Manif contre les licenciements : gueules cassées, poings levés !


 

À l’appel des salariés de TUI France, des dizaines de structures syndicales et de « boîtes en lutte » ont manifesté ce samedi à Paris. Rejoints par des gilets jaunes et des étudiants, elles s’insurgent contre des entreprises qui se débarrassent de leurs employés en pleine crise sanitaire, alors qu’elles bénéficient d’aides publiques et du chômage partiel. 

 

Les TUI ne sont plus seuls. Après plusieurs mois de mobilisation, de grèves et de visioconférences, plusieurs dizaines de fédérations ont répondu présentes à leur appel à manifester ce samedi pour lutter collectivement contre les plans de licenciements qui ont fleuri dans de nombreuses entreprises ces derniers mois. Aux cris de « c’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons » et étroitement encadrées par les forces de l’ordre, environ 2000 personnes ont marché entre l’Assemblée nationale et le Medef ce samedi.

 

 

En tête de cortège, Lazare Razkallah a le sourire. « Je suis content de voir autant de monde présent », se réjouit le secrétaire du conseil social et économique (CSE) de TUI. « Quand on a vu que d’autres entreprises comme Cargill, Sanofi ou General Electric étaient confrontées à des situations similaires, on s’est dit qu’à un moment, il allait falloir faire quelque chose tous ensemble. C’est comme ça qu’est né l’appel des TUI. »

Leur lutte a commencé au mois de juin, lorsque le voyagiste TUI France a annoncé un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui vise 583 postes, soit les deux tiers de ses salariés. « On n’a pas pris ce plan social comme une fatalité, on a engagé une procédure et on a bon espoir de le faire annuler. Mais on s’est rendu compte que les autres boîtes n’étaient pas forcément dans cet état d’esprit, elles ont pris un coup dans la tête. On a voulu s’unir pour être plus forts », détaille Lazare Razkallah.

 

Être présents pour les invisibles 

 

Isalia Belbouab, représentante CGT des agences TUI en France, est en colère. « On a été licenciés comme des malpropres par visioconférence, alors qu’on a en moyenne entre 15 et 20 ans d’ancienneté », s’insurge-t-elle. Notifiée la veille de son licenciement par lettre recommandée, elle « n’attend plus que son entretien préalable », qui doit officialiser son départ de l’entreprise. « L’État ne parle que du Covid, mais avec tous ces licenciements, il y a aussi une urgence sociale. Le printemps social qui s’annonce, c’est une pandémie en puissance », prédit-elle. « Et le pire dans tout ça, c’est qu’ils nous licencient avec des cacahuètes ».

 

 

Homologué par La Direccte, le plan de sauvegarde de l’emploi de TUI France ne comporte par exemple pas de prime supra-légale, « parce que la direction a dit qu’il n’y avait pas d’argent dans les caisses », raconte Stéphane Hodiesne, élu CGT au CSE de l’entreprise. Amer, il s’apprête à quitter l’entreprise avec 5000 euros en poche. « J’ai donné 10 ans de ma vie pour ça », lâche-t-il. « La lutte nous a permis de tenir moralement depuis le mois de juin, mais il y a beaucoup de salariés d’autres entreprises qui sont isolés. La CGT avait promis une rentrée sociale explosive, mais ça a mis longtemps à bouger. Aujourd’hui, on avait envie d’être présents pour tous les invisibles dont on ne parle pas assez. »

 

 

Tout au long du cortège, les histoires racontées par les travailleurs se suivent et se ressemblent. Ce sont celles de salariés trahis par les plans sociaux d’entreprises pour lesquelles ils ont dédié leur vie professionnelle. Malgré les aides publiques et le chômage partiel pris en charge à 100 %, elles veulent les mettre à la porte. Et comme chez TUI, les conditions de départ sont rarement à la hauteur de la taille des groupes et de l’ampleur des plans sociaux.

 

 

« Ils veulent nous faire craquer pour qu’on démissionne » 

 

Jérôme Lafont, secrétaire du CSE de Visual, travaillait depuis 26 ans dans cette filiale de Transdev et de la Caisse des dépôts. Le 21 octobre, après sept mois d’activité partielle, la direction a annoncé la fermeture de l’entreprise à ses 63 salariés. La consultation du CSE s’est terminée le 18 janvier. « J’ai fini par signer le plan social, en étant conscient que c’était la signature du désespoir. J’ai vu des salariés déprimés, fatigués, qui préfèrent partir avec le congé de reclassement de 12 mois qu’on a négocié plutôt que de se lancer dans un combat sans fin contre un groupe si puissant, avec le risque de ne rien obtenir de plus derrière », raconte-t-il.

