La liquidation judiciaire de Milee (ex-Adrexo) a été prononcée ce 9 septembre. Depuis le 30 mai, 10 000 salariés de la livraison publicitaire, dont 1700 ont plus de 70 ans, se retrouvent sur le carreau. Un marasme attendu, que rien n’a permis d’éviter tant il concerne un secteur particulièrement précaire et désorganisé.
Tout le monde a déjà vu des salariés de Milee (ex-Adrexo). Généralement retraités, ils sillonnent les routes avec leur propre véhicule, pour acheminer des liasses de prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. Ce 9 septembre, alors que la liquidation judiciaire de Milee a été prononcée par le tribunal de commerce de Marseille, 5000 d’entre eux ont perdu leur emploi. Ils s’ajoutent aux 5000 autres, déjà intégrés dans un Plan de Sauvegarde de l’emploi (PSE) lors des mois de juillet et d’août. En à peine 3 mois, 10 000 salariés se retrouvent donc sur le carreau. Et ce dans un silence assourdissant.
C’est que, dans un secteur où les salariés travaillent souvent seuls, sur des périodes courtes, et avec des contrats à temps partiels, il reste difficile d’organiser une mobilisation. Et la période politique n’a pas aidé. “Avec la dissolution, les députés qu’on voulait contacter n’étaient plus disponibles. Côté presse* : pareil. Quelques médias locaux ont parlé de nous mais rien de conséquent au niveau national“, résume Charles Tremblay, secrétaire fédéral Sud-PTT, chargé de l’ensemble des filiales de droit privé des activités postales, dont Milee.
“1700 salariés ont plus de 70 ans”
Les salariés de Milee étaient loin de s’attendre à une liquidation aussi rapide. La holding aixoise Hopps, détentrice de Milee, avait été placée en redressement judiciaire le 30 mai et la procédure aurait dû durer au moins six mois. Or dès le mois d’août, les salaires n’ont pas été versés faute de trésorerie. Face au marasme, le tribunal a accéléré le mouvement et liquidé à toute vitesse. “Une seule offre de reprise avait été déposée et elle a été jugée fantaisiste“, rapporte Charles Tremblay.
Les salariés se retrouvent donc dans une situation tendue. “Même si la distribution de pub constitue le plus souvent un revenu de complément pour eux, les salariés ont besoin de cet argent car ils sont souvent dans des situations de précarité. Sur les 10 000 employés, 1700 d’entre eux ont plus de 70 ans.” Et le syndicaliste de rappeler : “Il y a aussi des salariés à temps plein chez Milee“.
Alors que les centres vont fermer dès le 10 septembre et que les dirigeants n’exercent plus aucune responsabilité, les salariés sont contraints de cesser le travail et d’attendre leur lettre de licenciement. L’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) devrait rembourser les salaires d’août, avec toutefois un doute sur une dizaine de jours qui pourraient ne pas être payés, selon le syndicat CAT.
Les indemnités de licenciement seront maigres et les droits aux chômage très faibles pour ces salariés à temps partiel payés au SMIC. “Après 19 ans dans la boîte, je pars avec 5,5 mois de salaire comme indemnité de licenciement“, calcule Charles Tremblay.
Liquidation de Milee : la question de l’utilité sociale
“Depuis dix ans, je ne comprends pas comment cette boîte tient encore debout“, confie Charles Tremblay. De fait, le marché de l’imprimé publicitaire est en chute libre et nombreux sont ceux qui ne voient aucun avenir à cette activité. Entre 2019 et 2023, il est passé de 10,4 milliards à 5,7 milliards d’imprimés. Alors que le secteur présente une utilité sociale contestable et un coût écologique certain, la Convention citoyenne pour le climat a également voté un dispositif “Oui pub”, permettant de limiter les livraisons dans les boîtes aux lettres. Il est actuellement en test.
La mort du secteur, ou du moins son recalibrage, était donc annoncée. Et certains s’y étaient préparés. En 2023, le seul gros concurrent de Milee, La Poste, via sa filiale de droit privée Médiaposte, avait transféré son activité et ses près de 5500 salariés vers la maison mère. Les centres de courrier de La Poste reprenaient ainsi en charge une partie de l’activité publicitaire, en plus de leur fonction habituelle. Charles Tremblay militait pour que les salariés d’Adrexo, puis de Milee, puissent également être réemployés par le groupe La Poste. “Mais il ne s’est rien passé sur ce plan. Seuls 300 à 400 salariés de l’activité colis, sur 1200, ont pu être repris par Colis privé” (un groupe privé concurrent de La Poste), explique-t-il. Selon le syndicaliste, l’approche des élections CSE fin octobre – les premières jamais organisées à La Poste – gèle la prise de décision du côté de la direction de La Poste.
Ainsi, alors que les difficultés du secteur de l’imprimé publicitaire auraient pu permettre de poser la question de la reconversion de ses salariés, 10 000 d’entre eux vont au contraire disparaître dans la nature, sans protection sociale sérieuse. Pourtant, ce métier consistant à se déplacer chez les gens, et donc à créer du lien social, “c’est loin d’être inutile. On aurait dû pouvoir en faire quelque chose“, conclut Charles Tremblay.
Crédit photo : CC Pexels
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