Macron : 13 milliards d’investissements en France, zéro pour Valdunes

 

A l’occasion de son sommet « Choose France », Emmanuel Macron a déroulé le tapis rouge aux plus grands patrons de la planète dans l’espoir qu’ils daignent investir en France. Résultats clamés hauts et forts : 13 milliards d’investissements obtenus. Pendant ce temps, les 380 métallos de Valdunes, dans le Nord, espèrent que quelques dizaines de millions viendront sauver leurs emplois.

 

Lundi 15 mai. Maxime Savaux passe la porte de son usine de Trith-Saint-Léger (59). Il est secrétaire CGT du Conseil Social et Économique (CSE) de Valdunes, la dernière entreprise française à savoir fabriquer les roues et les essieux des TGV. Plus pour longtemps. Il y a dix jours, l’actionnaire chinois MA Steel a annoncé qu’il n’investirait « plus un centime » dans la boîte.

Entre la forge de Leffrinckoucke, près de Dunkerque, et le site de Trith, environ 380 emplois sont menacés. Un piquet de grève s’est monté et la production est arrêtée. L’agenda des métallos n’est plus rythmé que par les manifestations et les rencontres avec les pouvoirs publics et la direction. « Demain, la direction de Valdunes est reçue à Bercy. Mercredi, on a une réunion avec les directions françaises. Ce sera suivi d’une assemblée générale avec les salariés à midi, pour voir ce qu’ils veulent faire », égrène le cégétiste.

 

« Choose France »

 

Lundi 15 mai. Emmanuel Macron passe la porte de son château de Versailles. Il est président de la République et il organise ce jour-là le sommet « Choose France », événement destiné à « promouvoir l’investissement en France ». À sa table défilent Lakshmi Mittal, milliardaire président exécutif d’ArcelorMittal, Bob Iger, milliardaire directeur général de Disney ou encore Elon Musk, milliardaire qu’on ne présente plus. Un résultat chiffré est déjà claironné partout dans la presse : 28 patrons vont investir quelque 13 milliards d’euros sur le territoire français, pour un total de 8000 emplois.

 

Avec @ElonMusk, nous avons parlé de l’attractivité de la France et des avancées significatives dans les secteurs des véhicules électriques et de l’énergie. De régulation numérique également. Nous avons tant à faire ensemble. Rendez-vous cet après-midi au Sommet #ChooseFrance ! pic.twitter.com/oTI0HboDXE

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 15, 2023

 

Ironie du sort, plus de la moitié de ces emplois devraient être créés à Dunkerque, non loin de la forge Valdunes, mais dans le secteur de la batterie électrique. Le groupe taïwanais Prologium souhaite implanter une « gigafactory » dans la sous-préfecture du Nord et annonce 3000 nouveaux emplois. Le chinois XT, associé à l’entreprise française Orano, se lance dans la production de matériaux de cathodes pour les batteries (1700 emplois créés).

« Quand on voit tous les milliards qui sont mis sur la table… et qu’on sait qu’à Valdunes il suffirait que 50 à 60 millions d’euros soient investis dans la forge, on est dégoûtés. Les actionnaires, on fait tout pour les accueillir mais lorsqu’ils veulent partir on doit s’écraser », enrage Ludovic Bouvier, secrétaire fédéral de la CGT Métallurgie en charge du Pas-de-Calais. Les forgerons n’auront qu’à aller se reconvertir dans le lithium.

 

Valdunes et la SNCF, une affaire qui roule ?

 

Aveuglé par les milliards et les batteries au lithium, Macron aurait-il oublié la forge ? Même pas. Dans un entretien donné au journal La Voix du Nord ce week-end, le président de la République promet de « se battre jusqu’au dernier quart d’heure pour Valdunes ». Pour preuve, son ministre délégué chargé de l’industrie, Laurent Lescure, s’est déjà entretenu avec sa direction, ainsi qu’avec la CGT, syndicat hégémonique dans l’entreprise.

Déjà, deux concurrents et investisseurs potentiels furètent : l’italien Lucchini RS et l’espagnol CAF. « Le problème, c’est qu’ils veulent reprendre l’usine de Trith-Saint-Léger et laisser mourir la forge de Dunkerque. Pour nous c’est impossible, ça signifierait abandonner 95 salariés et surtout condamner l’activité d’usinage. Parce que si on perd notre forge, les prochains repreneurs ne vont pas s’embêter longtemps à faire usiner leur métal dans le Nord de la France. Deux ou trois ans plus tard, l’usine va fermer aussi », soutient Maxime Savaux, le secrétaire du CSE.

 

valdunes
Assemblée générale à Valdunes. Crédit : DR

 

Ces dernières années, les salariés ont été déçus par tous leurs actionnaires, qui ont insuffisamment investi dans l’outil de travail. « En 2014, quand le Chinois MA Steel a repris, il ne s’en est pas caché : il n’avait pas la technologie “très grande vitesse” qu’on développe à Valdunes et c’est ça qui l’intéressait. Maintenant qu’ils ont obtenu les brevets ils se barrent, on n’est pas surpris. Alors en réunion, j’ai dit à Laurent Lescure : “notre solution, c’est la nationalisation”. Mais pour lui c’est un gros mot, il ne veut même pas en parler », assure Ludovic Bouvier. La stratégie du gouvernement Macron, c’est plutôt Versailles avec les actionnaires.

 

Valdunes : un investissement écolo

 

Alors la CGT avance une autre option : que la SNCF remplisse le carnet de commande de Valdunes. Pas une idée révolutionnaire, pas même une idée neuve : « historiquement, Valdunes avait le monopole sur les roues du TGV. Il y a encore une petite dizaine d’années la SNCF nous commandait 45 000 roues par an. Sur les deux dernières années, ils nous en on pris seulement 7000. Aujourd’hui, on constitue à peine 20% de leurs achats », déplore Maxime Savaux.

Forge contre « gigafactory », essieux en acier contre batteries en lithium, l’avenir industriel de Dunkerque peut-il se réduire à la bataille du passé contre celle de l’avenir ? « À l’heure de la transition écologique on ne va pas nous dire que savoir fabriquer les roues de nos TGV ce n’est pas un enjeux d’avenir ? Pourtant il semble plus simple de trouver des investisseurs pour faire tout autre chose », s’alarme Ludovic Bouvier.

Face au ministre, le syndicaliste a tout de même dénoncé la dépendance des entreprises françaises envers leurs actionnaires. « Il nous a fait le coup du “méchant actionnaire chinois”. Comme si ça n’avait pas été la même chose avec nos actionnaires précédents. Comme si on n’avait pas aussi des problèmes avec nos actionnaires français. Quand c’est pour se faire de l’argent, il n’y a plus d’histoire de drapeau », conclut Ludovic Bouvier.