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Lyon : Une union des extrêmes droites pour venger la dissolution de Génération Identitaire

 

Samedi 19 mars, la librairie anarchiste « La Plume Noire » a subi l’une des plus conséquentes attaques jamais pilotées par l’extrême droite radicale lyonnaise. Cette agression, menée par près de cinquante militants, témoigne d’une union des divers groupuscules de la galaxie nationaliste lyonnaise, suite à la dissolution de Génération Identitaire.

 

Samedi 19 mars, en début d’après-midi, 48 hommes, parfois cagoulés et habillés de noir, lancent des pavés et font sauter la vitrine de la librairie anarchiste la Plume Noire, local de l’Union Communiste Libertaire à Lyon (UCL). Dans le local, six bénévoles de la librairie et de l’association PESE (Pour l’égalité sociale et l’écologie) qui faisaient une collecte de nourriture, ainsi qu’un bénéficiaire de la distribution, assistent à la scène. Par chance, ils ne seront pas agressés.

 

 

La scène dure quelques minutes. Rapidement, le groupe s’enfuit en scandant « avant avant Lion le melhor », cri de guerre utilisé à Lyon au Moyen Âge et slogan bien connu de l’extrême droite radicale lyonnaise. Les identitaires lyonnais avaient d’ailleurs nommé un de leurs premiers sites Internet « Lion le Melhor ». La provenance de l’attaque ne fait aucun doute.

 

« La plus grosse attaque jamais vue à Lyon »

 

Jamais l’extrême droite radicale n’avait été aussi nombreuse pour attaquer un local à Lyon, où ces agressions sont pourtant courantes. Mi-décembre 2020, deux membres du PESE étaient roués de coups à proximité de la Plume Noire alors qu’ils venaient d’y effectuer une distribution alimentaire. Les agresseurs, une fois encore des membres de l’extrême droite radicale, étaient moins d’une dizaine.

Une attaque d’une plus grande envergure s’était tenue en novembre 2016. « En marge d’un rassemblement catholique intégriste interdit qui se tenait à côté de la Plume Noire, le service d’ordre de cette manifestation avait brisé plusieurs vitres de la librairie, ils étaient une vingtaine. Cette fois ils étaient près de cinquante, c’est la plus grosse attaque jamais subie à Lyon », se souvient un membre de l’UCL.

L’attaque du 19 mars choque ainsi par son envergure inédite et semble directement en lien avec la dissolution de Génération Identitaire. Certains militants fréquentant la librairie la Plume Noire luttent depuis longtemps pour faire interdire l’organisation, et sont clairement identifiés comme des ennemis par les identitaires et leurs alliés. Un graffiti, inscrit le soir de l’attaque sur les murs de la Plume Noire, corrobore cette thèse. On y lit : « On ne dissout pas une génération, retenez la leçon ». S’y ajoute une croix celtique, symbole nationaliste bien connu.

 

 

Génération Identitaire à la manœuvre ?

 

« On ne dissout pas une génération ». C’était le slogan phare de la manifestation contre la dissolution de Génération identitaire organisée à Paris fin février. L’attaque de la Plume Noire émane-t-elle de militants déchus de Génération identitaire cherchant à se venger ? Interrogé à ce propos par Rue89 Lyon, Arnaud Payre, responsable de la communication de l’association dissoute, a beau jeu de le nier : « Nous n’avons absolument rien à répondre à ce genre d’accusations mensongères de la part d’opposants politiques ».

Peu étonnant. L’organisation dissoute n’a pas pour habitude de revendiquer des actions violentes. Au contraire, tout l’argumentaire mis en place pour éviter sa dissolution consistait à se faire passer pour un simple organe de propagande anti-immigration, un « Greenpeace de droite », ont répété à l’envie ses communicants.

À Lyon, les identitaires vont même jusqu’à se désolidariser des militants d’organisations nationalistes issues du Bastion Social (autre organisation néo-fasciste dissoute en 2019) et qui se répartissent aujourd’hui entre deux groupuscules plutôt maigres en effectif : Lyon Populaire et Audace Lyon, essentiellement pour des raisons de stratégie politique. Génération Identitaire a abandonné, depuis sa formation, la vieille antienne fasciste qui consiste à vouloir créer un grand parti nationaliste afin d’asseoir un coup d’État. L’organisation préfère s’activer sur le front de la bataille culturelle. À noter, une divergence idéologique  : certains nationalistes de feu le Bastion Social sont connus pour leur antisémitisme, parfois revendiqué, quand les identitaires s’en prennent, de manière publique, uniquement à l’Islam.

