Alors que François Bayrou vient d’être nommé Premier ministre ce 13 décembre, plus de 132 actions contre la multiplication des licenciements ont eu lieu la veille, à l’appel de la CGT. Une première étape pour tenter d’imposer un moratoire contre les suppressions de poste.
« Un pas en avant, trois pas en arrière, c’est la politique du gouvernement», scande la foule. « Mais y a pas de gouvernement ! », s’amuse un manifestant. Ce 13 décembre sur les coups de 12h45, Emmanuel Macron a désigné François Bayrou Premier ministre. La nomination du gouvernement suivra. Mais quels que soient les noms des politiciens choisis, le chef de l’Etat n’esquisse pas la moindre volonté de bifurquer de son programme politique.
La veille, dans le froid de l’hiver lillois, les 200 à 300 personnes qui lançaient des slogans en avaient bien conscience. « Le futur Premier ministre mènera exactement la même politique qu’avant : la politique des capitalistes. Nous, les travailleurs, nous avons l’obligation de nous organiser par nous même pour répondre aux licenciements qui se multiplient », anticipait Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’union départementale CGT du Nord.
Alors, ce 12 décembre 2024, des enseignants, des soignants ou encore des postiers, appelés à la lutte par la CGT, Solidaires et FSU, poursuivaient leur bataille contre l’austérité dans la fonction publique lancée le 5 décembre. Mais leur mobilisation venait en renforcer une autre, plus inhabituelle et prévue de longue date : la lutte contre la multiplication des plans sociaux.
En effet, depuis plusieurs mois, la CGT ne cesse d’alerter sur la saignée industrielle en cours. La liste des plans de licenciements ne cesse de s’allonger : Michelin, ArcelorMittal, Vencorex, Auchan, Euralis, Magnetti Marelli, Solvay Salindres… Partout en France, des piquets sont montés devant les entreprises, souvent tenus les jours de réunion avec la direction. « On ne pouvait pas regarder le rouleau compresseur nous écraser un par un et rester là à rien faire », affirme Jean-Paul Delescaut..
Licenciements de masse
Il est vrai que les chiffres sont glaçants. La CGT dénombre entre 128 250 et 200 330 emplois menacés ou supprimés depuis septembre 2023. Un mouvement qui s’accélère puisque plus de 120 plans de licenciements ont été comptés sur la période juillet-novembre 2024, dont 89 sur la seule période septembre-novembre.
Les principaux secteurs concernés sont la métallurgie (13 000 emplois directs supprimés ou menacés), le commerce (10 000 emplois directs supprimés) ou encore le secteur public et associatif avec plus de 7 000 emplois supprimés. Pourquoi un tel marasme ?
« Il n’y a qu’à regarder, dans l’automobile. L’UE annonce la fin de la vente de moteurs thermiques en 2035. C’est demain ! Pourtant, aucun scénario n’est mis en place pour anticiper l’évolution de la filière alors que des centaines de milliers d’emplois sont concernés en France dans la métallurgie, le textile, la chimie, les industries du verre… La raison de ces plans sociaux massifs, c’est qu’on n’a aucune politique nationale pour répondre aux décisions des entreprises, qui ne pensent qu’aux profits de leurs actionnaires », dénonce Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Une mobilisation pensée d’en haut
C’est de là que née l’idée d’une mobilisation nationale. « Lors d’un au comité confédéral national (CCN) de novembre, nous sommes sortis avec cette date du 12 décembre. C’est une décision clairement prise d’en haut mais néanmoins attendue par les salariés. Si on ne dynamise pas les luttes pour sauvegarder l’emploi alors on sert à quoi ? », retrace Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Ainsi, ce 12 décembre, la CGT a recensé plus de 132 actions sur tout le territoire. Chiffre qui comprend une vingtaine d’assemblées générales de cheminots, également en grève ce jour-là. Des manifestations ont eu lieu devant les entreprises où des emplois sont menacés comme à la Fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan), Valeo/Soluroad à Amiens, Thales Alenia Space à Toulouse. Sud-Industrie était également mobilisé sur son usine Valéo de Saint-Quentin-Fallavier, mise en vente par le groupe. Des rassemblements ont été organisés devant les préfectures et quelques manifestations se sont déroulées en ville, comme à Lille. Au total, 73 départements sont concernés par des mouvements.
Pour autant, on reste loin d’un « décembre rouge », tel que souhaité par la centrale syndicale. De fait, dans la manifestation lilloise, les salariés directement touchés par les plans de licenciements, comme ArcelorMittal à Denain, sont rares à s’être déplacés. Onze salariés d’ArcelorMittal Dunkerque, pour la plupart des élus CGT, ont en revanche fait le déplacement et tiennent la banderole de tête. Leur secrétaire général, Gaëtan Lecocq, s’attend à ce que son groupe, déjà touché par 136 suppressions de poste, réduise encore ses effectifs dans le futur, et prétend bien alerter. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera », estime-t-il.
Plus loin dans la manifestation, Mathias, postier sur le centre de tri de Lesquin (59), alerte également sur le plan de licenciement discret, mais néanmoins massif, récemment mis en place à La Poste. « Environ 20 000 intérimaires sont actuellement laissés sur le carreau. On pense que la direction veut encore augmenter ses marges en augmentant la charge de travail et en rognant sur les effectifs », raconte-t-il.
Le plan de la CGT ?
Pour empêcher l’hémorragie d’emploi, la CGT demande avant tout une mesure d’urgence : un moratoire permettant de mettre un coup d’arrêt à tous les licenciements, dans l’attente de l’organisation d’assises de l’industrie. Dans l’idéal, ces assises donneraient lieu à une grande loi de réindustrialisation prenant en compte des objectifs en termes d’emploi, d’écologie, mais aussi de réduction du libre échange. « Nous travaillons avec des députés du NFP sur cette loi. Mais nous souhaitons aussi revenir sur des lois déjà actées comme la loi Florange », confie Sébastien Menesplier. Cette dernière impose actuellement la recherche d’un repreneur aux entreprises de plus de 1000 salariés, la CGT souhaite abaisser ce seuil à 50 salariés.
« Il faut que l’Etat assume son rôle de pilote dans le processus de réindustrialisation et ne laisse pas les patrons faire. C’est aussi pour cela que nous alertons sur l’argent public inconsidérément versé aux entreprises, sans contrôle, sans contrainte. Ce sont souvent ces mêmes entreprises qui licencient », dénonce le membre du bureau confédéral de la CGT. « On pense qu’il y a aussi de la place pour des nationalisations. En Italie, l’Etat a mis 1 milliard d’euro sur la table pour nationaliser l’ancienne aciérie Ilva », ajoute Gaëtan Lecocq d’ArcelorMittal Dunkerque.
Sébastien Menesplier ajoute : « Mais pour que nos revendications aboutissent, encore faut-il que le rapport de force soit en notre faveur. Or changer de gouvernement sans cesse, ça ne nous aide pas. Depuis des mois, on avance de trois pas pour reculer de sept… » Quant à se passer de l’Etat pour négocier ? « Ce serait possible si les investisseurs acceptaient de reprendre des usines sans apport d’argent public, or c’est de moins en moins le cas. Et pour ce qui est de la reprise en coopérative par les salariés, nous y sommes favorables mais c’est un processus très long et qui peut prendre 6 à 8 ans pour les reconversions », poursuit Sébastien Menesplier. Pour le cégétiste, une prochaine date de mobilisation contre les suppressions d’emploi pourrait être envisagée d’ici les mois de janvier ou de février.
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