Surtout, il constate que plusieurs PSE ont fleuri chez des filiales de Transdev ces derniers mois. Comme chez Flybus, spécialisée dans le transport de passagers aéroportuaires, où 22 postes sur 96 doivent être supprimés. « Cela fait partie d’une stratégie de Transdev de diminuer ses effectifs dans plusieurs filiales. Mais tous ces PSE sont traités à l’échelle individuelle, ce qui leur permet de faire en sorte que les moyens mis en œuvre ne soient pas à la hauteur des moyens du groupe », regrette-t-il.

 

 

Chez les salariés de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne), l’incertitude est pesante. Au mois de septembre, le groupe a annoncé son intention de fermer définitivement le site. Malgré les déclarations de Total, qui envisage des départs à la retraite anticipée et des mobilités internes, les syndicats estiment que 200 postes risquent d’être supprimés chez Total, et 700 chez les sous-traitants. « On vient d’acheter une maison, donc ces annonces nous mettent beaucoup de pression », raconte Paul Feltmann, élu CGT. « Normalement, je devrais pouvoir rester sur site, mais à quel prix ? La direction ne veut pas forcer les mutations, mais ils veulent nous faire craquer pour qu’on démissionne. »

 

À Avallon, 6000 habitants et trois entreprises 

 

Même constat du côté des travailleurs de SKF, une entreprise spécialisée dans la fabrication des roulements à billes pour l’industrie automobile et dont la direction prévoit de supprimer 400 emplois. Sur le site d’Avallon (Yonne), dont la fermeture totale est prévue d’ici 2023, 141 personnes sont concernées. Une grève perlée a été entamée. « On ne se laissera pas faire. On veut l’arrêt total du PSE, sinon aucun produit fini ne sortira de l’usine », annonce Ayaz Huseyin, vêtu d’un gilet Force ouvrière Métaux. Et d’alerter : « à Avallon, il y a 6000 habitants et 3 entreprises dont Pneu Laurent, qui est une filiale de Michelin et qui est aussi concernée par des suppressions de postes. Si Pneu Laurent et SKF disparaissent, il ne reste plus rien ».

 

Comme souvent, suppression de postes rime aussi avec stratégies de division mises en œuvre par la direction. C’est le cas pour le site Renault de Lardy, où, selon les estimations des syndicats, 900 emplois risquent d’être détruits à la faveur du dernier plan d’économie présenté par le groupe. « Sur les sites d’ingénierie, la direction a précisé aux salariés s’ils occupaient un poste gris ou un poste bleu. Les premiers sont considérés comme non pérennes, c’est-à-dire que leurs effectifs doivent diminuer et qu’ils peuvent prendre le plan de départ, tandis que les postes bleus ont une valeur ajoutée », raconte Mickaël Lhuillery. « S’ajoute aussi une division entre les salariés Renault et les salariés prestataires, qui représentent 700 des emplois menacés, et encore une autre entre ceux en chômage partiel et les autres. »

 

Convergence des luttes 

 

Mais l’amertume n’est pas le seul sentiment qui émane des travailleurs trahis. La convergence de ce samedi et les échanges nés de la manifestation suscitent des lueurs d’espoir. Car certains d’entre eux ont obtenu gain de cause. Après quatre semaines de grève qui se sont soldées par une grève de la faim, les salariés de General Electric Villeurbanne ont réussi à sauver 105 emplois sur les 284 qui étaient menacés sur leur site. « On a aussi obtenu un plan de portage emploi-retraite sur 36 mois », se réjouit Serge Paolozzi, délégué syndical central CGT. Selon ses calculs, une trentaine de licenciements forcés risquent tout de même d’être maintenus à Villeurbanne, sans compter les 300 autres suppressions de postes prévues chez General Electric dans le reste de la France. « Il faut qu’il y ait une convergence des luttes. On ne peut pas laisser les patrons faire n’importe quoi avec l’argent public », poursuit-il.

Arrivée devant le Medef, juste avant que la manifestation ne se disperse, Isalia Belbouab, de TUI, se demande encore « où sont passés nos droits, où est notre fraternité ? Il n’y a que dans la rue, dans les manifestations et les intersyndicales qu’on la voit ».

 

Colette Civade

Crédit photo : Claire Série