 

« Il y avait tout le monde »

 

Or, derrière la communication faussement rassurante des identitaires et les quelques divergences de vision, des éléments objectifs prouvent les collusions entre Génération Identitaires et le reste de l’extrême droite radicale lyonnaise, qu’elle vienne du Bastion Social, de l’Action Française ou des franges les plus racistes des supporters de l’Olympique Lyonnais. Une enquête du média stéphanois « Le Gueuloir » et du groupe antifasciste lyonnais « La Gale » révèle que des militants de Lyon Populaire fréquentent assidûment la salle de boxe identitaire, l’Agogé. Pour preuve : une photo diffusée sur les réseaux sociaux par l’Agogé elle-même.

Plus probant encore, les identitaires côtoient les nationalistes révolutionnaires de Lyon Populaire et les royalistes de l’Action Française dans le service d’ordre des manifestations lyonnaises contre la PMA pour toutes. Officiellement chargés de protéger un rassemblement statique en octobre, les militants de ces divers groupuscules sont remplacés par un service d’ordre plus âgé lors d’une deuxième manifestation fin janvier. Lors de cette manifestation, les membres de l’extrême droite radicale lyonnaise, délestés de leur fonction d’encadrement du cortège anti-PMA, chargent des contre-manifestants et font plusieurs blessés. Nationalistes et identitaires se retrouvent également dans des manifestations dites « de lutte contre l’insécurité », lors desquelles ils ne manquent pas d’établir un lien entre immigration et insécurité, ou encore dans les manifestations pour la réouverture de la messe qui ont eu lieu lors du second confinement.

 

Rassemblement organisé par l’extrême droite radicale lyonnaise en septembre 2020. Crédit : GB.

 

L’union des extrêmes droites ne s’arrête pas là. Des liens entre militants identitaires et supporters nationalistes des tribunes lyonnaises sont observés de longue date par les deux principales organisations antifascistes lyonnaises, « notamment depuis les manifestations des Gilets Jaunes », explique un membre de la Gale. À Lyon, de violents affrontements entre groupuscules d’extrême droite radicale et le cortège dit « Gilets Jaunes antiraciste », composé en partie de militants antifascistes, avaient eu lieu le 9 février lors d’une manifestation de Gilets Jaunes. Cette fois-ci, les manifestants antiracistes avaient fait fuir la soixantaine de militants d’extrême droite, renforcés par « des gars du stade ».

 

Génération Identitaire : un centre de gravité pour l’extrême droite radicale

 

« Cette fois-ci, dans l’attaque de la Plume Noire, il y avait tout le monde. C’est ce qui explique leur nombre », résume un membre de l’UCL. 48 militants ont été réunis lors de cette action violente : un chiffre record. Les liens tissés entre des militants d’organisations dont les modes d’action, voire l’idéologie, divergent parfois sont aussi possibles du fait de l’hégémonie géographique des identitaires.

Depuis la fermeture des locaux du Bastion Social, alors que l’Action Française n’anime plus son local et que même le Rassemblement National a déménagé de la capitale des Gaules, les identitaires sont les seuls à détenir des locaux. Groupuscule le plus nombreux, le mieux financé et le mieux organisé, il est peu à peu devenu un point de ralliement pour l’extrême droite radicale lyonnaise. Les liens tissés à la salle de boxe, dans les manifestations contre l’insécurité ou le service d’ordre des manifestations anti-PMA, bénéficient aujourd’hui à Génération Identitaire, au moins pour des actions de vengeance violentes.

De l’autre côté de l’échiquier politique, la solidarité s’organise également. L’Union Communiste Libertaire a déposé un parcours de manifestation (passant par le vieux Lyon) pour le 3 avril. Elle cherche à fédérer pour imposer une réponse franche et massive aux agressions de l’extrême droite radicale et a déjà reçu des communiqués de soutien venus des syndicats locaux de Solidaires et de la CGT.