à la fin du mois. Enfin et surtout, les cotisations à 28,12 % ne généreront pas toutes des points. Ceux-ci ne seraient comptabilisés que sur un plafond de 25,31 % de cotisations. Les 2,81 % restant devant participer à un fonds de solidarité pour financer un minimum vieillesse.
Mais c’est surtout le niveau des pensions qui devrait baisser avec le système à points. Ce, pour les salariés du secteur privé comme pour ceux du public. Un des principes de la réforme est de prendre en considération la totalité des cotisations d’une vie pour calculer le nombre de points. Un mode de calcul défavorable aux salariés du privé dont la retraite était calculée sur la base du montant des salaires des 25 meilleures années, et plus encore pour les fonctionnaires pour qui seuls les six derniers mois comptaient. Pour se faire une idée des conséquences du nouveau régime : le passage en 1993 des 10 aux 25 meilleures années pour le calcul des retraites a fait baisser de 6 % le montant des pensions du secteur privé.
Autre élément inquiétant, le gouvernement reste très flou sur la façon dont seront comptabilisés les accidents du travail, les incapacités, les périodes de chômage indemnisées ou de congés parental, pour la retraite . Des points seront octroyés, à priori sur l’enveloppe de la solidarité (2,81 % de cotisations), mais nul ne sait combien. Le risque de manquer de points au moment de mettre fin à son activité est grand. En contrepartie d’une baisse généralisée des pensions, le rapport Delevoye annonce que les plus petites ne pourront être inférieures à 85 % du SMIC. Soit 1000 €, plus que le minimum de 868 € touché par les retraités avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées . Par contre, il faudra le mériter : ce dispositif est limité aux assurés ayant une carrière complète, sans que l’on sache ce que cela recouvre dans un système qui abolit la durée de cotisation. Enfin, prévoyant, le gouvernement veut favoriser le cumul retraites-revenus d’activité.
Mais ce n’est pas tout. Contrairement au système actuel, le niveau des pensions n’est pas totalement garanti. Aujourd’hui si vous avez une carrière complète, vous pouvez normalement prétendre à toucher 75 % de votre salaire, calculé sur les 25 dernières années. Demain, la valeur du point sera recalculée chaque année par une Caisse nationale de retraite universelle qui verra le jour au moment du vote de la réforme. Le pilotage de celle-ci sera contraint par les lois de finances proposées par le gouvernement, et par la situation économique. Le risque d’une baisse du point pour raisons budgétaires existe. D’autant qu’une sorte de règle d’or, rappelant celle de l’Union européenne qui limite à 3 % le déficit budgétaire, fixerait à 13,8 % du PIB le montant maximum des dépenses liées au versement des pensions. Et ce, quel que soit le nombre de retraités.
Retraité pauvre ou travailleur vieux : une liberté de choix ?
Même si le gouvernement souffle le chaud et le froid sur la question de l’instauration d’un âge pivot à 64 ans, l’intention clairement affichée par le pouvoir est d’allonger la durée de travail. Normalement, dans le système à points, la notion de durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein disparaît, même si le chef de l’État a laissé planer le doute à ce sujet à la rentrée. Seul l’âge légal de départ, fixé à 62 ans, est conservé. Cependant, le rapport Delevoye prévoit une décote pour les départs antérieurs à l’âge préconisé de 64 ans. Ainsi en cas de fin d’activité à 62 ans, la valeur du point ne serait que 0,49 €, et 0,52 € à 63 ans.
De toute façon, avec un âge moyen d’entrée sur le marché du travail de 24 ans, à moins d’avoir eu de gros salaires, partir à 62 ans relève de l’impossible. Si vous avez travaillé sans discontinuer de 24 à 62 ans pour un salaire net de 1500 €, vous pourrez percevoir autour de1000 € de pension sans décote. Plutôt 900 € avec. En partant à 64 ans, vous n’atteindriez même pas 1100 € de retraite. Votre situation dans le régime actuel n’est pas pour autant satisfaisante puisque le nombre de trimestres nécessaires pour toucher 75 % de votre salaire ne cesse d’augmenter.
Mais avec ce nouveau système à points, sans durée de cotisation, l’alternative entre partir à la retraite avec des pensions faibles ou travailler au-delà de 65 ans sera renforcée. Une vision très libérale de la liberté de choix. Sauf évidemment pour les très gros salaires. Pour eux, l’achat de points sera facilité et une « retraite à la carte » est envisageable. Donc, si « un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous », la formule ne dit rien de la nature des droits ouverts, en réalité, globalement inférieurs pour tous.
Mise à jour 13h30 : nous avions fait une erreur sur les montants actuels de cotisation dans le privé et le public, et par voie de conséquence sur l’impact sur les salaires d’un nouveau taux unique à 28.12%. Erreur rectifiée. Avec toutes nos excuses.
Faisons face ensemble !
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